Katrina, 10 ans après : « On n’est pas faits pour vivre comme ça. »
Le livre « On n’est pas faits pour vivre comme ça» (traduit de l’ouvrage en anglais Not Meant to Live like This, ATD Quart Monde, 2012) qui recueille les témoignages d’une cinquantaine de familles chassées de la Nouvelle-Orléans par l’ouragan Katrina en 2005 est sorti en français en format e-book (à commander ici). Nous vous en présentons ici des extraits.
(…) Le passage de l’ouragan, c’était le 29 août, et d’après l’administration de la prison1, les prisonniers n’ont été évacués que trois jours après. On a entendu à la radio que certains avaient été transportés en hélicoptère jusqu’à l’autoroute, près de Carrollton. Ils ont ensuite été répartis dans 38 prisons et pénitenciers d’État, un peu partout en Louisiane.
Cootis comptait parmi ces détenus. Il se rappelle cette expérience difficile.
Cootis : « Je me suis retrouvé en taule quelques mois avant Katrina. Quand on a su que l’ouragan arrivait, on s’est préparés, on a cru qu’on allait nous changer de prison avant la tempête. Mais ils nous ont dit qu’on n’allait pas bouger. Ce qui s’est passé, c’est que les gardiens et l’administration, ils ont commencé à mettre leur famille en sécurité et tout, et nous, ils nous ont enfermés dans nos cellules. Ils nous ont enfermés, ils ont fermé toutes les portes et ils nous ont dit qu’on n’allait pas avoir à manger. Forcément, les détenus ont commencé à péter un câble, y en a qu’ont essayé de mettre le feu. Ils nous avaient enfermés là-dedans et ils s’étaient barrés. Ils nous avaient pas dit mot pour mot qu’ils en avaient rien à foutre de nous, mais en partant comme ça, c’est ce qu’ils nous ont montré. Et on pouvait rien faire, on est restés enfermés dans nos cellules pendant des jours – sans eau, sans nourriture, sans rien du tout. Même pas d’électricité. L’eau a commencé à monter jusqu’au premier étage, puis jusqu’au deuxième. Moi, j’ai eu de la chance, j’étais au troisième, mais un de mes amis est mort noyé. Alors qu’il était censé rentrer chez lui. Ils le retenaient là juste pour une question de fric.
Y en a qu’ont réussi à exploser un mur de briques avec l’anneau en métal du panier de basket du gymnase. Ils ont commencé à sauter par ce trou, du troisième étage. L’eau avait pas baissé et y en a qu’ont réussi à s’enfuir, mais y en a d’autres qui se sont fait tirer dessus [les détenus racontent avoir entendu des coups de feu]. Je voulais pas me faire descendre, alors j’ai attendu trois ou quatre jours après la tempête. J’étais tellement faible, j’avais tellement faim ; j’ai perdu au moins cinq kilos enfermé dans ma cellule jusqu’à ce que quelqu’un se ramène et me fasse sortir. Ils m’ont fait sortir et ils m’ont fait descendre dans l’eau pour m’emmener dans une autre prison. J’avais tellement faim, j’étais tellement faible que je tenais à peine debout. Ils m’ont assis dans un bateau, et on est partis, avec tous les autres prisonniers qu’ils avaient rattrapés. Ils nous ont déposés sur l’autoroute près de Carrollton, et des bus ont commencé à arriver des autres États. On était 5000 prisonniers dehors, sur l’autoroute. Y en avait qui s’évanouissaient tellement ils avaient faim et qu’ils savaient plus quoi faire pour rester debout.
On est restés là à attendre qu’on nous embarque, que les bus scolaires s’arrêtent ou que des bus pénitentiaires nous emmènent dans une autre prison. On était trempés et on puait la mort vu que l’eau était contaminée. On crevait de faim, et tout le monde s’en foutait, comme si on n’était même pas des êtres humains, rien que des numéros. On était comme des animaux avec une laisse autour du cou pour pas perdre notre trace, et si on allait trop loin, on se faisait descendre ! Si on essayait de survivre, de sauver notre peau, pareil, on se faisait tuer. À cause de Katrina, soit on écoutait et on faisait ce qu’on nous disait, soit on mourait. Je savais même pas si la tempête avait emporté ma famille, s’ils s’en étaient sortis vivants. Fallait que je sache, mais je voulais pas mourir, alors j’ai juste fait tout ce qu’ils me disaient de faire. Quand tout ce merdier s’est terminé, j’ai dû purger ma peine, payer pour ce que j’avais fait avant ça.
Après m’en être sorti, je savais que je voudrais jamais revenir à La Nouvelle-Orléans. On dit que faut jamais dire jamais, mais ce qui m’est arrivé – de savoir que tu peux crever, que des gens t’ont laissé là à crever – t’es sûr de plus jamais vouloir le revivre. Si je veux éviter les ennuis, le mieux c’est que je m’approche plus de cette ville. Quand j’y vais, les ennuis me trouvent, j’ai même pas à les chercher. Imaginons que je traîne avec des potes, et paf ! les ennuis commencent, juste parce que je suis avec eux. J’ai fini par comprendre – au bout de 20 ans – que fallait que je quitte la ville et que je m’installe ailleurs. Et maintenant que je reste à distance, j’ai plus d’ennuis. J’aurais bien aimé y retourner un jour, mais je me vois plus considérer La Nouvelle-Orléans comme ma maison. OK, c’est la ville où je suis né, là où j’ai grandi, mais je peux pas y retourner. J’y retournerai pas.
Quand ils causent de Katrina et de comment ils ont réagi – le gouvernement et tout ça –, on voit bien qu’ils ont rien géré du tout. Moi, ce que j’en pense, c’est que personne en avait rien à faire de La Nouvelle-Orléans quand Katrina est passée. Ils ont pris tout leur temps, alors qu’ils savaient qu’y avait des gens qu’étaient en train de mourir, mais ils s’en foutaient. Si c’était arrivé n’importe où ailleurs, ils auraient été prêts, mais pour La Nouvelle-Orléans, personne était prêt ! Alors qu’ils savaient ce qu’allait se passer. Ils ont fait comme s’ils en avaient rien à faire. L’impression que ça m’a donné, c’est qu’ils nous ont laissés mourir. »
« On n’est pas faits pour vivre comme ça » est disponible sur les sites de vente en ligne de livres, au prix de 5 euros.