Apprendre des plus exclus
Extrait d’une interview de Claire Hédon -Présidente d’ATD Quart Monde France- réalisée en 2016.
- « Si j’ai choisi ATD Quart Monde, c’est parce que l’association encourage chacun d’entre nous à changer la société.
D’autres associations cherchent davantage à « gérer » la pauvreté, sans vouloir l’éradiquer.
- En arrivant à ATD, la première chose qu’on m’a demandée a été de repenser la façon dont je regardais les personnes en situation de pauvreté et d’écouter ce qu’elles avaient à dire.
C’est bien plus significatif que de me demander de faire un simple don.
Aucun d’entre nous n’est enfermé dans le rôle de « donateur » ou de « bénéficiaire ». Quand je participe à une réunion avec des personnes vivant dans une grande pauvreté, notre objectif est de réfléchir ensemble à des problèmes majeurs comme l’environnement ou l’éducation ».
En rejoignant Radio France Internationale (RFI), Claire Hédon a su apporter une contribution importante au quotidien des quatre millions d’auditeurs de ‘Priorité Santé’, émission qu’elle a animée chaque jour de 2003 à 2017 (année à laquelle elle fut nommée Adjointe à la directrice chargée des Magazines de RFI). Quelques 90 % de son public vit en Afrique.
L’émission laisse la parole aux experts invités dans le studio, ainsi qu’aux auditeurs via les appels téléphoniques. Les sujets traités couvrent un large éventail : de la malnutrition chez l’enfant au système de santé mentale au Congo. De par les thèmes abordés, Claire Hédon cherche à mettre en lumière des projets visant à améliorer l’accès aux soins en Afrique.
En parallèle de son activité professionnelle, Claire Hédon est impliquée dans la cause d’ATD Quart Monde depuis 1993 ; en 2015, elle est devenue présidente de la branche française de l’association. Elle apporte également un soutien financier régulier au volontariat permanent d’ATD. Ces membres à plein temps reçoivent tous la même indemnité minimum, indépendamment de leur ancienneté et de leurs responsabilités. L’organisation refusant toute hiérarchisation montre bien la volonté de l’association de se battre contre les inégalités et de maximiser les fonds consacrés aux actions. Des actions qui font la part belle aux projets culturels, tels que les bibliothèques de rue, les jardins aux histoires, les recherches participatives et, plus généralement, tout plaidoyer visant à améliorer les politiques publiques et à lutter contre les stéréotypes.
Cette interaction avec des personnes vivant la grande pauvreté a permis à Claire Hédon d’appréhender différemment son activité professionnelle. « A la radio, on est supposé aller vite dans les interviews, explique-t-elle. Mais dans le cas des programmes sur la santé, cela veut parfois dire qu’on donne davantage de temps d’antenne à un docteur, qui sait par avance ce qu’il va dire, qu’à une personne malade qui peut avoir besoin de plus longtemps pour organiser ses pensées. Être impliquée dans ATD m’a appris que les plus exclus ont beaucoup à dire, mais que les autres savent rarement les écouter.
Au travail désormais, je demande à mon équipe de consacrer plus de temps aux interviews et de se garder d’exprimer tout jugement. »
La diversité est un autre sujet qui tient à cœur à la journaliste. « Nous grandissons en ne parlant qu’avec des gens de notre propre classe sociale, ce qui soulève des questions sur notre système éducatif. A Radio France Internationale par exemple, nous sommes bien conscients que la plupart de nos auditeurs vivent en Afrique, et nous sommes donc très sensibles à la diversité culturelle ; mais la question de la diversité sociale n’est pas résolue. Si nous choisissons d’embaucher de nouveaux collaborateurs venus de milieux défavorisés, nous apportons alors une diversité dans les points de vue abordés dans nos émissions. Faire ce simple petit effort aide vraiment à rendre notre propos plus pertinent. C’est la même chose pour la diversité entre les genres. Ainsi, si l’on évoque des problèmes de santé affectant majoritairement les femmes, tels que la mortalité maternelle, il paraît plus sensé d’entendre l’avis de femmes médecins. »
Quand Claire Hédon se retrouve à la place de l’interviewée, le mot « éthique » revient souvent dans son discours. Elle prête ainsi une grande attention à cet aspect dans le domaine de l’industrie pharmaceutique. Dans ses émissions, elle cherche à protéger au maximum la vie privée des personnes malades interrogées, ce en demandant à son équipe de simplement les laisser parler, en posant le moins de questions possible.
C’est également cette considération éthique qui l’a attirée chez ATD. « Ici, personne ne gaspille un seul centime. J’admire les volontaires permanents qui arrivent à se débrouiller avec des indemnités aussi basses, alors que dans d’autres associations à but non lucratif, les membres perçoivent des salaires bien plus élevés. C’est non seulement un véritable défi pour leur budget, mais ça change aussi fondamentalement leur rapport avec les personnes en situation de précarité. Chez ATD, c’est différent ; alliés, volontaires permanents sans grands moyens ou personnes en situation de pauvreté, nous interagissons tous sur un vrai pied d’égalité. L’association a mis en place les Universités Populaires, où je transmets des enseignements autant que j’en reçois. Par exemple, j’explique aux participants de l’Université Populaire, qu’ils soient en situation de pauvreté ou non, comment s’exprimer en public. En même temps, les personnes en situation de pauvreté m’en apprennent tellement sur leur réalité quotidienne, leur énergie, leurs espoirs pour l’avenir. Et ensemble, nous cherchons à faire changer les mentalités afin de ne plus vivre dans des sociétés aussi inégalitaires. »
Claire Hédon est également frappée par les problèmes éthiques que posent les levées de fonds par les associations à but non lucratif. « Lors de leurs appels aux dons, certains organismes jouent sur l’émotion, mais n’expliquent pas vraiment comment l’argent sera dépensé. C’est de la manipulation. Quant au public, il cherche à être généreux avant de savoir où finissent les donations. C’est un comportement que l’on a pu observer après le tsunami de 2004 en Asie. Beaucoup de donations ont été faites à des groupes qui n’avaient aucune idée de comment les utiliser.
La question posée par ATD n’est pas : ‘Quel pays est le plus dans le besoin ? », mais plutôt : ‘Comment les personnes en situation de pauvreté dans le monde entier peuvent unir leur intelligence pour permettre à toutes les sociétés de progresser ?’ »
Dans son travail, aussi bien à la radio qu’au sein d’ATD Quart Monde, la journaliste fait tout son possible pour apporter une contribution éthique et pertinente à cette volonté de progrès.