Quand les plus pauvres sont co-acteurs d’une loi
Photo : Assemblée Nationale, Paris, 25/03/1997 © Segondi / Centre Joseph Wresinski / 0505-005-003_001
Article écrit par Loïc Besnard, archiviste du Centre de mémoire et de recherche Joseph Wresinski, à l’occasion de la Journée internationale des archives.
Avec Geneviève de Gaulle-Anthonioz, comment les plus pauvres sont devenus co-acteurs de la loi d’orientation contre les exclusions
Des droits pour les plus pauvres : de l’assistanat à la solidarité
Pour la première fois en France, les personnes en situation de grande pauvreté ont participé à la création d’une loi. Présidente d’ATD Quart Monde de 1964 à 1998, Geneviève de Gaulle-Anthonioz voulait que les plus pauvres, qui ont l’expérience de la misère et de l’exclusion, transmettent leurs connaissances et soient associés étroitement à des actions publiques visant à fonder une société plus juste. Il ne s’agissait pas de réaliser des opérations de charité, mais de responsabiliser chacun en rendant les personnes du Quart Monde co-actrices des mesures publiques de lutte contre la pauvreté.
- Lire l’Allocution de Geneviève de Gaulle-Anthonioz au Conseil Économique et Social, le 12 juillet 1995 © ATD Quart Monde / Centre Joseph Wresinki / 0341-01-02
Votée le 29 juillet 1998, la loi d’orientation contre les exclusions a posé le cadre d’une politique globale de lutte contre toutes les formes d’exclusion et l’accès aux droits fondamentaux pour les personnes les plus démunies. Elle est à l’origine de plusieurs avancées sociales dont la CMU1, dispositif qui a fêté son vingtième anniversaire le premier janvier 2020.
À l’origine de la loi, un rapport et des partenaires écoutés
Suivant le projet de Joseph Wresinski de faire entendre la voix des plus pauvres dans les institutions, Geneviève de Gaulle-Anthonioz les fait participer aux débats qui alimentent le rapport d’évaluation des politiques publiques de lutte contre la grande pauvreté. Présenté en juillet 1995 devant le Conseil économique et social (CES, actuel CESE), cette évaluation recueille l’expérience et la pensée de 800 personnes en situation de grande pauvreté.
En novembre 1995, Geneviève de Gaulle-Anthonioz s’adresse aux militants Quart Monde des Universités populaires pour les encourager à continuer de témoigner :
- « Il me semble que ce qu’on a eu de plus important à faire, depuis 1987, c’est de faire connaître ce que vous viviez et ce que vous pensiez de cette expérience-là, de l’expérience de votre vie. Alors on a essayé de faire ce rapport au CES, on a essayé de reprendre le chemin que le Père Joseph avait pris. Puisqu’au CES, toutes les activités qu’elles soient associatives, professionnelles ou syndicales sont représentées, il fallait que vous aussi vous soyez là, que votre expérience, votre pensée à vous soit là. »
Fichier audio : Intervention de Geneviève de Gaulle-Anthonioz pour les Universités populaires Quart Monde d’automne 1995 sur le rapport d’évaluation des politiques publiques de lutte contre la grande pauvreté © ATD Quart Monde / Centre Joseph Wresinski, 2AV3544
Ceux qui ont côtoyé Geneviève de Gaulle-Anthonioz se souviennent d’une femme à l’écoute des personnes en difficulté, capable de s’effacer devant elles pour mieux les comprendre. Devenue personnalité qualifiée au CES à la suite du décès de Joseph Wresinski en 1988, elle organise plusieurs échanges entre les membres du CES et les militants Quart Monde. Ces rencontres se déroulent au CES, dans les Universités populaires Quart Monde mais aussi dans un quartier de grande pauvreté. Les personnes les plus pauvres sont alors considérées comme des « partenaires » dont les connaissances et la réflexion sont prises en compte au même titre que celles des représentants de la vie politique, économique et associative.
Université populaire Quart Monde, Paris, 1996 © ATD / Centre Joseph Wresinski / BT-2013-013_001
Université populaire Quart Monde, Paris, 1996 © ATD / Centre Joseph Wresinski / BT-2013-021_001
Le savoir des personnes du Quart Monde au cœur de nouvelles enquêtes
- Lire l’allocution de Geneviève de Gaulle-Anthonioz à l’Assemblée nationale le 15 avril 1997 © ATD Quart Monde / Centre Joseph Wresinki / 0341-02-04
Comme le souligne Geneviève de Gaulle-Anthonioz dans son allocution du 15 avril 1997 à l’Assemblée nationale, la participation des plus pauvres dans l’élaboration d’une loi a constitué « une première ». Par la suite, d’autres travaux ont suivi cet exemple : en 2015, le CESE a réalisé en étroite collaboration avec des militants le rapport Grard concernant l’école.
- De même, au sein du Conseil National des politiques de Lutte contre la pauvreté et l’Exclusion sociale (CNLE), un collège de personnes en situation d’extrême pauvreté se réunit pour étudier les lois et participe à la construction d’un savoir en commun.