Dee Mauss : volontaire permanente à la Nouvelle-Orléans
Dierdre Mauss, que tout le monde appelle Dee, est volontaire permanente au sein d’ATD Quart Monde et vit actuellement dans sa ville natale, la Nouvelle-Orléans.
Extrait d’une interview publiée sur le site Internet ATD Quart Monde USA.
Les premiers pas
En 1981, j’ai rendu visite à l’équipe d’ATD Quart Monde à New York pour un été. On travaillait en équipe. On faisait des bibliothèques de rue dans les quartiers pauvres de New York, puis on écrivait ce qu’on apprenait des enfants et de leurs familles. Après avoir obtenu mon diplôme universitaire, les volontaires permanents m’ont invité à soutenir l’équipe Quart Monde à la Nouvelle-Orléans.
À ce moment-là, j’étais alliée. Je participais aux bibliothèques de rue, aux réunions avec des familles en situation de pauvreté et à un groupe d’étude à partir des écrits du Mouvement et de son fondateur, Joseph Wresinski. J’ai présenté Bob, mon futur mari, à ce groupe. Bob et moi avons participé à des réunions de membres d’ATD Quart Monde. On les accueillait parfois chez nous. Notre salon était rempli. C’était formidable d’être tous assis autour de la table pour préparer la Journée mondiale du refus de la misère.
Nous avions tous un profond désir de travailler avec des personnes ayant une expérience de la pauvreté. Un des volontaires a alors mis en route un groupe de discussion, on parlait des expériences de la vie quotidienne. Nous avons adoré. À chaque fois, nous avons rencontré des gens épatants qui se connaissaient bien entre eux. Bob et moi étions un peu ceux qui débarquaient dans le groupe. Ils nous ont accueillis à bras ouvert. On parlait très librement, sans détour. J’ai beaucoup appris de ces rencontres.
Remettre en cause sa façon de voir
J’ai découvert qu’il y avait des choses que je tenais pour acquises et que je pensais que tout le monde vivait de la même façon. Des choses simples, comme les vacances par exemple, en pensant que tout le monde partait en vacances d’une manière ou d’une autre. Ce n’est bien-sûr pas le cas. Je suis très reconnaissante pour tout ce que j’ai appris avec ces personnes.
Par exemple, je voyais des enfants qui attendaient dans les parkings des supermarchés en demandant : « Je peux vous aider à faire vos courses ? ». Ou d’autres, au coin de la rue, avec des raclettes, proposant de nettoyer les pare-brise des voitures arrêtées à un feu rouge. De nombreuses personnes se sentaient menacées par ces propositions et voyaient en ces jeunes un danger. Je suis sortie de nos rencontres avec une toute nouvelle façon de voir ce que faisaient ces enfants. J’ai compris qu’ils essayaient juste de gagner de l’argent pour acheter des vêtements pour l’école, pour contribuer à la vie de la famille.
Inverser le discours
Notre groupe a commencé à se réunir autour du thème de la pauvreté comme violence, et de nouvelles personnes nous ont rejoints. Ensuite, une délégation du groupe est allée en Angleterre et nous avons séjourné chez des membres d’ATD Quart Monde. De là, nous sommes allés ensemble en France pour participer au colloque La misère est violence, rompre le silence, chercher la paix.
- Durant ce colloque, nous avons inversé le discours habituel. On est passé d’une pensée stéréotypée de la violence infligée par les personnes en situation de pauvreté à la violence que nos systèmes infligent à ces personnes dans leur vie de tous les jours.
Je ressentais alors une très grande connexion et proximité avec les personnes que je commençais à connaître ici, à la Nouvelle-Orléans. En 2005, l’ouragan Katrina a dévasté notre ville, détruisant les maisons, en particulier dans les quartiers à faibles revenus. De nombreuses personnes ont dû quitter la ville et ne sont jamais revenues. Je pense que nous en gardons tous une certaine nostalgie. C’est fini, ils sont partis, ce n’est plus pareil. Ils se sont dispersés dans différentes parties du pays.
Construire avec les plus pauvres
Il y a eu ce projet de livre On n’est pas fait pour vivre comme ça (Not Meant to Live Like This). J’y ai contribué en transcrivant ce que les gens disaient. J’aimais ça. Et je me suis dit que je voulais vraiment faire partie de ce projet à plein temps. C’est à ce moment-là que j’ai intégré le volontariat permanent, en 2012.
J’ai pensé à tout ce que j’avais fait dans ma vie. J’avais exercé plusieurs métiers. J’avais fait tout un tas de choses, et je ne me sentais toujours pas épanouie. On m’a même proposé un poste à ce moment-là où je pouvais gagner beaucoup plus d’argent et voyager, mais j’ai préféré le Volontariat d’ATD Quart Monde.
Lorsque j’étais assistante sociale, je savais qu’il y avait des personnes qui étaient tellement loin derrière qu’elles auraient besoin de beaucoup beaucoup de soutien. La route serait longue. J’avais envie de les accompagner. Mais les interactions s’arrêtaient après quelques visites parce qu’il y avait d’autres cas à traiter.
J’espérais pouvoir construire avec les personnes en situation de pauvreté, ne pas être de l’autre côté du bureau, faire quelque chose ensemble. En tant que volontaire, je suis libre de développer ce genre de relations horizontales.
Faire communauté
Je voulais faire communauté avec ces personnes, les plaçant au premier plan. Lors de nos rassemblements, les personnes en situation de pauvreté étaient la force vive. Quand elles étaient là, il y avait quelque chose de puissant dans la pièce, de significatif, qu’elles portaient en elles et qui me fascinait. Elles m’apprenaient des choses sur moi-même, sur la société, sur leur vie et sur ce contre quoi elles luttaient. Leur rêve est de mettre fin à la misère.
Ce qui m’a le plus transformée, c’est la rencontre avec des personnes qui n’ont rien et qui ont un cœur plus généreux que la plupart d’entre nous. Elles sont pourtant regardées avec suspicion et crainte.
Et puis l’isolement que crée la misère. J’ai assisté à des célébrations où j’étais l’une des deux ou trois personnes présentes. La communauté est si importante pour les plus pauvres. Si vous n’êtes pas présents, vous manquez vraiment. J’ai écrit un texte sur l’importance d’être présent.
Prendre parti
J’essaye de partager autour de moi, du mieux que je peux, ce que nous vivons avec les personnes en situation de pauvreté. Si j’entends quelqu’un dire des choses négatives sur elles, je ne laisse pas passer, j’interviens pour dire ce que je pense. J’essaie de défendre au quotidien les personnes qui ne sont pas comprises.
J’aimerais me pencher sur la façon dont nous pourrions clarifier, pour nous-mêmes et pour les autres, le lien entre racisme et pauvreté, car ces questions ne sont pas toujours abordées ensemble. On parle tantôt de racisme, tantôt de pauvreté. J’attends que nous soyons en mesure de réunir les deux. J’attends le jour où l’on ne dira plus face à une injustice : “C’est du racisme” ou “C’est lié à la pauvreté”, mais où l’on pourra comprendre que c’est les deux à la fois.
Photo : Dee Mauss (à gauche), New Orleans, 2019 © ATD Quart Monde