Écrire pour tenir tête à la pauvreté
Ne pas rester muets comme des poissons – Peinture de Nelly Schenker
En 2017, ATD Quart Monde a invité à écrire des histoires vraies de changement contre une situation d’injustice et d’exclusion pour montrer que lorsqu’on s’unit pour un même combat la misère peut reculer.
Les articles sur notre site ne sont pas signés car il s´agit de favoriser une voix collective. Dans le cadre des 1001 histoires, l’auteur met en lumière une histoire vécue.
L’histoire qui suit a été écrite par Nelly Schenker (Suisse).
Écrire sa vie, c’est pas si évident, car « la vie c’est fin comme de la dentelle » !
L’idée d’écrire ma vie est née au moment où nous vivions sous tente avec nos enfants. Une amie m’avait dit alors : « Il y a des gens d’ATD Quart Monde qui disent que tu devrais l’écrire…» Là, il y a quelque chose qui est entré en moi. Mais c’était bien bizarre ! Tu as besoin d’aide et on te parle d’un livre ! T’as pas de lait pour tes enfants, t’as froid, pas de toit… Je n’ai rien compris. A quoi cela pouvait-il servir ? Alors j’ai laissé reposer ces paroles. Puis, bien plus tard je me suis dit : « Mais oui, peut-être que, si j’écris tout ça, les gens comprendront à quel point j’ai besoin d’aide. »
Enfant, dans l’institution où l’on m’avait mise, les sœurs n’avaient pas la patience de m’enseigner. Après, adulte, je ne voulais surtout pas que quelqu’un sache que « je ne sais pas ». Quand tu vis la pauvreté, tu vis la honte, et pour te protéger tu dois faire semblant, jouer un rôle. C’est avec mes propres enfants, des années après, que j’ai appris à lire le soir dans leurs livres d’école.
Quand j’ai lu le livre « Des Suisses sans nom », c’était important pour moi, parce que dans les années 80, enfin un livre parlait de la pauvreté chez nous ! Là je me suis rendue compte à quel point je me cherchais là-dedans. Mais en même temps je trouvais que ce n’était pas encore assez creusé en profondeur. J’étais donc un peu déçue, je n’arrivais pas vraiment à m’y accrocher.
Et puis, poussée et accompagnée par des volontaires permanents d’ATD Quart Monde, j’ai commencé à écrire ce livre sur ce que j’ai vécu avec ma mère en extrême pauvreté.
Pour faire un livre personnel sur la pauvreté. Mais aussi parce que chez nous, il n’y avait pas de tels livres en langue allemande.
Quand tu peux parler et écrire sans gêne, sans retenue, sans honte, alors la confiance mûrit en toi. Quelle force de pouvoir montrer son vrai visage, sans masque ! Ces moments sont tellement précieux.
Écrire, m’exprimer… oui ça m’a réveillée, cela m’a donné une autre conscience. Avant je dormais. Non, plus que ça, j’étais dans un cauchemar. Je subissais ma vie.
Aujourd’hui, ce livre de ma vie est né. Il s’appelle « Es langs, langs Warteli für es goldigs Nüteli » (« une longue, longue attente pour un or de rien du tout »). Avec les amis qui m’ont accompagnée dans l’écriture, nous sommes en tournée avec le livre. C’était mon souhait profond. Parfois je suis très heureuse dans ces soirées lecture, parce qu’il y a une simplicité et une paix dans la salle. Pourtant l’amertume remonte chaque fois aussi, à coté d’une certaine joie. Tant d’injustices vécues, impossibles à oublier. J’ai aussi tellement d’attentes : qu’enfin ça bouge ! Que ça change ! Oui, plus jamais ça… Que cette soirée ne reste pas une soirée unique ! Que les gens se mettent en mouvement, sortent leurs coudes, foncent!
La dernière fois il y avait une femme… J’ai lu la pauvreté dans son visage, un visage buriné par la vie dure. Puis, comme souvent d’autres personnes dans ces soirées, elle m’a approchée : “ Au fond c’est mon histoire aussi ce que tu dis là… ” C’est ça qui me donne courage : maintenant nous parlons ! Et plus il y aura des gens qui se lèvent et qui parlent, plus les politiciens, et chaque homme, seront obligés de réagir.
Mais tant de gens sont encore dans le silence…
J’ai dit à cette femme : “ On se reverra, surtout faut pas qu’on se perde de vue ! ”
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