Hommage aux victimes de la maltraitance institutionnelle d’aujourd’hui et d’hier

Temps de lecture : 5 minutes

Prise de parole à l´Île de Gorée, Sénégal, octobre 2024

La traite atlantique a fait plus de 15 millions de victimes. Arrachés à leur terre, à leur famille, à leur culture, ces femmes, ces hommes et ces enfants ont été envoyé en Haïti, au Brésil et d´autres pays d’Amérique. On estime que plus de 2 millions d’entre eux ont perdu la vie au cours de la traversée et ont été jetés au fond de l’océan. Celles et ceux qui sont arrivés, ont vécu l´enfer. Par ailleurs, ces terres étaient habitées par des peuples autochtones qui ont été brutalement exterminés.

Privés de leur identité, ces femmes et ces hommes déportés étaient considérés comme des marchandises et non comme des êtres humains. Ils étaient exploités et soumis à de nombreuses violences. Ils se sont vu refuser le droit de pratiquer leur identité culturel, leur spiritualité et même de garder leur propre nom.  Les institutions établies à l’époque : églises, gouvernements, comme le pouvoir économique ont été complices de cette immense atrocité et ont même apporté un large soutien.

Aujourd’hui, nous portons encore les cicatrices de cette période, qui marquent nos corps et toute notre existence. Elles sont aussi à l’origine de nombreuses pratiques qui, encore à présent, soumettent une grande partie de la population des deux côtés de l’Atlantique à des situations insupportables de misère et d’exclusion. Survivre au système inhumain de l’esclavage demandait de la résistance, des qualités de force et d’intelligence que ces femmes et ses hommes ont appris à développer. Soit en s’organisant dans le marronnage, en créant des révoltes contre les maîtres ou des réseaux de solidarité dans les plantations, cherchant toujours d’autres stratégies, ils ont lutté pour leur liberté.

  • Aujourd’hui, nous portons encore les cicatrices de cette période, qui marquent nos corps et toute notre existence. Elles sont aussi à l’origine de nombreuses pratiques qui, encore à présent, soumettent une grande partie de la population des deux côtés de l’Atlantique à des situations insupportables de misère et d’exclusion.

En Haïti ces résistances individuelles des personnes mises en esclavage sont parvenues à un soulèvement collectif. Dans la nuit du 13 au 14 août 1791, un esclave révolté, Boukman, organise, au Bois-Caïman, une cérémonie politique et religieuse avec un grand nombre d’esclaves, venus de différentes tribus africaines.  La prêtresse Mambo, Cécile Fatiman, procède au sacrifice d’un cochon noir, dont les assistants boivent le sang afin de devenir invulnérables. Puis Boukman ordonne le soulèvement général. Le vaudou est un catalyseur dans la révolte des esclaves en Haïti. Ainsi, la fondation d’Haïti est l’aboutissement de l’insurrection anti-esclavagiste, menée par ces esclaves marrons, en 1791 et qui a conduit le pays à son indépendance en 1804 mettant fin à plus de trois siècles de colonisation. Cette révolte a marqué un tournant dans l’histoire de l’humanité ; l’impact fut considérable pour l’affirmation de l’universalité des droits humains, de la dignité de chacune et chacun, dont nous sommes tous redevables.

  • Cette révolte a marqué un tournant dans l’histoire de l’humanité ; l’impact fut considérable pour l’affirmation de l’universalité des droits humains, de la dignité de chacune et chacun, dont nous sommes tous redevables.

Haïti est en effet cette terre où des personnes mises en esclavage ont offert au monde la liberté. Elle a aussi aidé d’autres pays à obtenir la leur. Haïti est le symbole de la liberté. Mais cette indépendance n’est pas sans conséquence sur notre existence en tant que peuple. La communauté internationale n’a pas voulu accepter l’indépendance d´Haïti et a cessé tout commerce avec le pays. Fragilisant toujours plus cette nation naissante, l’ancien colonisateur a exigé réparation économique. Le jeune pays a dû s’acquitter de cette dette injuste, entravant considérablement son développement, ayant des conséquences pour chaque haïtienne, chaque haïtien et leur avenir, enfonçant le peuple dans une profonde misère qui dure jusqu´à aujourd’hui.

Île de Gorée
Mémorial de l’île de Gorée

Plus de 200 ans après l’esclavage, nous ne sommes pas des esclaves avec les chaînes aux pieds mais les cicatrices restent. Elles s’expriment au travers de l’injustice sociale, le racisme, l’ingérence, la domination par un système. En effet, un certain ordre mondial, pourtant ébranlé par les révoltes d’esclaves, persiste dans ses aspirations à la domination plutôt qu’à la paix.

Les pays impérialistes continuent de se développer, accueillant en très grand nombre sur leur territoire ceux que leur politique ont fatigués. Déracinés, ces derniers servent l’économie de ces puissances, affaiblissant le développement de leur propre pays. Il paraît évident qu’Haïti ne fait que payer son hardiesse pour avoir osé donner le goût de la liberté aux autres. Malgré tout, les haïtiennes et les haïtiens continuent à croire à un avenir meilleur. Bien qu’urgentes et nécessaires, les réparations économique et morale n’effaceront jamais les pages de cette histoire. Mais, au moins, peut-on la réécrire de manière plus juste et digne.


  • Malgré tout, les haïtiennes et les haïtiens continuent à croire à un avenir meilleur. Bien qu’urgentes et nécessaires, les réparations économique et morale n’effaceront jamais les pages de cette histoire. Mais, au moins, peut-on la réécrire de manière plus juste et digne.

Aujourd’hui, nous sommes ici en tant que Mouvement ATD Quart Monde pour rendre hommage aux victimes de la maltraitance des institutions d’aujourd’hui et d’hier, mais nous sommes aussi ici pour reconnaître la force de résistance de ceux qui ont lutté pour leur liberté, non seulement pour eux-mêmes mais pour tous les peuples de la terre. Haïti a été un grand exemple qui a montré au monde la force de la lutte collective pour la libération de toutes et de tous. Cependant, cette lutte n’est pas terminée et nous continuons à résister. Nous insistons pour garder vivantes nos racines, notre culture, notre spiritualité ancestrale et pour reconstruire les liens qui nous unissent à cette terre, jusqu’à ce qu’un jour tous les peuples soient reconnus en tant que tels.

Texte écrit par Laura Nerline Laguerre et Mogène Alionat d’Haïti, Carine Parent de France, Mariana Guerra et Eduardo Simas du Brésil


Pour comprendre le lien entre ATD Quart Monde et l’île de Gorée, lire aussi : Un devoir collectif de mémoire.