« Pour que mes enfants ne vivent jamais cela ! »
Éditorial du n° 262 de la Revue Quart Monde, par Chantal Consolini-Thiébaud, Déléguée générale adjointe du Mouvement international ATD Quart Monde.
En février dernier, à Dakar au Sénégal, une soixantaine de membres du Mouvement se sont retrouvés pour un séminaire régional sur la recherche participative des dimensions cachées de la pauvreté1. Issus de dix pays d’Afrique, parlant six langues différentes, ils se sont approprié ces dimensions pour dire comment ils les vivent dans leur pays.
Maman Élise, venue du Burkina Faso, racontait que, devenue veuve avant la naissance de son enfant, elle n’avait pas pu le déclarer, car seul le père est en droit de le faire. Elle le sait, sans existence légale, l’avenir de son enfant serait fait d’exclusion, de souffrances et de non-reconnaissance :
« Sans acte de naissance, c’est comme si tu n’as pas de famille, tu n’es pas reconnu, tu perds ta dignité. »
Elle s’est battue pour enregistrer son enfant, devant subir parfois l’humiliation. Elle parlait aussi de ces femmes qui accouchent à l’hôpital, mais n’ayant pas les moyens de payer, se cachent pour en sortir. Elles n’ont alors pas le récépissé utile pour l’acte de naissance, condition à la scolarisation. En fin de séminaire, elle disait :
« Le rapport sur les dimensions de la pauvreté, c’est comme un acte de naissance, c’est notre vie. C’est un pouvoir pour nous lever et défendre les autres autour de nous. »
Dieu-Béni de Centrafrique, lui, transporte sur des charrettes à bras des charges parfois lourdes. Très stigmatisés et exclus malgré l’utilité de ce qu’ils font, lui et ses amis, avec le soutien d’ATD Quart Monde à Bangui, se sont organisés en collectif, portant badges et gilets. La force du collectif a changé le regard qui est porté sur eux. Forts de cette expérience, ils sont allés rencontrer d’autres pousseurs dans le pays. Dieu-Béni disait :
« Les dimensions de la pauvreté, c’est mon programme, c’est ce que je dois faire pour que mes enfants ne vivent jamais cela ! »
D’autres participants ont dit qu’ils parleraient à leur retour de ce qu’ils ont vécu à Dakar, pour faire comprendre à leur entourage. Être là, au milieu de tous ceux qui sont devenus des compagnons d’expérience, dans un autre pays, cela donne du courage : « Nous n’aurons plus peur de quitter notre pays. Aujourd’hui, nous savons ce qui est caché, nous en parlerons à d’autres à notre retour. »
Mettre des mots sur ce qu’on vit, c’est prendre conscience qu’on est un humain parmi les humains, que personne ne peut nous enlever notre dignité, qu’on a des droits et qu’on les revendique. Se mettre en mouvement avec d’autres, que ce soit dans des actions de partage de savoir, d’accès aux droits, à travers des pratiques culturelles, c’est aller au-delà des besoins, des problèmes à résoudre, c’est se lier à d’autres, c’est faire partie d’une communauté et contribuer à la bâtir, pour plus de justice. Nous sommes repartis de Dakar plus forts et déterminés.