Droit au logement : la vie dans un domaine en Wallonie
En Belgique, vivre dans un domaine, en caravane ou dans un chalet, est devenu une alternative au logement classique pour ceux qui n’ont pas les moyens d’y accéder. On estime que plus de 10 000 personnes habitent aujourd’hui dans ces lieux souvent isolés qui présentent un accès aux services très limité. Reportage dans un domaine parmi tant d’autres, situé en Wallonie (Belgique francophone), sur une commune qui compte près de 6.000 habitants.
A l’origine, les domaines sont des lieux d’habitation destinés aux vacanciers. Les premiers habitants à s’installer de manière permanente remontent à la fin des années 70. Depuis, le phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur, par manque de logements sociaux.
Une petite équipe d’ATD Quart Monde est allée à la rencontre des habitants d’un domaine situé en Wallonie, à quelques kilomètres du village le plus proche.
Environ 300 personnes vivent là. Les conditions de vie n’y sont pas faciles. Il y a régulièrement des coupures d’électricité et quotidiennement des coupures d’eau. En effet, les installations ont été prévues pour des vacanciers et non pour des personnes habitant à l’année. Les habitants doivent s’organiser pour se laver, cuisiner ou laver leur linge. Quant aux coupures d’électricité, elles sont imprévisibles. « C’est souvent quand on prépare les repas ou quand on mange. La dernière fois, il y en a eu une le matin et je n’ai pas pu me laver avant d’aller à l’école » explique une adolescente. La mobilité est une autre difficulté puisque le domaine se trouve à environ 5 km du village. Il y a deux bus par jour, un matin et un le soir. Comment revenir de l’école quand on a des horaires différents ? Quelles activités peut-on faire pour se divertir ? Comment faire ses courses quand on n’a pas de voiture ou de l’argent pour l’essence ? Comment faire pour suivre des formations ou chercher du travail ? Pour se rendre chez le médecin ou à l’hôpital ?
Beaucoup d’habitants témoignent de la stigmatisation dont ils sont victimes : « Parfois, on est un peu gêné de dire qu’on vient du domaine. T’es fiché. T’es marqué au rouge. » « Quand on va au village et qu’on dit qu’on vient du domaine, ils sont dénigrants. Ils font des généralités. On n’est rien pour eux! »
Des habitants appellent à la prudence dans le combat pour l’accès aux services de base. Un jeune couple explique : « Quand on veut se bouger pour faire changer les choses, il y a des risques que cela se retourne contre nous. Si, par exemple, on se bat pour qu’il y ait de l’eau et de l’électricité tout le temps dans le domaine ; qu’on se bat pour qu’ils fassent des travaux. L’eau et l’électricité risquent de nous coûter plus cher après. Si le Bourgmestre vient mettre son nez dans le domaine, il risque de vouloir tout raser parce qu’il y a des habitations dans le domaine qui ne sont pas du tout conformes. »
Sans nier les tensions et conflits qui animent parfois le domaine, la solidarité et la convivialité sont aussi présentes. Un couple installé depuis quelque années dans le domaine raconte : « Il y a de l’entraide. Parfois, les jeunes viennent donner des coups de main. Quand on est arrivé, on a eu 33 tonnes de gravier pour recouvrir le sol. Pour bouger notre caravane, on a aussi eu de l’aide. Il y a une belle entente entre les personnes. » Une autre dame explique : « Ici, on s’arrange. S’il y en a un qui a un problème de voiture et qu’il doit descendre pour aller au pharmacien ou faire les courses, on s’aide. »
Face aux loyers en hausse et au coût élevé de la vie, le domaine peut représenter une alternative, les charges sont moins élevées. L’accès à la propriété devient possible : « Grâce à la location-achat, on a pu devenir propriétaire de la caravane et du terrain. Comme ce n’était pas cher, on a pu mettre de l’argent de côté pour après construire une maison (…). C’était mon rêve. C’est toujours ce que j’ai voulu : être propriétaire et avoir notre chez nous. Je n’aurais jamais pu acheter en ville. »
Vivre dans un domaine : un choix ?
Pourtant, beaucoup ne sont pas là par choix. Un habitant explique : « Les familles pauvres n’ont pas eu le choix de vivre ici parce que les loyers en ville sont trop cher (…). Nous vivions dans une caravane en ville et l’agent de quartier ne voulait pas qu’on vive là parce que ce n’était pas reconnu comme une maison. Nous avons demandé pour un logement social mais cela prenait trop de temps. »
La Région a voulu agir face au phénomène grandissant de l’habitat permanent dans les domaines. Le gouvernement régional a adopté en 2002 un plan d’action pluriannuel relatif à l’Habitat Permanent dans les équipements touristiques. Le but de ce Plan est d’accompagner, sur base volontaire, les habitants des domaines désirant être relogés. Par ailleurs, les communes sont invitées à décourager, voire interdire, l’installation de nouveaux habitants dans les domaines. A terme, le plan Habitat Permanent a pour objectif de vider les domaines de ses habitants permanents.
« Si les domaines ferment, il y aura des gens qui construiront des bidonvilles, explique une habitante. Ils prendront des bâches, des vieilles tentes ou des caravanes pour se protéger du temps. (…) Vivre en caravane, c’est ce qui coûte le moins cher. Mais si on ferme un domaine, un autre ouvrira à un autre endroit. Même si c’est interdit. Ils n’ont pas le choix, c’est leur seul moyen d’existence. » Les personnes les plus pauvres se retrouveront dans des lieux où il y aura moins d’équipements collectifs et qui seront encore moins « légaux ». De plus, sans adresse de domicile, elles seront privées de leurs droits sociaux. Sous prétexte de garantir un logement décent, on va plonger les personnes les plus pauvres dans une situation encore plus précaire. De manière générale, la Région tend à réduire le nombre de logements habituellement occupés par les personnes en situation de pauvreté (domaines, logements sociaux, logements insalubres) sans proposer de solution.
En empêchant les personnes qui ont une vie difficile de s’installer dans les domaines, ce plan est en parfaite contradiction avec la finalité qu’il se donne : lutter contre la pauvreté et garantir les droits fondamentaux. En effet, pour une approche fondée sur les droits de l’homme, il est nécessaire de reconnaître les solutions recherchées par les personnes en situation de pauvreté en matière de logement. D’autant plus que lorsqu’on est privé de logement, ce sont tous les autres droits qui se trouvent compromis.
Reportage : Grégory de Muylder