Solidarité, entraide et résilience
Peinture : Virus, Guatemala, 28/03/2020 © Guillermo Diaz / ATD Quart Monde
« Cette crise nous conduit à repenser notre manière de vivre en tant qu’êtres humains »
Martha Calizaya, ATD Quart Monde Bolivie
Les invisibles
La pandémie de covid-19 a mis en évidence les inégalités, l’oubli et les mauvais traitements dont souffrent les pauvres depuis des siècles. Des millions de personnes se sont retrouvées sans les ressources nécessaires pour se nourrir, se procurer de l’eau, se loger, avoir de la lumière ou se soigner. Les aides proposées par certains gouvernements ne parviennent pas à tout le monde et nombreux sont ceux qui ne disposent même pas de documents officiels et ne peuvent jouir d’aucuns droits fondamentaux. La crise frappe durement les personnes laissées pour compte.
« Certains sont invisibles, on ne sait pas qu’ils existent. Par exemple des personnes sans-papiers qui vivent au jour le jour ou des personnes âgées qui sont seules – explique Victoria Huallpa. Un vieil homme, en me montrant un très vieux certificat de naissance, m’a dit : “J’ai ce petit bout de papier, je ne sais pas si ça va m’aider.” Ce sont des gens pratiquement invisibles pour l’État, et même pour nous tous si on n’est pas vigilants. Moi aussi j’ignorais qu’il y a des gens dans une telle situation. »
« La société marginalise les familles en situation de pauvreté », dit Luis Zepeda depuis la capitale du Guatemala. « Même quand on sait qui a besoin d’aide, qui manque de nourriture, on continue à mettre les gens de côté. C’est difficile d’obtenir un coup de main ».
À Escuintla, Aida Morales explique : « Nous sommes marginalisés. L’aide n’arrive pas parce que nous sommes dans des zones rouges. Pourtant, c’est là qu’il y a le plus de besoins puisqu’il n’y a plus de travail ».
Le confinement rajoute de la souffrance
La pandémie a aggravé la discrimination envers les pauvres sur tous les plans : éducation, travail, santé, accès à la nourriture et à l’eau… Mais ces discriminations ne sont pas nouvelles : « À la Vizcachera, dans la banlieue de Lima, au Pérou, nous vivons sans eau ni système d’assainissement depuis des années et personne ne nous écoute. Maintenant, c’est pire : avec le confinement, il y a davantage de souffrance », explique Julia Marcas.
Les difficultés ont également augmenté dans l’éducation. Le contexte d’enfermement a obligé les gouvernements à chercher des solutions en proposant des cours à la radio, à la télévision et sur Internet. Le défi est énorme pour toutes les familles, mais le prix le plus élevé est payé par les enfants les plus pauvres sans accès suffisant à Internet, sans ordinateur, et sans possibilité de payer pour imprimer ou photocopier les cours. Et leurs parents ne peuvent pas toujours les aider pour faire les devoirs.
« Certains enfants ont des ordinateurs et vont sur Internet, mais d’autres, comme nous, n’ont pas d’ordinateur portable. Un jour, j’ai dit à l’enseignante que j’étais dans une situation compliquée, je vis dans la montagne et je n’ai pas ces possibilités. Mais elle continue de nous envoyer par Internet des leçons à imprimer, il y a parfois 8 à 12 feuilles… Tous les jours, je dois imprimer ou recopier pour que mes enfants fassent leur travail. Pour ne pas payer trop d’impressions, ils recopient deux pages, ou mon fils Marcos en fait une et moi l’autre, et j’imprime le reste parce que c’est difficile de tout recopier à la main. Je suis devenue comme quatre profs à la fois, de maternelle, primaire, collège et lycée », raconte Sarita Guevara à Lima, au Pérou.
