Message de Bruno Dabout, Délégué Général du Mouvement International d’ATD Quart Monde.

Peinture : Guillermo Diaz Linares, Guatemala.

Les plus pauvres ne se font connaître que dans la mesure où ils ont confiance que ce qu’ils révèlent d’eux-mêmes change de façon durable l’action de leurs interlocuteurs. Ils ne peuvent être réduits à un rôle d’informateurs pour la pensée des autres.

Père Joseph Wresinski – 1983

Josefina

Josefina embrasse ses enfants ensommeillés. Son mari est déjà parti aux champs. Elle s’apprête à prendre la route qui sépare son village de la ville de Cusco. Là-bas, l’équipe de volontaires d’ATD Quart Monde l’attend pour la formation à laquelle elle s’est engagée.

Maintenant, Josefina songe, le front appuyé à la vitre d’un bus brinquebalant. Au retour, comment vivre les quinze jours d’une stricte quarantaine imposée par la pandémie ? La vie est devenue si compliquée. Les écoles ont fermé, les pauvres ont été chassés de la ville par la famine.

• « Faute d’Internet au village, je devais aller à Cusco. Je veux à tout prix en être, parce que dans ces réunions je me sens revivre et je trouve de l’énergie. C’est si important pour moi qu’on me prenne en compte. J’oublie mes soucis. Tout ce que j’apprends là-bas me permet de rester droite sur mon chemin ! »

Une formation au croisement des savoirs

Cette formation au Croisement des savoirs, à laquelle s’accroche de toutes ses forces Josefina, est conçue en partenariat entre ATD Quart Monde et une importante université du Mexique, et est proposée dans plusieurs pays d’Amérique latine. Josefina aime y retrouver ses « frères et sœurs » comme elle les appelle, d’autres qui, comme elle, ne comptent d’ordinaire pour personne. Elle y rencontre aussi des gens instruits, aux professions reconnues : universitaires, acteurs de développement communautaire…

Deux ans plus tôt, quand le projet a commencé, rien n’était gagné d’avance. Un des participants se souvient :

• « J’avais déjà parlé à des étudiants ou à des professionnels et c’est très compliqué. Ils ne cèdent presque jamais la parole. Ils pensent que nous n’avons aucune connaissance. Alors est-ce que j’allais être capable de dire ce que je sais ? »

Grâce à beaucoup d’inventivité et en puisant aussi dans les acquis de l’éducation populaire en Amérique latine, des échanges inédits ont eu lieu entre ces personnes d’horizons si différents.

« On est tous·tes les enseignante·e·s et les élèves les uns des autres, avec ou sans diplôme. C’est cela le Croisement des savoirs. »

Bien sûr les obstacles n’ont pas manqué. Par exemple, « lorsque j’ai été opérée, j’ai dû laisser les enfants derrière moi. Je risquais de mourir. Cela a affecté ma famille si fortement. C’était comme la fin du monde ».

Mais Josefina souligne ce qu’elle doit aux volontaires qui n’ont cessé d’être proches et « permettent à ceux qui sont abattus de se relever ». Et pour tous ceux qui la connaissent, sa persévérance est un tel cadeau !

Aujourd’hui, la formation arrive à son terme. La session finale peut enfin réunir les participants à l’université de Mexico. L’ambiance est colorée, tour à tour joyeuse et studieuse. Les rires éclatent et aussi l’émotion.

« Malgré l’étiquette que nous colle la société, nous sommes influents, et nous participons à notre communauté. »

Josefina serre son diplôme contre son cœur et imagine la fierté de ses enfants et de son mari quand elle rentrera. Elle reprend la route qui mène vers les autres.

• « Quand on s’engage, on doit continuer à se lever avec l’espoir qu’à un moment donné, nous pourrons sortir de ce cercle de pauvreté, n’est-ce pas ? Je sais que la pauvreté n’est pas seulement une question d’argent. La combattre c’est aussi une affaire d’émotion, d’affectivité, de communication et de connaissance. Je continue à participer à tout ce que je peux, à apporter ce que je sais. Autant que je le peux, je suis là. »

Soutenez-nous !

La formation à laquelle a participé Josefina est inscrite dans le Croisement des savoirs. Deux idées fondamentales sous-tendent la démarche :

• Toute personne, quelle que soit sa situation, a la capacité de penser.
• Face à la grande pauvreté, les savoirs universitaires se privent bien trop souvent des ressources du savoir de l’action et surtout du savoir des personnes qui vivent elles-mêmes des situations de pauvreté.

Cette formation menée en Amérique latine s’est fondée sur la pratique du Mouvement ATD Quart Monde mais aussi sur les apports pionniers du continent en matière de recherche-action participative et d’éducation populaire (entre autres les travaux du Brésilien P. Freire ou du Colombien O. Fals Borda).

De telles formations permettent la mise en œuvre d’actions qui ont de l’impact parce qu’elles sont réellement pensées avec les personnes en situation de pauvreté. Nous voulons continuer à les développer. Nous avons besoin que des donateurs et amis y croient avec nous et offrent leur soutien. Nous comptons sur vous !

Délégué général