Pour la dignité de tous à travers le monde
Photo : Cerro Vista Alegre, Lima, Pérou ©ATD Quart Monde
Sarita Guevara, militante Quart Monde, raconte la situation dans laquelle vivent les habitants de l’une des montagnes les plus touchées par la pauvreté à Lima, au Pérou, et réfléchit à la manière dont ils essaient d’éviter la propagation du virus et de la faim grâce à l’attention et à l’aide mutuelle.
Je suis toujours en train de chercher quoi faire, comment aider !
Je fais un peu de tout pour que ma famille ne manque de rien. Mon mari est âgé, il ne peut plus sortir. Quand on travaillait tous les deux, on achetait toujours des petites choses en plus comme du yaourt, un gâteau… maintenant, c’est devenu un luxe.
Parfois, des voisines ou des amies me montrent où je peux trouver du poulet à bon prix. Et moi je le dis à d’autres ! On y va ensemble, ou je vais faire la queue pour d’autres en échange de quelque chose. Il y a aussi des personnes âgées qui m’appellent pour faire leurs courses, ça me permet de me faire un peu d’argent. C’est comme ça que je m’en sors, en courant partout.
Hier, on m’a appelée à propos des trois douzaines de masques que j’ai fabriqués : « Sarita, il nous en faut deux de plus ». J’ai le tissu, mais je n’ai plus de fil et mes élastiques ont lâché. Alors j’ai proposé à une amie qu’on le fasse ensemble. J’essaie de ramener quelque chose à la maison, mais aussi d’aider les autres.
Aujourd’hui je comprends ma mère
Mes enfants n’avaient jamais eu faim sans que je ne puisse y remédier. Aujourd’hui, je comprends ma mère : ça fait mal de ne pas pouvoir donner à son enfant ce dont il a besoin.
Nous étions quatre enfants. Ma mère allait travailler très tôt le matin. Elle rentrait, faisait à manger et repartait faire des ménages, laver le linge d’autres personnes, parfois jusqu’à une heure du matin. Elle faisait tout pour que nous ne manquions de rien, que ce soit pour l’école ou pour les choses essentielles. Parfois, nous demandions des choses et elle répondait : « Aujourd’hui je n’ai rien, ils ne m’ont pas payé. »
Quand mes enfants me disent : « Maman, je veux ça », c’est frustrant de leur dire que je n’en ai pas les moyens. Avec ma mère, nous n’avions pas toujours de quoi manger. Mon fils aîné a vécu ça quand il était petit. Je ne voulais pas ça pour mes autres enfants.
Je dois essayer de ne pas tomber en dépression pour que mes enfants ne sentent pas que je suis triste et désespérée. Je suis le pilier, je dois aller bien et faire bonne figure.
Depuis que je suis enfant, j’ai toujours aimé donner un coup de main
Quand j’étais enfant, ma mère travaillait tellement, qu’avec mes frères, on allait donner un coup de main au marché du coin. Ils ne nous donnaient pas d’argent mais un repas. Parfois, ils nous donnaient des œufs ou un kilo de riz pour que ma mère ne soit pas si inquiète en rentrant à la maison. Quand mon grand frère rentrait du travail, il nous disputait parce que nous étions les plus jeunes : « Non, ça, ce sont des obligations d’adultes ». On lui disait : « Mais nous aussi on peut aider ! », et nous sortions donner un coup de main.
Pendant le confinement, nous avons cuisiné avec du feu de bois pour économiser, mais on a arrêté parce que la maison d’une famille d’un quartier voisin a complètement brûlée. Aujourd’hui, même si les gens n’ont plus grand-chose, beaucoup ont partagé avec nous. Mon fils José nous a donné des vêtements et de la nourriture… J’ai appris qu’il ne s’agissait pas seulement de donner, mais de le faire de bon cœur.
Je souhaite que mes enfants apprennent à être plus solidaires. Ils le sont déjà, mais j’aimerais qu’ils apprennent à l’être davantage et à valoriser les personnes qui ont le moins.
Je voudrais que les gens qui ont les moyens de s’acheter des choses chères pensent à toutes ces personnes qui souffrent beaucoup… À La Vizcachera, il y a des enfants qui n’ont pas d’eau. Pour nous, c’est comme si nous étions millionnaires ici puisque nous en avons, nous avons aussi de la lumière et de quoi manger. Nous devons nous entraider.
Ne prends plus de risques
Hier, on m’a appelé pour me dire qu’il y avait un cas de Covid-19 dans la montagne. Ça m’a fait l’effet d’un seau d’eau froide en pleine figure. Je suis allée parler avec la famille pour savoir comment nous pouvions les aider. S’il fallait amener le malade à l’hôpital, faire une collecte auprès des voisins, acheter les médicaments nécessaires… L’assistante du poste de santé est venue, lui a fait le test et nous a dit que ce n’était pas le Covid. Nous étions un peu rassurés !
