Ensemble, sortir de l’eau
En 2017, ATD Quart Monde a invité à écrire des histoires vraies de changement contre une situation d’injustice et d’exclusion pour montrer que lorsqu’on s’unit pour un même combat la misère peut reculer.
Les articles sur notre site ne sont pas signés car il s´agit de favoriser une voix collective. Dans le cadre des 1001 histoires, l’auteur met en lumière une histoire vécue.
L’histoire qui suit a été écrite par Philippe Hamel et Pascal Lallement (Sénégal).
Chaque année, dans ce quartier très défavorisé d’une banlieue de Dakar, beaucoup de maisons sont inondées à la saison des pluies. Ceux qui le peuvent remontent le niveau du sol avec du sable, des gravats pour avoir les pieds au sec quand les pluies s’arrêtent. Certaines maisons restent inondées après la saison des pluies, comme celle d’Amina1 et ses deux fils qui vivent toujours les pieds dans l’eau. L’odeur est insupportable. Le mari d’Amina est décédé. Elle a très peu de liens dans la communauté et ne participe plus aux événements du quartier.
Theresa, Ouria et Joseph, d’autres habitants du quartier, sont des amis d’ATD Quart Monde. Ils connaissent la pauvreté pour l’avoir vécue et s’inquiètent de voir la maison de la famille d’Amina toujours fermée. Trop de honte, trop de misère. Ils décident d’en parler avec deux volontaires permanents d’ATD Quart Monde pour chercher ensemble quoi faire. Ils découvrent les aspirations et les gestes d’autres voisins pour soutenir cette famille qui est la plus isolée de leur quartier.
Ils entendent leur désarroi : comment faire pour que la situation change vraiment ?
En parler fait naître une idée : on ne peut plus laisser cette famille dans cette situation !
La première solution proposée est qu’ATD Quart Monde finance des travaux. Un vrai dilemme : si ATD Quart Monde paye un maçon pour faire le travail, alors que tant de gens sont dans le besoin, est-ce que cela ne va pas susciter des jalousies, isoler davantage la famille ? Ce chantier doit être l’œuvre de l’ensemble des voisins et de la famille elle-même. Certains ont déjà fait un geste comme donner du sable pour remblayer un peu. Theresa depuis des années, a invité régulièrement Amina à venir chercher de l’eau chez elle ou à utiliser ses toilettes.
Devant la pharmacie de Marc, un autre ami d’ATD, des gravats sont entassés sur le trottoir en chantier. Il va voir le chef de chantier et lui demande un tas de gravats. Mais aucun camion ne peut entrer dans les ruelles étroites. Marc réussit à convaincre un élu de donner de quoi payer des charrettes.
Peu à peu, les amis d’ATD essaient de mobiliser des habitants, le maire, des responsables religieux, le chef de quartier pour trouver de l’argent, des matériaux, des bras. Ouria, encouragée par Theresa et Joseph, lance une cotisation et chacun donne ce qu’il peut. L’important, c’est que chacun sente que sa contribution, aussi modeste soit-elle, est importante. La situation de cette famille symbolise cette misère que chacun refuse. “En aidant la plus démunie d’entre nous, on s’aide tous, on bâtit la paix.”
L’autre priorité, c’est la participation de la famille.
Il faudra du temps pour convaincre Amina que les uns et les autres sont là pour l’aider à préserver sa dignité. Au début, elle est méfiante. Elle a peur d’attirer trop les regards sur elle. Et peu à peu, elle comprend qu’elle a son mot à dire. Ce sont ses fils qui rentrent le contenu des deux premiers camions, déposé devant la maison. Certains voisins râlent car le tas de gravats empêchait le passage et d’autres commencent à se servir pour remblayer chez eux.
A partir de là, un premier chantier collectif voit le jour. Les premiers à venir aider sont des jeunes qui vivent sur une plage de Dakar et que l’équipe d’ATD Quart Monde rencontre régulièrement. Des amis, des voisins passent et donnent quelques coups de pelle. Amina aurait voulu préparer le repas pour tout le monde, mais au milieu des travaux ce n’est pas possible. Alors, c’est chez Theresa que se fera la cuisine pendant tout le chantier. Elle aura l’occasion de parler de sa vie très dure aux jeunes qui vivent à la plage et de les encourager à renouer des liens avec leur famille.
Grâce aux efforts de chacun et aux soutiens extérieurs dont celui de l’Ambassade de France, la maison d’Amina est peu à peu asséchée. De vrais maçons peuvent rehausser les murs de la maison par des rangées de parpaings et faire plusieurs pièces.
Quand la maison est terminée, Amina accueille les visiteurs chez elle avec boissons et beignets, ce qui n’était pas évident avant. Elle remarche avec fierté dans le quartier et revend des fruits devant chez elle. Certains jeunes du quartier viennent prendre le thé avec ses fils.
Si tout le monde n’a pas pu participer, ce chantier a redonné de la fierté au quartier.
Dix ans après, Amina vit toujours dans cette maison. Ses fils, au fil des années, ont poursuivi les travaux avec peu de moyens et beaucoup de courage. Maintenant la maison est belle.
- La vie d’Amina reste très difficile mais elle est reconnue comme une habitante du quartier, plus en lien avec le reste des habitants. Sa maison est de nouveau fréquentée.
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