Qui peut définir ce qu’est la pauvreté ?

Et si les personnes qui souffraient de la pauvreté définissaient cette notion aux côtés des chercheurs ?

Maryann Broxton, coordinatrice de l’équipe de recherche aux États-Unis autour de nouvelles dimensions de la pauvreté, explique pourquoi les personnes qui vivent au quotidien la pauvreté devraient jouer un rôle dans la définition et la mesure de ce qui est la pauvreté.

Combien de personnes souffrent de la pauvreté dans le monde ? Combien arrivent à s’en sortir grâce aux programmes mis en place contre ce fléau ? Est-il pertinent d’évoquer le seuil de pauvreté de 1,90 dollar par jour lorsqu’on vit dans un pays dit développé ? La nourriture offerte à titre gracieux doit-elle être comptabilisée dans les revenus d’une personne ? Est-on considéré comme pauvre si l’on a 1,90 dollar par jour mais aucun accès à l’eau potable et aux soins de santé ? Qu’est-ce que la pauvreté ?
Voici certaines des questions que se posent les économistes et statisticiens quand ils parlent de définir et de mesurer la pauvreté. Mais qu’en pensent les principaux concernés, ceux qui souffrent de ce fléau au quotidien ? C’est à cette question qu’ATD Quart Monde veut répondre au moyen d’un projet international de recherche sur des dimensions de la pauvreté étendu sur trois ans. Maryann Broxton explique l’importance et la signification de ce programme pour elle-même, ainsi que pour tous ceux impliqués dans la lutte contre la pauvreté.

L’importance et la signification du projet

Les Aspects Multidimensionnels de la Pauvreté1 ou AMP sont très importants car habituellement, quand on étudie la pauvreté, on étudie des personnes. Ce sont souvent des professionnels diplômés qui se chargent de telles études – comme des sociologues, des psychologues, des économistes ou des statisticiens. Ils observent des populations en tant que sujets d’étude, en retirent des informations puis font des interprétations selon ce qu’ils jugent pertinent. Ils racontent une histoire.

Notre projet s’appuie sur une démarche complètement opposée. Il implique, du début à la fin de son processus, des personnes faisant l’expérience de la pauvreté. Notre groupe de recherche des États-Unis a plusieurs fonctions. Nous organisons et facilitons le travail en groupes de pairs (du même milieu). Nous jouons également un rôle dans l’élaboration et la révision du rapport des États-Unis, document sur lequel nous nous baserons pour concevoir ensuite le rapport définitif qui regroupera le travail des six pays où la recherche internationale se déroule.

Seules trois dimensions sont incluses dans l’indice de pauvreté multidimensionnelle (IPM) ; et nous savons qu’elles ne sont pas suffisantes. L’histoire que m’a racontée Shawn, un autre membre de l’équipe de recherche aux États-Unis, le montre bien. Shawn a grandi dans un endroit qui ne disposait d’aucun accès à l’eau. Mais comme c’était le cas pour tous les habitants de cette zone, ce manque n’était pas considéré comme un facteur de pauvreté. En réalité, on mesure la pauvreté par le niveau de violence subi – niveau qui n’est pas pris en compte par l’IPM. L’histoire de Shawn prouve qu’il s’agit d’une lacune.

Maryann (à gauche) en compagnie de l’équipe de la Nouvelle-Orléans lors d’une formation avec les coordinateurs AMP.

 

Le projet permet à chacun d’apporter ses connaissances

J’ai toujours vécu en situation de pauvreté – et cela que j’ai eu 1,90 dollar par jour, un peu moins ou même un peu plus. Ça a toujours été ainsi, que je travaille à temps plein ou non. Cette expérience de vie, je l’ai apportée avec moi pour contribuer au projet. J’ai fait part de mon combat en tant que mère célibataire ; j’ai expliqué comment il était possible de s’en sortir dans cette situation. Ayant été diplômée récemment, je peux à présent aussi m’appuyer sur mes compétences plus académiques.

Le but du projet est d’impliquer les personnes dans cette aventure et de les soutenir à être à leur tour vecteurs de connaissances. Elles apprennent de vos compétences et vous apprenez des leurs, de sorte qu’ensemble vous avancez et vous aidez ceux qui sont derrière à vous suivre. C’est ainsi que je vois le processus : comme un croisement des savoirs. Je sais bien que je suis une privilégiée car j’ai pu faire des études et rencontrer des personnes différentes de moi ; tout le monde n’a pas eu cette chance. Certains vivent dans leur bulle, même des universitaires ou des praticiens, qui ne connaissent les personnes vivant la pauvreté qu’en tant que leurs bénéficiaires, leurs patients ou leurs étudiants. Ils n’ont pas d’autres interactions avec ces personnes. C’est pourquoi il est nécessaire de se rencontrer pour changer sa manière de penser et sa vision du monde.

L’impact du projet sur les personnes et la communauté

C’est une expérience très valorisante et bouleversante de se réunir et de décider d’agir. Plus nous sommes nombreux et plus nos voix se font entendre. Je trouve cela vraiment incroyable de voir des personnes faire des choses dont elles ne se croyaient pas capables, de s’unir à une échelle aussi importante et de se dire : « Oui, on peut le faire ».

Ce que nous apprécions dans ce projet aux États-Unis, c’est qu’il s’effectue à deux niveaux. Certes, quand il arrivera à son terme, les résultats compilés seront envoyés à la Banque Mondiale et aux Nations Unies ; mais cet aspect concerne le long terme. Chaque groupe de recherche recevra également une copie du rapport de manière à pouvoir défendre sa manière de penser. Grâce à ce projet, je crois que quelque chose de formidable va émerger. Des personnes qui voulaient se défendre, mais ne savaient pas comment le faire, pourront désormais s’appuyer sur ce rapport pour soutenir la véracité de leurs propos.

D’une certaine manière, nous donnons à ces personnes un outil qu’elles conçoivent elles-mêmes. Elles élaborent les bases qui contribueront ensuite à faire évoluer leur environnement et les autres milieux.

Plus d’informations sur le projet pour définir de nouvelles mesures internationales de la pauvreté.

 

  1. Les aspects multidimensionnels de la pauvreté sont étudiés aux États-Unis en partenariat avec l’université du Nouveau-Mexique à Gallup, et celle d’Oxford en Angleterre.