Éducation pour Tous, une recherche qui fait la différence
En Tanzanie, pendant des années, des enfants n’ont pas eu accès à l’éducation à cause des frais d’inscription trop élevés pour leurs familles. Et puis, en janvier 2016, le gouvernement de la Tanzanie a mis en place la gratuité de l’école primaire publique. Tous les jeunes enfants ont-ils dès lors été scolarisés ? Non, de nombreux enfants sont toujours en dehors du système éducatif, notamment dans les quartiers pauvres.
Un nouveau rapport d’ATD Quart Monde s’est penché sur les raisons pour lesquelles les enfants du quartier de Kinondoni, à Dar es Salaam, ne vont pas à l’école. Le rapport repose sur une méthode de recherche innovante qui implique des entretiens avec les parents, les enfants, les enseignants et des responsables de la communauté. Cette recherche nommée « Education pour Tous », menée de janvier 2015 à mars 2016, montre que si les frais d’inscription sont bien des obstacles à la scolarisation des enfants, il existe beaucoup d’autres facteurs importants qui ne sont pas liés au coût de l’éducation, mais aux conditions de vie des parents (la santé, le travail), aux relations avec l’école, à l’influence de l’environnement, etc.
Face aux défis auxquels font face quotidiennement les familles vivant dans l’extrême pauvreté, les solutions immédiates auxquelles elles recourent peuvent être mal comprises. Les relations entre les parents et les professeurs sont souvent fondées sur des incompréhensions et des reproches réciproques. Les enfants ont peur des professeurs et se sentent discriminés en raison de leur origine. Tout cela crée une atmosphère extrêmement difficile pour les enfants et les professeurs.
Cependant, et les familles très pauvres n’ont cessé de le dire durant la recherche, l’éducation est une priorité inconditionnelle, « une clé pour vivre ».
Une méthodologie originale : les plus pauvres co-chercheurs
Les familles qui vivent dans la pauvreté et qui sont peu alphabétisées sont rarement celles qui sont interrogées en premier lieu sur les causes de la non scolarisation des enfants de familles pauvres. Et elles font encore moins partie des personnes chargées d’enquêter sur ce sujet ou d’écrire les rapports. Étant pourtant les premières concernées, elles détiennent un savoir précieux.
C’est pourquoi le projet de recherche d’ATD Quart Monde, « Éducation pour Tous », n’a pas été conduit par des universitaires et des statisticiens mais par une équipe composée de parents qui vivent dans l’extrême pauvreté, d’enseignants, de représentants de l’administration éducative, de travailleurs sociaux et d’étudiants. Sur un pied d’égalité, ils ont tous conçu le questionnaire de recherche, conduit les entretiens et formulé des recommandations.
Des chercheurs extérieurs qui viendraient enquêter là où la recherche a eu lieu, s’exposeraient à des réponses incomplètes. Les personnes qui vivent dans l’extrême pauvreté ne trouvent pas toujours la manière d’exprimer leurs idées de façon claire pour un étranger. Elles peuvent être intimidées par le chercheur ou honteuses de parler de leur vie. Quand on fait continuellement l’expérience de l’humiliation et du mépris, on devient réticent à s’impliquer dans quoi que ce soit.
Sachant tout cela, le projet d’Éducation pour tous d’ATD Quart Monde a procédé avec prudence. À chaque étape, le groupe a veillé à ce que chaque membre de l’équipe de recherche, indépendamment de son niveau d’éducation et d’alphabétisation, participe pleinement et à part égale. Les douze membres avaient des parcours très divers. Cinq d’entre eux avaient une longue expérience d’une vie très difficile. Certains travaillent très dur chaque jour, cassant des pierres à la main pour soutenir leur famille. L’un est poissonnier, un autre chef de dix cellules de maisons, le plus bas échelon de gouvernement local en Tanzanie. L’équipe de recherche comprenait aussi des étudiants d’université et des volontaires permanents d’ATD.
L’équipe de recherche a passé un long moment à concevoir les questions à poser aux 54 parents, aux 19 enseignants et chefs de communauté et aux 78 enfants interrogés. Chaque membre de l’équipe a apporté une contribution significative à cette étape du projet. Après avoir reçu une formation à la méthodologie issue de la recherche sur les « moyens d’existence durables » (Sustainable Livelihoods Handbook, Oxfam, 2009), ils ont adapté leur démarche pour être certains que les questions ne soient pas formulées d’une manière qui puisse intimider ou embarrasser les familles vivant dans des circonstances difficiles.
Les membres de l’équipe avec une expérience de l’extrême pauvreté ont été également précieux quand il a fallu conduire les entretiens et analyser les données. Ils étaient capables d’identifier les personnes vivant dans l’extrême pauvreté à interviewer et de les encourager à participer. Ils ont été à même de poser leurs questions avec empathie et compréhension, et leur expérience commune a aidé les personnes interrogées à s’exprimer d’une manière qui n’aurait pas été possible avec des personnes ayant un autre parcours.
Les enregistrements audio et vidéo de ces entretiens ont abouti à des centaines de pages de transcription. Comme certains membres de l’équipe avaient un faible niveau d’alphabétisation, il a été nécessaire de trouver des méthodes innovantes. Par exemple, une personne regardait les vidéos des entretiens. Après chaque question, on mettait la vidéo sur pause et cette personne pouvait mettre en évidence les points essentiels, en accord avec les principes guidant l’analyse.
Avec quels résultats ?
La recherche a abordé 6 thèmes en lien avec différents aspects de la vie des personnes : soi-même, la famille et les amis, le domicile et la communauté, le travail et le revenu, la santé et l’expérience scolaire. Elle a généré toute une connaissance sur ce que vivent les familles en situation de pauvreté et contribué à transformer les relations entre les acteurs du projet et la communauté éducative.
Parmi les 15 recommandations (voir le rapport en anglais), plusieurs mettent en valeur l’importance de la coopération et du dialogue entre les acteurs éducatifs. En effet, une bonne communication entre les parents et les professeurs peut mettre en évidence les problèmes et permettre de trouver des solutions. Le rapport propose d’améliorer les conditions de ce dialogue : création d’espace dans les quartiers où parents et enfants peuvent obtenir du soutien, présence d’un médiateur par école pour maintenir le lien avec les familles les plus pauvres, renforcement du rôle des conseils d’école comme lieu de partage d’expériences, etc…
Le projet est allé au-delà de la publication d’un rapport, grâce à l’expérience acquise par l’équipe de recherche en matière d’écoute. ATD Quart Monde a organisé des tables-rondes pour aider les parents, les enseignants et les administrateurs à s’écouter et à apprendre les uns des autres. Des partenariats avec le Ministère de l’éducation et des ONGs ont été mis en place. L’équipe continue à rencontrer les membres de la communauté, les écoles locales et les représentants du gouvernement afin de présenter le rapport et d’aider d’autres partenaires à s’impliquer dans la discussion au sujet du rôle de chacun dans le soutien à l’accès à l’enseignement primaire.
Le rapport a non seulement contribué à faire avancer la résolution du problème étudié mais l’aspect collaboratif de la recherche a amélioré la compréhension entre les membres de l’équipe, renforcé la confiance en eux des parents et développé des relations de travail qui sont essentielles à la mise en œuvre des recommandations du rapport.
Rapport Éducation pour Tous en anglais ici et en Swahili ici.
Lire les interviews d’acteurs du projet (un directeur d’école et une mère de famille avec l’expérience de la pauvreté).
Projet soutenu par l’Agence Française de Développement – AFD