Une dignité qui ne se construit pas juste au présent

Par Jean TOUSSAINT

En mars dernier, je me suis rendu en Pologne pour visiter les membres du Mouvement ATD Quart Monde dans le pays. Ils y mènent de nombreuses activités comme :

  • une Bibliothèque de rue à Dudjarska, un des quartiers les plus isolés et exclus de Varsovie.
  • une Bibliothèque de rue dans un centre de réfugiés de la capitale, où ils organisent aussi une présence régulière avec des ateliers de création.
  • une dynamique Tapori (avec une page internet Tapori en polonais), avec 3 groupes Tapori à Varsovie et 7 autres groupes dans le pays.
  • une dynamique d’action avec les adultes, qui n’est pas encore une Université Populaire mais s’en inspire avec des rencontres nommées « Dialogue and solidarity meeting ».
  • une dynamique avec un groupe de jeunes, qui participe à la dynamique européenne Djynamo.
  • Perspective d’organisation de vacances familiales.
  • Lien étroit avec les membres du Mouvement à Kielce, lieu où ATD Quart Monde est né en Pologne, à partir d’un groupe de personnes qui étaient très engagées avec des personnes sans domicile qui vivaient à la gare.

C’est impressionnant de se mettre devant tout cet éventail d’actions !

Lors de ce séjour, j’ai pu vivre une soirée où différents membres du Mouvement étaient invités. J’en retiens particulièrement l’intervention d’une femme qui a eu une vie très difficile, qui a été quelques années en prison, et dont les enfants ont été placés suite à son emprisonnement. C’est une famille du Quart Monde qui lui a fait connaître le Mouvement ATD Quart Monde. Et cette femme disait :

  • « J’ai toujours cru qu’il fallait oublier son passé pour pouvoir se concentrer et se battre pour le présent et pour l’avenir. Pour moi, pendant longtemps, s’engager était de ne pas penser à mon passé, mais trouver de la force pour l’avenir.
    Maintenant, je pense que s’engager, c’est se lier à d’autres pour qu’ils ne soient pas seuls.
    Et, après 5 ans de bataille, j’ai pu récupérer un de mes enfants placés. Ce qui est très précieux à ATD, c’est que cela rassemble des gens qui ont pu passer des choses difficiles, et on peut en parler, et on voit que cela rassemble des gens de grand cœur. »

J’ai été frappé par cette réflexion parce qu’entre nous, on parle du silence imposé par la misère, et cette femme polonaise dit la nécessité d’oublier son passé, c’est même plus que de le taire, c’est le refouler, « ne pas y penser » dit-elle, pour pouvoir se battre au présent.

Avec le Mouvement, elle découvre un lieu où d’autres peuvent partager leurs difficultés, leur histoire, « des gens qui ont pu vivre des choses difficiles », et c’est en partageant son histoire qu’on s’affirme comme « des gens de grand cœur ».

Cette femme me faisait réfléchir à ce que nous entendons par « sortir du silence », qui va bien au-delà de pouvoir dire les injustices qu’on vit, mais qui est permettre aux très pauvres de se reconstruire une histoire, leur propre histoire, afin de pouvoir se vivre et s’affirmer comme « des gens de grand cœur », comme dignes en fait, une dignité qui ne se construit pas juste au présent, mais qui s’ancre dans l’appropriation de son histoire avec ses parts sombres mais aussi la résistance face aux épreuves.

 

Photo ATD Quart Monde Pologne – Extrait de la Dalle en l’honneur des victimes de la misère (Polonais)