10 ans après Katrina : la tempête continue
Le 29 août 2005, l’ouragan Katrina dévastait la Côte Sud des Etats-Unis et La Nouvelle-Orléans, faisant près de 2000 morts et plusieurs dizaines de milliers de familles sans abri. Dix ans après, des milliers de familles parmi les moins fortunées de la Nouvelle Orléans n’ont pu retrouver des conditions de vie correctes et se sentent encore plus mises à l’écart. Un livre à paraître en français retrace leur histoire et leur combat.
Qu’est-il arrivé après l’une des catastrophes naturelles les plus destructrices et les plus coûteuses de l’histoire américaine? Qu’est ce qui a changé, comment les familles et les communautés ont-elles pu surmonter les difficultés? Le livre « On n’est pas faits pour vivre comme ça », traduit de l’anglais (« Not Meant to Live like This » paru en 2012) et disponible en e-book en septembre, recueille les témoignages d’une cinquantaine d’habitants en situation de pauvreté qui ont connu la dévastation de l’ouragan Katrina.
« Notre livre va montrer au monde nos combats, notre souffrance, et la force que cela nous demande d’élever nos enfants et de vivre dignement avec le peu que nous avons. Il témoignera de nos vies, pour que le monde n’oublie jamais ce que nous avons traversé, ce que nous traversons encore. » disait alors Sylvia Miller, l’une des co-auteur.
Dans les mois suivants la dévastation de la côte du Golfe en 2005 par l’ouragan Katrina, des membres d’ATD Quart Monde ont parcouru le sud des États-Unis afin de renouer avec les familles déplacées dans 7 Etats du Sud des Etats-Unis et rétablir un réseau de soutien. De la rencontre avec la famille Collins dans l’Arkansas est née l’idée d’un livre qui rassemble des témoignages de familles chassées par l’ouragan : « Nous devons faire en sorte que le monde prenne conscience de notre combat ». (Emelda Johnson)
Pas de droit de cité pour les plus démunis
Car ces familles qui avaient survécu pendant des années sous le poids de la pauvreté persistante sont souvent les dernières à avoir été évacuées. Beaucoup d’entre elles ne sont pas revenues vivre à la Nouvelle-Orléans. N’étant pas remboursées par les assurances car n’étant pas propriétaires, et ne pouvant payer les nouveaux loyers plus élevés après la reconstruction, elles ont été depuis littéralement chassées de la ville.
« Au Nord comme au Sud, les familles très pauvres sont touchées de plein fouet par les changements climatiques et leurs conséquences, souligne Isabelle Pypaert-Perrin, déléguée générale d’ATD Quart Monde. Comme ces familles de la Nouvelle-Orléans qui ont souffert quand l’ouragan Katrina a détruit leurs foyers et les a dispersées pour longtemps dans les 7 états du Sud des USA, et qui ont aussi été terriblement humiliées quand les autorités de la ville ont choisi délibérément de ne pas reconstruire les logements sociaux dans l’espoir qu’elles ne reviennent plus jamais.
Aujourd’hui, le centre touristique, les quartiers aisés de la ville ont été reconstruits mais pas les quartiers les plus pauvres et dans ces quartiers, les loyers sont hors de prix, des logements sociaux continuent d’être voués à la démolition alors qu’ils n’ont pourtant pas été inondés. Il n’y a plus de travail et l’aide sociale est quelquefois refusée à ceux qui veulent y revenir. La ville de New Orleans a été reconstruite, mais sans les familles les plus pauvres, elles n’y ont pas droit de cité. Elles disent : « Nous vivions dans la tempête avant Katrina, et nous sommes toujours dans la tempête ».
« Beaucoup de familles n’ont pas pu retrouver leurs logements, explique encore Maria Victoire, volontaire permanente d’ATD Quart Monde présente à La Nouvelle-Orléans au moment de l’ouragan. À l’occasion de la reconstruction de la ville, les investisseurs en ont profité pour acheter les maisons devenues inhabitables, les remettre en état et les louer plus cher ou les vendre. Après l’ouragan, plus de 5000 appartements et logements sociaux ont été démolis pour en reconstruire près de 3000 de standard supérieur. »
Eula Collins, militante d’ATD Quart Monde et co-auteur du livre, n’a regagné la ville qu’en 2013 et vit chez son fils. Elle cherche en vain du travail. Elle raconte : « Nous avons perdu notre logement. Nous avons tout perdu. Au moins, quand nous avons trouvé refuge au Texas, mes deux garçons ont pu bénéficier de bases assez solides pour continuer leurs études. Mais, pour le reste, rien n’a changé. »
« Les familles pauvres sont poussées à se loger là où les loyers sont les moins chers, poursuit Maria Victoire. Mais, dans les quartiers défavorisés du Lower Ninth Ward et de New Orleans East, les commerces et les services ont pratiquement disparu. Après l’ouragan, l’État, puis les « Charter Schools » (école privées à financement public) ont pris la tutelle des écoles gérées jusqu’alors localement, en élevant les niveaux de sélection. Les enfants des familles pauvres sont plus souvent en échec qu’avant et on fait reposer la faute sur les parents. Toutes ces injustices ne sont-elles pas des dénis des droits de l’homme ? »
Comment la voix, la pensée, le savoir, l’expérience, les aspirations de ces familles seront-elles pris en compte dans les négociations autour du climat pour la COP21 ? Ne sont-elles pas en réalité les premières à nous avoir alertés sur les dégâts faits à l’environnement et sur les changements climatiques, bien avant que le monde ne s’en inquiète, elles qui vivent depuis toujours dans les lieux les plus dégradés du monde ou sur des terres dont elles ne parviennent plus à tirer leur subsistance ? Aujourd’hui, il est urgent de prendre conscience de la double violence que subissent les très pauvres : la violence du problème du dérèglement climatique, qui les affecte en priorité, et la violence des solutions à ce problème construites sans eux et qui se retournent contre eux.
« Il s’agit pas juste de raconter nos vies mais de changer le monde. » (Walter Denzon). Avec ce livre, les familles trop longtemps oubliées de la Nouvelle-Orléans espèrent faire comprendre les épreuves auxquelles elles et d’autres font face au quotidien et encourager la société à tout faire pour que les politiques sociales correspondent enfin aux besoins des familles qui se débattent dans la pauvreté.
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crédit photo : agence FEMA by IP