« Aller à la rencontre » du Centre International

Photo : Délégation de Lyon à l’entrée du Centre de Mémoire et de Recherche Joseph Wresinski, Baillet-en-France, 2021 © ATD Quart Monde


Cédric, Gindo, Monique, Nasser, accompagnés d’autres membres du groupe lyonnais d’ATD Quart Monde, sont allés au Centre International du Mouvement pour soutenir Yves Petit, volontaire permanent, lors de son retour d’expérience. Il revenait sur ses quatre années de présence dans un accueil de jour pour personnes sans logement ou mal-logées.

Chacun a parlé à partir de son expérience, depuis son point de vue, en écoutant celui des autres.

Gindo SIBANARI, France, 2020/12/31 © Yves Petit / ATD Quart Monde

Gindo : « La rue, c’est trop dur pour le cerveau, pour la santé et aussi au niveau social. Quand tu dors dehors, tu as du mal à dormir parce que tu penses toujours que quelqu’un va te voler, t’attraper ton sac ou ton téléphone. C’est violent. C’est la guerre. À l’accueil de jour, les personnes aiment bien parler, mais il y a aussi besoin de personnes pour les écouter. Quelqu’un dans la rue, dans sa tête il y a toujours : Où dormir ? Où manger ? Alors, les ateliers, les sorties, c’est important pour le moral. Je dis toujours que je veux faire quelque chose, peut-être pas pour moi, mais pour les autres. Depuis plusieurs années, je participe au Conseil des Usagers1.

Monique SABOURET

Monique : « J’anime un atelier d’écriture dans cet accueil de jour. Par plaisir, parce que j’aime faire cet atelier, et puis aussi pour faire naître l’envie d’écrire. Ensemble, nous nous évadons dans un univers qui apporte de la poésie au réel. Cet atelier permet de “rendre les mots” à chacun. Quand le lien social est attaqué, c’est le lien avec le langage qui est attaqué. Une fois, un participant a dit : “Je suis seul toute la journée, alors je perds mes mots”. Les personnes gardent la capacité d’observer, ce plaisir d’écrire de la poésie, de la prose. C’est comme une capacité à résister, un réconfort. Ça donne de la force en dépit des jours de solitude dans la rue. »

Cédric WIMBE, France, 2020/12/31 © Yves Petit / ATD Quart Monde

Cédric : « Il y a ceux qui ont du talent pour rencontrer les personnes dans les foyers. Moi, je préfère les rencontrer dehors. On parle de plein de sujets, pas que de la misère, des solutions aussi. On engage des conversations qui lancent des liens. C’est un savoir-être qui est important pour rentrer en lien. Et puis, ça me rappelle que quand j’étais dans la rue, j’avais des rêves. Pas grandioses, mais des rêves à mon niveau. Et là où je suis actuellement, ce n’est pas la fin, ce n’est qu’une étape.

Depuis que je suis avec ATD Quart Monde, quand je vais vers les gens, il y a toujours cet esprit d’échange. Je cherche aussi à récolter et à partager des informations. Je me rends compte que ce qui m’a maintenu dans la rue, c’est ce qui maintient encore d’autres. »

Nasser ALI, France, 2020/12/31 © Yves Petit / ATD Quart Monde

Nasser : « Les galères, c’est une grande traversée en bateau, et l’accueil de jour, ça m’a plutôt bien remis. Je pense que chaque individu a un potentiel et qu’il y a des personnes qui peuvent faire le lien pour donner confiance en soi.

Quand on est dans les galères, on devient plus réticent, on a des appréhensions. Mais il y a toujours ce côté qui pousse vers les autres, on ne sait pas pourquoi. Connaître les autres, c’est se découvrir aussi soi-même.  »

Yves PETIT, France, 2020/02/22 © Yves Petit / ATD Quart Monde

Yves : « Quand je présentais ATD Quart Monde comme un Mouvement qui se bat pour les Droits humains, je voyais que les personnes s’éloignaient. Ce n’est pas dans l’étape de la rencontre que la question des droits et du combat que l’on pourrait mener ensemble apparait. Il y a des personnes qui ne se reconnaissent plus « sujet de droit » parce qu’elles ont trop vécu d’expériences qui les ont éloignées de leurs droits. On dit que le droit au logement est un droit fondamental, mais ce droit n’est ni effectif, ni respecté en France. »

Le séjour s’est poursuivi par la visite du Centre International, à Méry-sur-Oise, mais aussi au Centre de Mémoire et de Recherche Joseph Wresinski à Baillet-en-France. Ces moments ont renforcé le militantisme de chacun.

