Décès de Bernadette Cornuau, une des premières volontaires permanente du Mouvement ATD Quart Monde
Lettre aux membres du Mouvement Lundi 11 juin 2012
Chers amis,
Les plus pauvres et tous les artisans de justice viennent de perdre une grande combattante et une grande amie. Bernadette Cornuau nous a quittés ce samedi 9 juin après une longue maladie.
En allant la visiter il y a encore quelques jours, elle nous disait : « Le Mouvement a mûri, je peux m’en aller. ». Alors que nous lui rappelions qu’elle en avait bâti les fondements, elle avait ajouté : ‘On ne nous voulait pas, on ne nous écoutait pas.’ »
Bernadette a été une des premières à rejoindre le camp des Sans Logis à Noisy le Grand où elle a rencontré le Père Joseph. Elle était assistante de direction quand elle est venue pour la première fois voir ce « camp de sans-logis’ »dont elle avait entendu parler, cherchant comment elle pourrait se rendre utile à ses habitants. Et c’est un petit garçon, seul sur un tas de boue, qui l’a interpellée : « Papa a tout cassé dans la maison cette nuit. » A sa demande, elle le raccompagne chez lui. Depuis lors, sa vie ne sera plus la même. Elle ne manque aucun dimanche pour retrouver un groupe de filles dont le Père Joseph lui a confié la responsabilité, lui lançant quand il la croise dans les allées du camp : « Bonjour la fidélité ! ».
Son premier engagement de volontaire permanente a été à « La Campa » près de Paris où elle s’installe dans une caravane pour vivre proche des habitants du camp. Elle parviendra à faire admettre les enfants de ce bidonville par l’école qui les refusait. Bernadette est aussi la première volontaire qui a rejoint des familles et des militants à New York, dans la « Guerre contre la Pauvreté ». C’est de ce passage à New York qu’elle garde, en écho au Père Joseph, cette ligne de conduite : ne jamais laisser personne seul face à la misère, principe qu’elle appliquera dans ses responsabilités comme vis-à-vis des équipes du monde qu’elle accompagne dans leur action.
Rappelée en France par le Père Joseph, elle rejoint les familles d’un autre bidonville avant d’accepter la responsabilité du Mouvement à Noisy-le-Grand, au moment de la transformation du bidonville en cité d’hébergement pour les familles qui n’ont nulle part où vivre. Elle s’acharne, trop souvent dans l’incompréhension, à faire de Noisy-le-Grand une vitrine pour le monde quant au droit des plus pauvres à exister et à être de quelque part.
Soutenant le Père Joseph dans ses voyages de prospection en Grande Bretagne, au Guatemala, ou au Brésil, elle a contribué à l’ouverture au monde du Mouvement. Avec sa passion, son engagement, elle a cherché à ce que le Volontariat et le Mouvement restent et deviennent toujours plus capables de rejoindre les lieux les plus abandonnés. Elle a eu particulièrement à cœur de renforcer les liens du Mouvement avec nos amis en Israël et en Palestine.
Sa façon radicale de se confronter à l’inacceptable l’a amenée sur le fond du droit. Ainsi, par exemple, elle a mobilisé toute la région du Nord de la France pour défendre en justice une famille accusée de négligence envers ses enfants, alors qu’elle était réduite à brûler les planches de sa cabane pour se protéger du froid. C’est aussi dans le Nord qu’elle prendra fait et cause pour des enfants enfermés en milieu psychiatrique dans des conditions insupportables, les privant de toute liberté et perspective d’avenir.
Bernadette a incarné une exigence pour que nos actions soient rigoureuse et portent toujours l’interrogation : en quoi les plus pauvres y gagnent en bonheur, en liberté, en responsabilité ?
Après la mort du Père Joseph, Bernadette a investi la plus grande partie de ses forces pour soutenir la gouvernance du Mouvement, pour qu’elle reste ancrée dans les personnes et le vivre ensemble. Pour chaque délégation générale, elle a été un soutien sans faille pour que celles ci se sentent entièrement libres. Elle portait ce sens profond de la nécessité d’une continuité et en même temps d’une innovation dans toute chose.
Nombreux parmi vous se sont arrêtés chez elle ces dix dernières années où Bernadette a affronté avec sérénité une maladie qui s’installait peu à peu dans son corps, sans jamais atteindre sa paix profonde et son rire. Combien sommes-nous, parmi ceux qui ont eu la chance de la rencontrer, à nous souvenir de son sens aigu des mots justes, recréant toujours l’authenticité de ses relations avec chacun, ouvrant à chaque fois des chemins de liberté.
L’engagement de Bernadette, plus que le combat lui-même aura été que chaque personne compte d’abord pour elle-même : « … Que, absolument chacun soit considéré, traité comme une personne humaine. Il l’est. Qu’il découvre sa personnalité humaine, qu’il se considère ainsi. »
Avec Bernadette, notre détermination et notre confiance se trouvent encore renforcées.
Eugen Brand, Isabelle Perrin, Diana Faujour, Délégation générale.