« Maintenant que le printemps est arrivé »
© Dessin de Christine Lesueur. Mon cœur est dans ce caillou de Noldi Christen, Christine Lesueur (ill.), 1999, Ed. Quart Monde.
À l’occasion de la journée internationale des familles, cet extrait du livre « Paroles pour demain » de Joseph Wresinski1, fondateur du Mouvement international ATD Quart Monde, rend au hommage au courage et à la force de celles qui vivent en situation d’extrême pauvreté. Avec ces familles, mobilisons-nous tous·tes. C’est la condition pour que demain soit autre.
Comment vous dire l’angoisse de ces familles auxquelles, en plein hiver, l’administration a coupé le gaz et l’électricité, enlevant toute source de chaleur au foyer ?
Chez l’une d’elles, le plus petit a quinze jours à peine. La maman n’arrive pas à le réchauffer la nuit. Ce sont les voisins qui l’accueillent dans la journée pour qu’il ait chaud. Le plus grand a trois ans. Hier, dans le froid de la maison, la maman a dû le laver dans de l’eau à peine tiédie sur un Camping-gaz. L’enfant pleure, il tremble de froid et de peur. La voisine voudrait le prendre contre elle, le serrer très fort, mais elle n’ose pas, me dit-elle, à cause de ses propres enfants. « Ils sont capables de me dire : Lâche-le, il est sale, il ne sent pas bon ! »
Sans doute ceux qui coupent le gaz et l’électricité ne pensent-ils pas à ces choses-là : au froid des petits, au désespoir des mères de ne pouvoir réchauffer leurs enfants, de ne pouvoir accueillir dans la joie le père après une dure journée passée à la recherche d’un travail.
Cet hiver, j’ai connu des familles chez lesquelles on avait aussi coupé l’eau. Et je me rappelle Madame Planque qui nous disait : « On n’avait plus de chauffage, plus d’électricité, mais on tenait encore. Du jour où on nous a coupé l’eau, ce fut la fin de tout, on ne pouvait pas tomber plus bas. »
Lorsque l’eau manque, avons-nous idée du désarroi des mamans qui ne peuvent plus laver les enfants, évacuer les WC, faire la cuisine ? « On ne peut pas manger que des tartines ! » disait une femme dans sa détresse. Et encore, comment faire la vaisselle, laver le linge et nettoyer la maison ? Mais surtout, comment être propre et se sentir bien dans sa peau ?
Dans une cité voisine, une femme, trompée par la douceur du temps, me disait en cette fin de janvier : « Maintenant que le printemps est arrivé, ce sera moins dur. » Cette mère croyait sincèrement que les beaux jours étaient revenus ; elle le voulait.
Le monde de la misère croit toujours que demain sera autre. Moi, avec eux, je le crois aussi.