Nous avons tout de même décidé de faire une collecte pour désinfecter les escaliers du quartier.
Toute cette situation me fait réfléchir à ma manière d’être : si je peux donner, si je peux aider davantage et m’y mettre à fond, je le ferai, en ayant conscience que cela implique ma santé et celle de ma famille. Au début, je pensais que je n’allais pas tomber malade, mais je me suis rendu compte qu’il y avait de plus en plus de cas, alors j’ai eu un peu peur.
Mes voisines me disent : « Ils ont fermé le marché, ne prends pas de risques, n’y va plus. Si tu as besoin de quelque chose, nous sommes là ». Avant, quand elles avaient besoin de moi, elles m’appelaient et me disaient : « Achète-moi ça ». Maintenant, elles ne me le demandent plus, au contraire, elles me disent : « Fais attention à toi, protège-toi, ne sors pas ». Ça me fait plaisir qu’elles disent ça.
Comme quatre profs à la fois
Je suis même devenue “enseignante”. Je dois être comme quatre profs à la fois : de maternelle, primaire, collège et lycée.
Parfois, je m’assois avec Adrian qui est en maternelle et je dois prendre une photo pour prouver qu’il étudie. On dessine ou on regarde les vidéos que l’institutrice envoie, on fabrique aussi des petites poupées en papier.
En primaire avec Matias, on travaille sur les additions et les multiplications, je le corrige et je le félicite quand il réussit. C’est une satisfaction pour moi parce que l’année dernière l’institutrice râlait et me disait : « Matias ne veut pas écrire. Il est très bon en mathématiques, mais pas en communication ». Depuis quelques jours, je lui dis « Regarde Matias, c’est comme ça », et maintenant il écrit tout seul ! Il me demande de lui dire des phrases courtes et il les écrit dans son cahier. Je le laisse se débrouiller petit à petit. On doit danser aussi et nous avons même fait des marionnettes avec des chaussettes.
En revanche, au collège, mes enfants me disent : « Maman, je comprends pas », alors je dois chercher sur Google ce que je ne comprends pas non plus et l’expliquer à ma fille. Je dois aussi être derrière Christian pour qu’il soit prêt à 14 h pour ses cours à la télévision.
Avec José, je dois être caméraman et enregistrer les vidéos avec mon téléphone pour ses examens. Je dois aussi aller chercher ce qui lui manque chez des voisines pour qu’il puisse présenter ses travaux. Il a un examen important ce samedi : il doit présenter son travail devant trois personnes qui l’évalueront.
Certains enfants ont des ordinateurs et vont sur Internet, mais d’autres, comme nous, n’ont pas d’ordinateur. Un jour, j’ai dit à l’enseignante que j’étais dans une situation compliquée, je vis dans la montagne et je n’ai pas ces possibilités. Toutes les mères se sont alors également plaintes et nous avons convenu que les activités ne se feraient plus par Internet, mais avec la télévision ou la radio. Mais l’enseignante continue de nous envoyer par Internet des leçons à imprimer, il y a parfois 12, ou 8 feuilles… Tous les jours, je dois imprimer ou recopier pour que mes enfants fassent leur travail. Pour ne pas payer trop d’impressions, ils recopient deux pages, ou mon fils Marcos en fait une et moi l’autre, et j’imprime le reste parce que c’est parfois fatigant de tout recopier à la main.
Ce devrait être la prof qui apprend aux élèves. Au début, elle le faisait, mais elle a arrêté. Elle envoie seulement un audio par WhatsApp et les enfants doivent faire le travail. Alors, je suis devenue enseignante.
Moi, j’ai toujours passé mon temps à travailler. J’arrivais fatiguée et j’essayais d’expliquer ses leçons à ma fille. Maintenant que j’enseigne à mes enfants, je tire mon chapeau aux professeurs qui doivent faire preuve de patience et suivre le rythme de chaque élève. Tu dois danser avec certains, tu dois en faire rire d’autres…
Pour la dignité de tous à travers le monde
Si vous pouvez participer, alors faites-le ! Si vous ne pouvez pas – parce que nous ne le pouvons pas tous – encouragez les autres. Les mots d’encouragement restent toujours en tête, toujours présents, ça donne des forces pour continuer à avancer.
Au début, je voyais les membres du Mouvement ATD Quart Monde comme des gens qui allaient en aider d’autres. À présent, je sais ce que veut dire ATD : « Agissons Tous pour la Dignité ». J’essaie de mettre ça en pratique dans ma vie. Ce n’est pas seulement pour ta dignité, mais pour la dignité des personnes du monde entier, que tu les connaisses ou non.
Voir la vidéo : Solidarité, attention mutuelle et résilience. Apprendre des initiatives des personnes en situation de pauvreté en Amérique latine pendant la pandémie.
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