À l’origine du 17 octobre : marquer une avancée de la pensée sur les droits humains
Extraits d’une intervention de Joseph Wresinski, lors de la Conférence de presse internationale organisée le 13 octobre 1987 originalement publié sur le site du Centre Joseph Wresinski.
Poser un acte universel
La misère, la grande pauvreté, ces temps-ci, est devenue tellement criante qu’il était inévitable, il était nécessaire que, à un moment donné de l’histoire, on puisse poser un acte quasi universel pour faire mémoire des victimes de la grande pauvreté à travers le monde. Mais aussi pour nous rappeler que grâce à ceux qui vivent dans la misère, une avancée certaine s’est produite dans la compréhension des Droits de l’Homme.
En effet, ceux qui vivent dans la misère nous ont appris que le plus grand des dangers que pourraient courir ceux qui sont dans la misère, ce serait que soit créée une distinction entre libertés civiles et politiques d’une part et droits économiques, sociaux et culturels d’autre part.
- C’est parce que nous avons fait cette distinction que la grande pauvreté a pu refaire surface les années dernières dans nos pays riches. La grande pauvreté existait, mais elle a fait surface parce que justement nous étions très préoccupés, nous étions braqués, sur les droits civils et politiques et nous avons oublié trop souvent les droits économiques et sociaux et nous n’avons pas pris les dispositions nécessaires pour enrayer cette grande pauvreté, parce que nous n’avions même pas conscience qu’elle existait, parce que d’une certaine façon, nos préoccupations et nos combats étaient d’un autre ordre.
Ne plus être pris en compte
Nous avons oublié qu’un chômeur de longue durée devient rapidement un assisté. Pourquoi devient-il un assisté ? Parce qu’il n’est plus assuré social, qu’il ne fait plus partie d’un syndicat, ni d’un parti politique, il n’est plus consulté, il n’est plus libre. Il est un homme qui dépend de ceux qui l’aident, et dont on ne tient plus aucun compte. C’est ainsi que nous avons redécouvert que cet homme n’est plus un homme libre et participant ; que celui qui est expulsé de son logement, qui erre de lieu en lieu n’a plus le droit à une carte d’électeur, il n’est plus un citoyen ; sans travail, il n’est plus d’un syndicat, ni d’un parti politique ; sans logement, cet homme pauvre que nous rencontrons, cette famille pauvre que nous rencontrons n’est plus citoyenne et n’a plus le droit de voter.
Nous avons reconnu aussi que ces hommes-là, ces hommes, ces familles sans domicile reconnu, ne peuvent participer à aucune association défendant les intérêts des locataires. Il en est de même pour quelqu’un qui est miné par la maladie et qui dans cette situation de grande pauvreté, ne peut se présenter à l’hôpital, peut même être refusé par l’hôpital.
L’impossibilité d’avoir une vie associative
Ainsi, petit à petit, on s’aperçoit que sans santé, sans argent, lorsqu’on a l’esprit hanté par des problèmes de survie personnelle ou familiaux, des familles en grande pauvreté, des hommes et des femmes en grande pauvreté sont dans l’impossibilité d’avoir une vie associative. Leurs enfants sortiront de l’école sans maîtriser la lecture et l’écriture ; ce qui les condamne à être sans emploi demain, et par conséquent, non seulement à ne pas avoir une vie familiale, non seulement à ne pas avoir une vie professionnelle valable, stable, mais à ne pas pouvoir – et c’est peut-être le pire – avoir une vie syndicale et politique digne et être capable comme tout homme de s’exprimer et de se sentir partie prenante du pays dans lequel il vit, du développement du pays dans lequel il vit.
L’ indivisibilité des droits
C’est bien cela le progrès que l’opinion publique a fait, grâce aux plus pauvres : cette indivisibilité des droits est de moins en moins contestée. De plus en plus, elle est reconnue.
Voilà donc la raison pour laquelle cette manifestation se fera le 17 octobre : parce qu’il était important que l’on marque cette avancée de la pensée sur les droits humains.
Photo : dalle du Trocadéro © ATD Quart Monde