Cédric : « C’est intéressant de voir qu’il y d’autres personnes qui se sont levées et qui ont fait avancer les choses dans la société. C’est rassurant quand tu vois d’où c’est parti, à partir de quelles matières les gens se révoltaient.

Si tu gueules dans la rue ta colère, même si elle est légitime, les gens s’en foutent. Qui va t’écouter ? Si tu l’organises avec ATD Quart Monde, c’est là où tu peux transformer ta colère et l’affûter pour que ce soit écouté.

Que ça aille dans la tête des gens. Qu’ils ne puissent pas dormir en se disant qu’ils n’ont pas entendu, que ce soient les politiques ou les autres. Ça m’inspire de vouloir mettre ma pierre à mon tour, même si c’est un petit caillou dans la chaussette des décideurs. Apporter aussi cette petite pierre à l’édifice. »

Nasser : « S’engager c’est rejoindre un combat ensemble. C’est important de savoir avec qui on s’engage. Avant de venir, je me posais déjà des questions pour savoir si ATD Quart Monde me correspond. Je trouve que ça s’incorpore en moi, dans ma démarche intérieure. Ce lieu permet de faire vivre cette réflexion.

Il permet aussi de faire vivre nos divergences et notre diversité, parce que tout le monde n’est pas forcément toujours d’accord sur tout et il faut du respect. Il faut une singularité plurielle.

Par rapport aux archives, c’est comme l’histoire de l’Homme, s’il n’y a pas de trace, on n’a pas de point de repère. Et là, c’est raconter du vécu, on peut dire des existences.

Pour ceux qui ont vécu des combats, des luttes, c’est une preuve de force et de fierté qui est ancrée. L’image que je vois, c’est comme une flamme qui est gardée ici et qui traverse le temps et les personnes, comme la flamme olympique. Quand on vient ici, on est touché par cette flamme et on se transforme en flambeau. C’est une lueur d’espoir. »

Gindo : « Je trouve que c’est important de garder des archives de ce que l’on fait. Souvent, avec les associations, quand on a fini quelque chose, on jette. Ici, on garde ce que l’on fait et on peut revenir pour revoir les documents si on a besoin de faire à nouveau. Par exemple si on est face à une situation difficile, on peut regarder ce qui a été fait dans le passé et voir ce qui était bien pour le refaire. C’est comme un Google.

J’ai pu rencontrer beaucoup de nouvelles personnes. Je suis à ATD Quart Monde depuis 5 ans. Ce séjour au Centre international m’a donné du courage et la confiance pour faire plus de choses avec le Mouvement. »

Autour de la sculpture de Philippe Barbier, Centre international ATD Quart Monde, Méry-sur-Oise, 2021 © Yves Petit / ATD Quart Monde
  1. Le Conseil de la Vie Sociale, parfois appelé conseil des usagers, est un lieu d’échange et d’expression sur toutes les questions intéressant le fonctionnement de l’établissement dans lequel sont accueillies des personnes. Il a été institué par la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale en France
  1. A la lecture de cet article, je serais tenté de dire qu’à ATD Quart Monde, nous sommes là pour soigner les relations plutôt que les personnes. Et pour cela, on travaille sur l’origine de la violence qui est en chacun de nous pour la transformer par des ateliers d’échanges de nos savoirs d’expérience et ne plus nous laisser entraîner à la projeter sur l’extérieur. Nous pouvons contrebalancer le poids de l’histoire de la souffrance infligé aux personnes que des système pervers ont fait tomber dans la grande pauvreté et qui sont liés à des postures de méfiance, de siècles de domination et de peur.
    Régis
    PS: mon commentaire s’inspire aussi du numéro 117 de la revue Igloos Quart-Monde « Le Procès des Pauvres dans l’histoire » richement documenté par l’historienne Marie-Claire Morel.

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