La Charte Sociale Européenne pour une défense effective des droits sociaux
Le 10 décembre dernier, à Madrid, au Centre Social Galileo, à l´occasion de la Journée des Droits de l´Homme, ATD Quart Monde Espagne en collaboration avec la Marea Básica [Mouvement Social de Base pour la Défense des Droits Fondamentaux et contre la Précarité], ont organisé une journée de formation et une rencontre des organisations autour du thème: “Derechos Sociales, ¿hermanos pequeños de los derechos humanos?” [Les droits sociaux : parents pauvres des droits humains?]
Les participants à cette journée de travail ont abordé les possibilités qu´offre la Charte Sociale Européenne pour la défense des violations des droits en Espagne et ailleurs. Les interventions ont traité le sujet sous différents aspects :
- L’expérience des organisations internationales dans l’utilisation de la procédure des réclamations collectives.
- La défense des droits pour les personnes en situation de précarité sociale par les organisations de la société civile et grâce à la mobilisation sociale.
- La ratification de la Charte Sociale Européenne au sein du Parlement espagnol au niveau politique.
- La possibilité de s’appuyer sur la Charte Sociale lors de recours en justice.
Les politiques sociales sont sous tension depuis plusieurs années en Europe. La crise financière et économique de 2008 a obligé les pays à réduire leurs budgets et les coupes budgétaires ont touché aussi la protection sociale de la population. Et même au-delà de la crise, des situations intolérables et injustes perdurent.
Comment résister et obtenir des changements pour une vie digne pour tous ? La Charte sociale européenne « même si son nom ne l’indique pas clairement, c’est pourtant un traité sur les droits humains que les États qui l’ont ratifié sont obligés de respecter », nous rappelle Carmen Salcedo Beltran, professeur en droit à l’Université de Valencia.
Ainsi, lorsque la Grèce a décidé de baisser le salaire minimum pour les travailleurs de moins de 25 ans et qu’elle a porté la durée maximale de la période d’essai pour un emploi à un an, elle a été interpellée par le Conseil de l’Europe pour manque de respect de la Charte sociale européenne.
En Espagne, les systèmes de garantie de revenu minimum sont insatisfaisants dans la grande majorité des régions du pays. A ce propos, le Comité européen des droits sociaux a conclu à répétition, depuis 1996, que l’article 13 paragraphe 1 de la Charte sociale n’est pas respecté car le régime de revenu minimum n’est pas suffisant.
Faire appel à la Charte sociale pour faire respecter des droits
Malgré leur caractère obligatoire, les décisions du Comité européen des droits sociaux ne suffisent pas toujours pour que les législations soient changées. Cependant, des problèmes sociaux graves sont ainsi reconnus et qualifiés comme un déni des droits fondamentaux sur la scène publique internationale et devant les tribunaux il est possible de s’y appuyer pour réclamer un droit.
« Aujourd’hui, dans le contexte européen, il devient de plus en plus difficile de voir clairement ce qui fait réellement référence pour les droits sociaux. En 2000, l’Union Européenne s’est dotée de la Charte des droits fondamentaux et très récemment, en novembre 2017, elle a adopté un Socle des droits sociaux. Tout cela est utile », dit Bert Luyts, délégué d’ATD Quart Monde à l’Union Européenne, « mais ne perdons pas de vue que la Charte sociale européenne reste le socle du socle ! »
Deux exemples montrent comment la Charte sociale a déjà servi dans le combat pour le respect des droits humains des personnes vivant dans la pauvreté :
- En janvier 2006, ATD Quart Monde a déposé une réclamation collective contre la France parce que de nombreuses personnes et familles vivant dans la pauvreté n’avaient pas accès au logement social ou seulement après des délais extrêmement longs. Après examen et des auditions, en décembre 2007, le Comité européen des droits sociaux a confirmé que la France violait les articles 31 sur le droit au logement et l’article 30 sur la protection contre la pauvreté. Cette réclamation collective a certainement contribué à accélérer l’adoption de la loi sur le droit opposable au logement au cours de 2007.
- En 2014 la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) a été mobilisée pour une réclamation collective contre l’Irlande, afin de dénoncer l’insalubrité et l’état indécent persistant d’une partie du parc de logements sociaux. Conclusion du Comité européen des droits sociaux en mai 2017 : l’Irlande ne respecte pas l’article 16 de la Charte sociale européenne. Bien qu’il soit trop tôt pour juger si le gouvernement prend les moyens pour améliorer l’état des logements sociaux, pour les locataires cette conclusion venue de Strasbourg est importante. Enfin il est reconnu que la faute du mauvais état de leurs logements est en grande partie des bailleurs et de l’État et non seulement dû à l’entretien défaillant des locataires.
Ce sont deux exemples de recours à des réclamations collectives dans le cadre d’un protocole que les États peuvent ratifier pour rendre effective la Charte sociale révisée1. Elle permet aux partenaires sociaux et à des ONG internationales habilitées, de faire examiner des normes et des pratiques qui ne sont pas conformes à la Charte sociale et d’obtenir que les États soient obligés d’appliquer des changements législatifs et administratifs. Dans les pays qui n’ont pas ratifié le Protocole des réclamations collectives, cette démarche n’est pas possible. Mais dans ces cas, le contrôle par l’examen des rapports des pays sur leur mise en œuvre de la Charte peut aussi aboutir à des recommandations contraignantes.
Ainsi l’Espagne est sommée, depuis 1996, d’améliorer le dispositif de revenu minimum. Un collectif d’associations, dont fait partie ATD Quart Monde Espagne, avec Caritas Espagne, EAPN Espagne et la Plate-forme du tiers secteur, encourage d’utiliser la Charte devant les tribunaux administratifs dans les causes concernant le système de revenu minimum. Ce collectif a demandé au gouvernement et au parlement de ratifier la Charte sociale révisée et le Protocole des réclamations collectives. Le 23 novembre dernier a été votée à l’unanimité une motion en faveur de cette ratification au Congrès des députés.