17 Octobre à l’ONU à Genève : reconnaître la relation entre pauvreté et droits humains
Cette année, au siège des Nations Unies à Genève s’est célébrée la Journée mondiale de refus de la misère sous forme d’une série d’entretiens menés en public. Adoptant le style d’un débat télévisuel, un animateur était chargé d’interviewer les invités, répartis en trois groupes distincts.
L’extrême pauvreté comme violation des droits humains
Par vidéo, le Rapporteur spécial sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme à l’ONU, Philip Alston, a pris la parole sur le premier sujet du débat :
- « Le problème majeur avec de nombreuses approches visant à résoudre la question de la pauvreté, c’est qu’elles considèrent que ce sont les personnes elles-mêmes qui sont responsables de leur situation. On prétend qu’elles sont paresseuses, qu’elles ne veulent pas travailler… la protection sociale est un droit et c’est au gouvernement de s’assurer que les gens puissent améliorer leur situation. »
Natacha Foucard, du Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCDH), a expliqué que l’adoption des Principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme était un véritable pas en avant à ce sujet, car ils fournissent aux décideurs politiques des outils pratiques. Un avis corroboré par la vice-présidente d’ATD Quart Monde, Janet Nelson, pour qui ces principes directeurs aident les personnes en situation de pauvreté extrême à porter un regard nouveau sur elles-mêmes. Le guide des Nations Unies affirme par ailleurs qu’il est possible de vaincre la pauvreté qu’en luttant contre les violations des droits humains, qui sont à la fois la cause et la conséquence du problème. De plus, les principes directeurs rappellent que les personnes vivant en situation de pauvreté doivent pouvoir contribuer au développement de stratégies adéquates à la réalité qu’elles vivent au quotidien.
« Considérer la misère comme le résultat d’une violation des droits humains, c’est une idée révolutionnaire » a déclaré madame Nelson – « Il faudra donc un certain temps avant que les politiques et les comportements évoluent en fonction de ce constat ». Toutefois, des effets de ce changement peuvent cependant déjà se ressentir dans les nouvelles stratégies adoptées par des ONG, qui abordaient auparavant la pauvreté sous l’angle de la charité. Aussi, de nombreuses organisations non gouvernementales engagées dans la lutte contre la pauvreté se rendent compte maintenant qu’elles n’atteignent pas les plus pauvres.
Certains pays comme la France ou Haïti, ont fait des principes directeurs de l’ONU une référence pour le développement de leurs politiques de développement.
Interrogé sur le rôle leader de son pays dans l’adoption de ce texte, l’ambassadeur français auprès des Nations Unies, François Rivasseau a souligné l’engagement permanent de la France pour la défense des droits humains. : « Nous sommes engagés dans la lutte contre l’extrême pauvreté, » a-t-il insisté. Il a ajouté que la stratégie de la France est axée sur des programmes dédiés aux enfants et aux jeunes, car ce sont des années formatrices qui affecteront les opportunités qu’ils auront tout le reste de leur vie.
Des projets efficaces dans la lutte contre l’extrême pauvreté
Un nouveau groupe d’invités s’est assis autour de la table pour évoquer quelques projets efficaces contre la pauvreté. Philip Alston a déclaré : « Nous devons accepter le fait que la croissance économique ne sera pas en mesure d’améliorer la situation des plus exclus. »
Junko Tadaki du HCDH a rejetée pour sa part l’approche caritative, qui n’aide pas à régler les causes structurelles du problème : « L’une des mesures adoptées par de nombreux États est la mise en place de programmes de transfert monétaire, qui tentent d’identifier les ménages les plus vulnérables, mais ces programmes peuvent souvent entraîner l’exclusion de certains ménages…
- C’est pourquoi nous serions plutôt en faveur d’une approche universelle basée sur le droit à la protection sociale. »
L’animateur a ensuite donné la parole à Cathy Low, volontaire permanente d’ATD Quart Monde, qui a évoqué le projet de formation informatique mis en place par le Mouvement à Madagascar. Destiné aux jeunes, parfois peu scolarisés, ce programme a regroupé plusieurs partenaires du privé et du public. Il a fait appel à des entreprises informatiques qui ont contribué à la formation des apprentis et leur ont offert des stages.
Ensuite s’est exprimé Bertrand Foucher, président d’EmerJean, une entreprise fondée en France par l’association Territoires zéro chômeur de longue durée, qui vise à éliminer le chômage de longue durée. Située à Villeurbanne, une agglomération qui compte 30 % de chômeurs, EmerJean embauche tou-te-s celles et ceux qui veulent travailler. Les aides sociales sont redirigées au financement de postes qui répondent aux besoins identifiés par la communauté elle-même. Membre de ce programme, Halima Zaghar a expliqué qu’elle n’arrivait pas à trouver du travail en dépit de son diplôme universitaire car étant musulmane pratiquante, elle souhaitait porter le foulard. « Ce projet a changé mon regard vis-à-vis de la société française, a-t-elle dit. Aujourd’hui, je me sens entourée de personnes bienveillantes. »
La pauvreté à Genève
« La pauvreté est peu visible pour ceux qui ne veulent pas la voir – a affirmé Nadine Mudry, directrice chargée des politiques d’insertion dans le Canton de Genève – Pourtant, plus de 13 % de la population genevoise touche des prestations sociales. » Une déclaration appuyée par Philip Alston : « La plupart des gens n’est pas consciente que la pauvreté existe dans leur pays.. […] Mais en vérité, dans chaque partie du monde, il y a toujours des peuples qui sont complètement marginalisés. »
« Bénéficiant moi-même d’allocations sociales, j’ai pu constater que cette situation finit par vous faire perdre confiance en vous, a ajouté Jean-Claude Étienne, co-président de la Coalition 17 octobre.
- « Il est difficile de chercher du travail quand un employeur potentiel peut découvrir que vous êtes au chômage ou que vous percevez une pension d’invalidité. Dès le moment où j’ai une faible rente qui me permet de survivre, […] je ne rentre pas dans ce modèle social basé sur la production et la consommation… Je ne peux pas me permettre d’aller au cinéma ou au restaurant avec des amis, et donc je me trouve isolé, même des amis. »
Madame Mudry a dévoilé que la ville de Genève avait développé un plan d’action municipal destiné à combattre la pauvreté. Questionnée sur le rôle des personnes en situation de pauvreté dans ce projet, elle a avoué que celles-ci n’y avaient pas encore participé. « Mais c’est indispensable. […] L’objectif, c’est de le présenter aux personnes concernées par nos travaux pour voir si cela répond à leurs besoins.”
La réunion s’est terminée par une session de questions/réponses entre les participants, suivie d’une réception organisée par les missions permanentes de la Belgique et de la France auprès des Nations Unies.
Mettant en lumière le lien entre pauvreté extrême et violation des droits humains, le HCDH a classé la commémoration de la journée mondiale de refus de la misère parmi les événements célébrant le 70ème anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’Homme.
Pour revivre les débats en version audio cliquer ici pour écouter la première partie et ici pour la deuxième.
Plus d’informations sur la journée mondiale de refus de la misère.