Au milieu de grandes souffrances, les parents les plus pauvres se sont retrouvés à jongler pour accompagner leurs enfants. Bien entendu, de nombreux enseignants s’efforcent d’être proches de leurs élèves et de leurs familles de la meilleure façon possible. D’autres, en revanche, ont blâmé les enfants et les parents les plus en difficultés de ne pas faire assez d’efforts. Par exemple, au Guatemala, le gouvernement a fourni aux enfants scolarisés un petit déjeuner par le biais d’une distribution bihebdomadaire aux familles. Pourtant, une école d’un des quartiers les plus pauvres de la capitale a conditionné ce droit à la bonne réception des devoirs faits par les élèves. Une fois de plus, pour les familles les plus pauvres, dépendantes de l’aide, un droit est devenu un outil d’humiliation et d’oppression à leur encontre.
Si l’oppression n’est pas nouvelle, la solidarité au sein des quartiers pauvres ne l’est pas non plus. Elle fait partie de pratiques ancrées dans la vie quotidienne bien avant que n’apparaissent la pandémie.
En Bolivie, Martha dit : « Nous avons vu que nous ne connaissons pas assez bien nos voisins. Nous connaissons ceux qui sont juste autour de nous, mais nous ne savons pas si les autres sont dans le besoin. J’ai réalisé qu’il faut connaître les gens pour pouvoir partager. L’être humain a besoin d’être lié à d’autres. Nous sommes déterminés à nous unir. Ça nous donne ce sentiment fort d’avoir besoin les uns des autres ».
Et Victoria d’ajouter : « Je ne savais pas qu’il y avait des familles invisibles. Maintenant je sais qui elles sont. Elles ne seront plus invisibles pour moi. J’espère aussi que l’État saura les prendre en compte, car des moments difficiles nous attendent ».
C’est une invitation à être attentif aux personnes qui nous entourent, à les connaître et à avancer ensemble pour que personne ne soit laissé de côté.
Nous avons vraiment besoin les uns des autres
« Nous avons beaucoup à dire, à apporter et à donner. Pourtant personne ne nous a écoutés quand nous étions enfants. Personne n’a écouté nos parents » - dit Luis.
Martha ajoute : « Il faut créer des espaces pour pouvoir exprimer ce que nous ressentons et pensons. Ces espaces aident à tenir le coup, à réfléchir, à se reconnaître, et à se retrouver soi-même aussi ». « Nous avons vraiment besoin les uns des autres », résume Roxana Quispe.
Au cours des derniers mois, ATD Quart Monde a créé des espaces virtuels de dialogue pour réfléchir ensemble aux conséquences de la pandémie de la Covid-19. Les expériences pour résister et ne laisser personne de côté ont été au cœur des conversations. Soulever nos voix de manière collective pour s’adresser à la société, non pas comme victimes, mais comme des personnes sujets de droits et moteurs de changement.
Le 21 juillet, un séminaire en ligne a été organisé pour apprendre ensemble et s’inspirer mutuellement. Il a rassemblé des personnes de Bolivie, du Pérou, du Brésil, du Guatemala, de Colombie et du Mexique.
« Nous voulons — a expliqué Luis — être reconnus comme des êtres humains et ne plus être mis de côté. Nous voulons disposer de moyens pour travailler et aller de l’avant. Nous savons qu’il y en a, mais ils sont dissimulés. Nous sommes des personnes à part entière et nous pouvons nous battre, nous pouvons avancer jour après jour ».
Noms des participants au séminaire en ligne :
Victoria Huallpa, Paulina Mollericona, Martha Calisaya, Roxana Quispe, Susana Huarachi, Luis Zepeda, Sindy Sequén, Vivi Luis, Aida Morales, Tatiane Soares, Milena Foronda, Sarita Guevara, Julia Marcas, Soledad Ortiz, Diego Sánchez, Daniele Mazzarelli, Amélie Lemoine, Fray Quispe, Julieta Pino, Beatriz Monje, Matt Davies, Carolina Sánchez Henao, Carolina Escobar Sarti, Yola Oblitas, Luciano Olazabal, Miriam Perez, Lara Philibert, Mariana Guerra, Pilar Boche, Rocio Rosales, Marcelo Vargas, Cinthya Torrez et Gracia Valiente.