Combattre la Pauvreté : Les défis de l’après-2015
Voeux du nouveau Président du Mouvement International d’ATD Quart Monde, M.Cassam Uteem
Beau Bassin, République de Maurice, le 31 décembre 2014,
Au moment où, aux quatre coins du globe, l’on s’apprête à accueillir le nouvel an, certains dans la joie et d’autres dans la tristesse, l’insécurité ou l’indifférence, nous avons une pensée spéciale pour tous ceux et celles dont le quotidien est un combat farouche et incessant pour leur survie propre et celle de leurs familles : des personnes qui ont un emploi précaire et des revenus insuffisants, d’autres, chargés de famille, qui sont à la recherche d’emploi ou d’autres encore qui souffrant d’un handicap, ne peuvent mener une vie active et doivent subsister tant bien que mal grâce aux allocations sociales ou à la générosité d’autrui. Nombre de personnes vivent en marge et sont mises au ban de la société. De nombreux pays en développement n’arrivent pas à instaurer un système de protection sociale pour tous leurs citoyens et les plus démunis ne vivent que par la pratique quotidienne de la solidarité entre amis, parents ou voisins.
Aujourd’hui dans le monde, des millions d’enfants ne mangent pas à leur faim et d’autres meurent faute de soins appropriés. Et pourtant la planète regorge de nourriture – Frantz Fanon, personnalité politique et essayiste martiniquais du XXème siècle, disait en son temps que les poubelles de l’Occident sont remplies de nourriture pendant que les enfants du Tiers monde mouraient d’inanition – et les médicaments pour soigner et guérir ceux qui souffrent existent en quantité suffisante mais ils ne sont accessibles qu’à ceux qui ont les moyens de les acheter. Les pauvres eux peuvent entre temps continuer à vivre dans l’espérance !
En l’an 2000, dans la déclaration du Millénaire, les dirigeants du Monde prenaient l’engagement d’éliminer la misère, ‘phénomène abject et déshumanisant’, là où elle existait et, dans un premier temps, de réduire de moitié, en 15 ans, la population mondiale dont le revenu était inférieur à un dollar par jour, c’est-à-dire ceux qui vivaient dans la grande pauvreté. C’était l’objectif phare, si j’ose dire, des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Nous sommes aujourd’hui à la veille de la date butoir et force nous est de constater le succès relatif des OMD qui ont laissé de côté bon nombre de ceux qui font face aux plus grandes difficultés dues à la pauvreté. La recherche-action participative associant plus de 2,000 personnes de 22 pays, entreprise par le Mouvement ATD Quart Monde de 2011 à 2013, pour évaluer les OMD, a clairement montré que, ‘très souvent, les projets de développement sont inadaptés et se retournent contre les personnes vivant dans l’extrême pauvreté.’ Le Rapport du Groupe de personnalités de haut niveau nommées par le Secrétaire général des Nations Unies et chargées du Programme de développement pour l’après 2015 reconnaît d’ailleurs que les OMD n’ont pas réussi à atteindre les plus pauvres et les plus exclus de la société. Il faut donc s’assurer que les Objectifs du développement durable qui prendront le relais des OMD soient plus inclusifs et ne laissent personne au bord de la route.
Pour briser le cercle vicieux de la pauvreté, l’accent est souvent mis, avec raison, sur l’importance de l’éducation – une éducation de qualité – qui permettra au jeune d’optimiser ses talents et d’avoir une formation adéquate et appropriée pour son intégration éventuelle dans le monde du travail. Or, l’enfant du milieu pauvre, et donc défavorisé, arrive difficilement et pour de multiples raisons à prendre avantage de l’éducation et la formation dispensées dans les écoles et autres instituts de formation même lorsque les cours sont gratuits. Il est indispensable aux enfants issus des familles qui sont en situation de pauvreté d’être pris en charge très tôt, d’abord au moyen des crèches et des écoles maternelles pour pouvoir accéder au primaire dans les meilleures conditions possibles. Un enfant dont la famille fait face à la misère n’arrivera pas à suivre la classe et à se concentrer sur ses études s’il a le ventre creux et porte le souci de la survie des siens. C’est pourquoi, il est vital de mettre en place une politique d’accès aux droits pour tous, selon les Principes Directeurs Extrême Pauvreté et Droits de l’Homme adoptés par les États dans le cadre des Nations Unies en 2012. De nombreuses initiatives sont possibles dans ce domaine. Ainsi, en Inde, obligation est faite à l’État de fournir quotidiennement et gratuitement à chaque élève de l’école primaire publique un repas chaud à l’école, ce qui permet de progresser simultanément vers le droit à l’éducation pour tous et vers une certaine sécurité alimentaire pour les enfants.
Puisque les responsables politiques mondiaux vont devoir se retrouver cette année, au siège des Nations Unies fort probablement, pour débattre de la suite à donner aux OMD, nous pouvons espérer qu’ils ne se contenteront pas de rester dans le registre des généralités mais se donneront les moyens de mener à bien des programmes précis et ciblés pour, entre autres, éliminer la grande pauvreté. Dans ce contexte, nous osons leur proposer la mise sur pied d’un fonds de solidarité internationale destiné à la création d’un socle national de protection sociale dans tous les pays, en priorité dans ceux dont les ressources disponibles ne sont pas suffisantes. La protection sociale comprend la sécurité d’un revenu de base et l’accès à des services essentiels, tels que l’éducation et les soins de santé. Les organisations de la société civile et les personnes en situation de pauvreté devraient être associées à la conception, la mise en œuvre et le contrôle des socles nationaux de protection sociale, afin que personne ne soit laissé de côté. Ces mesures seront l’expression concrète de la volonté politique des dirigeants mondiaux de combattre la pauvreté en offrant des chances égales à tous les enfants et à toutes les familles.
Pour un monde plus juste, plus solidaire – une terre de paix ! Meilleurs vœux à tous,
Cassam Uteem
Président du Mouvement international ATD Quart Monde