Les citoyens s’organisent pour garantir le droit au logement
En 2017, ATD Quart Monde a invité à écrire des histoires vraies de changement contre une situation d’injustice et d’exclusion pour montrer que lorsqu’on s’unit pour un même combat la misère peut reculer.
Les articles sur notre site ne sont pas signés car il s´agit de favoriser une voix collective. Dans le cadre des 1001 histoires, l’auteur met en lumière une histoire vécue.
L’histoire qui suit a été écrite par le Groupe anti-expulsions de Tetuan (Association de voisins), Espagne.
En Espagne, l’explosion de la bulle financière dans le secteur immobilier et les plans d’urbanisme excessifs ont laissé un grand nombre de logements inachevés ou à vendre, mais cela a également créé une vaste crise du logement. Le grand paradoxe de ce pays est qu’il y a 3,5 millions de logements inhabités (le niveau le plus haut d’Europe), alors que beaucoup de personnes n’ont pas de logement. De plus, la crise économique, la hausse des prix due à la spéculation et au fort taux de chômage (25% de la population active), a fait que de nombreuses personnes ont perdu leur logement car elles se trouvaient dans l’incapacité de payer leur loyer ou leur hypothèque. Les maisons sont aux mains des banques, des entreprises immobilières et des « fonds vautour » (fonds d’investissement spéculatifs qui profitent de la situation pour faire des bénéfices).
Le manque de logements sociaux (à peine plus d’1% du parc immobilier) ou de logements en location empêche que le droit au logement devienne une réalité pour beaucoup de gens.
Face à cela, les citoyens agissent et s’organisent depuis le début de la crise, dénonçant le manque de politiques publiques pour résoudre le problème du logement : occupation de logements vides, création d’associations de voisins dans les quartiers affectés, mouvements sociaux comme la PAH, un mouvement social luttant pour le droit au logement digne qui a entrepris plusieurs actions comme inciter les grands propriétaires à mettre en location les logements vides, lutter contre la spéculation et empêcher les expulsions.
Face à des milliers d’expulsions qui entraînent une grande violence pour les familles, la société civile cherche des alternatives pour que le pays garantisse un accès au logement à tous ses citoyens.
Le Groupe anti-expulsions de Tetuan (un quartier populaire de Madrid), se réunit chaque mercredi en assemblée dans le local qui leur est prêté par une association de voisins du quartier. Chaque personne expose sa situation et les habitants cherchent ensemble des solutions avec les conseils d’un avocat, mais aussi grâce à l’entraide mutuelle. Quand il faut défendre un dossier, les habitants se rendent ensemble au tribunal car ils sont ainsi plus forts.
Ce jour-là, ils veulent signaler qu’il y a plusieurs logements de l’Institut du Logement de Madrid (IVIMA) qui restent inoccupés dans le quartier.
Les voisins présents exposent leurs problèmes. L’un d’entre eux raconte que l’IVIMA lui a offert un logement social, mais que celui-ci se situe dans un village en dehors de Madrid, le déracinant du lieu où il vivait. « Ils deviennent des robots » se plaint un voisin, en parlant de l’administration.
- « Si tu refuses un logement, tu n’as plus le droit d’accéder à un logement public pendant 3 ans ! »
« Maintenant ils n’annoncent plus ni le jour ni l’heure de l’expulsion, parfois nous le découvrons seulement le matin-même », dit une dame dont la maison appartient à une banque.
Différentes personnes parlent de leur date d’expulsion et se demandent quoi faire : demander l’aide d’un avocat commis d’office ? Aller à la banque pour faire pression et demander un moratoire de 3 ans ? Ils savent que le dernier recours sera de tenter de bloquer l’expulsion ensemble, comme ils l’ont déjà fait plusieurs fois, quand les uns s’enchaînent à la maison, ou d’autres s’assoient devant l’entrée, pour empêcher les forces de l’ordre d’entrer dans la maison et d’expulser la famille. Une situation de grande violence que tous veulent éviter.
Une personne raconte qu’elle a signé pour un logement, mais qu’ils ne lui ont toujours pas remis la clé. « Tu dois demander à ce qu’ils te la remettent avant l’expulsion » recommande l’avocate.
Un homme qui a été expulsé il y a peu, explique avec beaucoup d’émotion que sa famille est à la rue : ils n’ont plus d’argent pour payer l’hôtel. Les services sociaux leur ont dit qu’ils peuvent héberger les enfants dans un foyer, mais les parents ne veulent pas être séparés de leurs enfants. Une voisine propose d’accueillir leur fille, mais elle n’a pas assez de place pour toute la famille. Finalement, les voisins s’organisent pour que la famille puisse occuper un logement vide.
Une autre femme raconte qu’ils l’ont expropriée de son logement parce que les responsables du plan d’urbanisme ont décidé de faire un parking sur l’emplacement de sa maison. Ils lui ont donné de l’argent : « ils nous ont jeté à la rue et ont détruit notre maison. Mais ils n’ont rien construit à la place au final ! ». La famille a loué un logement mais il ne leur reste plus d’argent.
Jessica a vécu deux expulsions et elle a dû vivre pendant un temps dans la rue avec ses deux enfants. Elle occupe une maison vide de l’IVIMA et a envoyé les papiers pour régulariser sa situation. Mais l’IVIMA dit avoir vendu sa maison et leur annonce leur prochaine expulsion. Depuis, elle vit sous le poids de l’angoisse. « Il faut faire venir les médias ! » disent les voisins.
- « S’il n’y avait pas ce groupe de voisins, explique Jessica, il n’y aurait plus aucun espoir… C’est le soutien mutuel dans le groupe qui nous aide ».
Samira, membre des voisins qui anime le groupe et qui a vécu aussi une situation difficile, rappelle à tous les stands à tenir dans le quartier de continuer à faire signer l’Initiative Législative Populaire- ou ILP1.
A Madrid, ce projet de loi à l’initiative des citoyens mobilise toutes les associations de quartier depuis plusieurs mois. Il entend rendre effectif le droit au logement selon l’article 47 de la Constitution. Les habitants de la communauté de Madrid devaient récolter 50 000 signatures et présenter la ILP devant l’Assemblée de Madrid le 26 mai afin qu’elle soit traduite en loi.
Finalement ils ont récolté 76 733 signatures de personnes qui souhaitent que cette proposition de loi fasse l’objet d’un débat au parlement régional, soit beaucoup plus que le nombre de signatures nécessaires. Maintenant il appartient aux partis politiques de tenir leur obligation pour entreprendre les démarches nécessaires vis-à-vis de cette proposition.
Enfin une solution sur le long terme pour que le droit au logement devienne une réalité ?
La solution sera collective et politique, les voisins de Tetuan qui ont fait le pari de lutter ensemble chaque jour, en sont convaincus.
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- La ILP comporte plusieurs axes : protection contre les expulsions et accès au logement public ou social, politique claire d’accès d’urgence aux personnes en situation de détresse, obligation des banques et structures immobilières d’offrir un logement social en cas d’expulsion de personnes vulnérables, etc.