Construire la solidarité : les plus pauvres, acteurs du changement
Dans le livre ‘Construire la solidarité : l’éducation populaire au travail‘ se trouve le chapitre « Les plus pauvres, acteurs du changement ». Les auteurs de ce chapitre : Diana Skelton et Martin Kalisa, volontaires permanents d’ATD Quart Monde y définissent l’éducation populaire comme « Une théorie et une pratique de l’éducation dans une perspective de transformation sociale plus que de stabilité sociale. Elle est ancrée dans l’intérêt réel des personnes sincèrement engagées dans un processus d’apprentissage et agissant de concert pour faire advenir une société plus juste et plus égalitaire ».
Voici quelques extraits de ce chapitre.
La solidarité, pas la charité
Joseph Wresinski (1917-1988), fondateur d’ATD Quart Monde, a grandi dans la pauvreté et dans la marginalité. Il est né dans un camp d’internement pour citoyens d’origine allemande, durant la Première Guerre Mondiale, où l’une de ses sœurs est morte de malnutrition. Durant sa jeunesse, sa famille a été stigmatisée et insultée. Il s’est souvenu que « la relation à l’autre était fondée sur la charité, pas sur l’amitié. Aussi loin que je m’en souvienne, le manque d’argent était lié à la honte et à la violence ».
En évoquant ses souvenirs d’enfance, Wresinski parle de la charité comme d’un piège : les gens qui offraient la charité à sa mère non seulement l’embarrassaient mais aussi la jugeaient et la contraignaient, jusqu’à la presser d’abandonner son fils le plus turbulent à un orphelinat. En développant sa conception de la solidarité, la priorité de Wresinski a toujours été de favoriser la liberté de chacun. Il s’est toujours montré exigeant envers les plus pauvres, poussant chacun à se montrer à la hauteur de ses plus hautes aspirations. Il attendait d’eux, en retour, qu’ils exercent leur liberté en devenant exigeants envers eux-mêmes et les autres, en insistant pour obtenir le respect, en luttant contre la nature hiérarchique de la charité. Sa conception de la nature politique du soin et du soutien aux autres l’a poussé à lier continuellement ses actes à des appels pour la réforme des politiques publiques. Jusqu’à aujourd’hui, le lien entre le personnel et le politique demeure au centre de l’activité de plaidoyer d’ATD aux Nations Unies.
Quelle est la différence entre pauvreté et extrême pauvreté ?
Au sein des groupes à faibles revenus, il y a toujours des personnes dont la situation est encore plus difficile que celle de leurs voisins. Elles peuvent être victimes du mépris et des quolibets des autres. Dans un bidonville d’Espagne, une femme a dit : « quand je fais les poubelles pour trouver de la nourriture, mes voisins me disent que je fais honte à tout le monde. Mais ils croient quoi ? Que ça m’amuse ? […] On est pauvres alors on ne pense à rien d’autre qu’au lendemain. Avoir à réfléchir à comment avoir du pain pour demain, ça nous empêche de penser plus loin. Dès le saut du lit, la seule chose qui vous passe par la tête, c’est ‘comment je vais m’en sortir aujourd’hui ?’, vous ne pouvez penser à rien d’autre. »
Au sein des communautés très défavorisées, la priorité d’ATD Quart Monde est de chercher ceux dont la vie est la plus difficile, en particulier ceux qui sont ignorés et stigmatisés par les autres. Tant que ceux qui savent ce que c’est que d’être laissés pour compte et rejetés ne sont pas ceux qui conçoivent un projet, alors celui-ci n’atteindra pas tout le monde. Le but d’ATD, c’est de réfléchir avec ceux qui connaissent la pauvreté de manière persistante, pour s’assurer que personne ne soit laissé de côté et que le projet profite à l’ensemble de la communauté.
Croisement des savoirs
Les plus pauvres ont des connaissances qui sont ignorées des autres. Wresinski accusait les universitaires non seulement d’exploiter et de prendre de haut les plus vulnérables mais aussi d’avoir « contrarié, voire paralysé la pensée de leurs interlocuteurs. Ça se produit parce que les [chercheurs] ne se rendent pas compte qu’ils ont affaire à une pensée qui suit son propre chemin et poursuit ses propres objectifs. […] Paralyser la pensée des pauvres, [ça arrive quand la recherche] est conduite avec un objectif extérieur à leur situation de vie, un objectif qu’ils n’ont pas choisi et qu’ils n’auraient jamais défini de la même manière que les enquêteurs. » ATD a développé le Croisement des Savoirs pour changer cet état de fait, en remettant en cause l’organisation politique du savoir, grâce à la question suivante :
Est-ce que les réflexions des plus défavorisés à propos de leur lutte collective peuvent trouver leur place au sein du monde universitaire ?
Une professeure de sociologie criminelle qui a pris part [au Croisement des Savoirs], Françoise Digneffe, a expliqué pourquoi les universitaires devraient laisser la place aux personnes en situation de pauvreté et elle est revenue sur la manière dont le Croisement des Savoirs a interrogé sa propre pratique scientifique :
Notre approche consistait à produire quelque chose à propos de la perspective que les personnes en précarité ont de la société et par conséquent, c’est à ces personnes seules de dire ce qu’elles pensent. Ce qu’on peut faire, c’est de travailler avec elles, pour qu’elles puissent exprimer leurs réflexions de manière à être comprises. […] C’est notre travail de poser des questions mais nous avons dû leur faire comprendre que nos questions n’impliquaient pas qu’on ne les croyait pas ou qu’elles étaient en train de mentir. […] Je m’interroge de plus en plus sur le bien-fondé de l’idée qu’on pourrait comprendre ce que les gens disent mieux qu’eux-mêmes. […] Les universitaires, comme bien des gens, ont des doutes et des appréhensions quant à l’environnement dans lequel vivent les plus pauvres. […] Toute cette expérience pousse à remettre en question les termes qu’on utilise. [Maintenant,] j’ai l’impression que j’utilise des mots compliqués qui ne seront pas compris comme une sorte de paravent pour me cacher la réalité. Tout ce jargon intellectuel […], peut-être qu’on ne sait pas très bien ce qu’il veut dire. Quand on s’oblige à utiliser des termes plus simples, alors on commence vraiment à réfléchir.
Télécharger l’intégralité du chapitre en anglais en format PDF.
Dans la vidéo ci-dessous, Diana Skelton parle (en anglais) du livre « Construire la solidarité : l’éducation populaire au travail ». Elle évoque :
- L’approche « solidarité, pas charité » prônée par ATD et la différence entre pauvreté et extrême pauvreté ;
- Le croisement des savoirs, une méthodologie de recherche participative qui permet aux universitaires et aux personnes en précarité de discuter sur un pied d’égalité.
Plus de vidéos autour de ces questions sur la chaîne YouTube Éducation Populaire en Afrique du Sud.