Est-ce que nos équipes et nos actions sont réellement participatives ?
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“[Lorsque vous participez en tant que personne ayant l’expérience de la pauvreté], vous ne pouvez pas vous contenter d’être le clou du spectacle. C’est-à-dire quelque chose de marquant, dont tout le monde parle; qui est l’objet de la conversation, mais qui n’y participe jamais.” – Maryann Broxton, représentante du Mouvement International ATD Quart Monde au siège de l’ONU à New-York et militante d’ATD Quart Monde. Extrait de son commentaire sur la participation enregistré à l’occasion du forum Emmaüs International.
Nous posons-nous suffisamment la question de la participation dans les actions où nous sommes impliqués avec nos équipes, avec d’autres personnes d’ATD Quart Monde ou au sein d’autres organisations avec lesquelles nous sommes engagés ? Est-ce que le savoir et l’expérience des personnes vivant dans la pauvreté sont reconnus et réellement pris en compte par d’autres partenaires, qu’ils soient universitaires, du secteur public, social ou autre ?
Même si le concept de la participation citoyenne est de plus en plus pris en compte quant à l’élaboration et l’évaluation de politiques publiques, plusieurs fonctionnements participatifs/ démocratiques formels ne sont pas en capacité d’intégrer spontanément des personnes en situation d’exclusion.
Deux membres du Secrétariat des relations internationales d’ATD Quart Monde, Baptiste Bouju et Jan Świątek, ont eu l’occasion de débattre de ces questions lors d’un atelier sur la participation effective des personnes exclues qu’ils avaient été invités à animer par les organisateurs du Forum Emmaüs International (ou Forum des Alternatives). Le forum s’est déroulé du 17 au 20 septembre 2024, dans la ville française de Poitiers.
Que voulons-nous dire par « participation » ?
L’atelier qu’ils ont animé s’intitulait : “Mon groupe ou mon action est-il réellement participatif ?” Plus de 20 personnes de différents pays, dont la France, Mali, Burkina Faso, Finlande, Brésil, Pologne, Liban, Palestine, y ont assisté.
Les intervenants ont d’abord demandé aux participants ce que chacun comprend par le terme “participation” et comment ils espèrent que cette participation soit mise en pratique dans leurs groupes respectifs. Ils ont ensuite présenté la perspective d’ATD sur la participation effective des personnes concernées :
- Toute personne, et tout particulièrement les personnes en situation de pauvreté, ont le droit de se voir garantir la participation quand il s’agit d’analyser ce qu’ils vivent et les initiatives prises pour lutter contre la pauvreté. (Droit fondamental)
- L’expérience et le savoir que les personnes ont de leur propre situation est indispensable à une compréhension complète de l’expérience de la pauvreté. (Savoir)
- Le savoir des personnes en situation de pauvreté et les savoirs portés par d’autres groupes sont complémentaires. Cette complémentarité renforce notre pouvoir d’agir et notre capacité collective à transformer nos conditions d’existence, et d’abord celles des personnes en situation de pauvreté. (Collectif – Pouvoir d’agir)
Baptiste et Jan ont ensuite discuté avec les personnes présentes sur l’importance de la démarche participative par rapport à la mise en oeuvre de méthodes ou de techniques. Ils ont présenté dans ce contexte l’approche du Croisement des savoirs,en utilisant une partie du documentaire réalisé sur le sujet par le Mouvement. Ils ont également présenté plusieurs exemples de projets dans lesquels la démarche présentée a favorisé une participation pleine et réelle des personnes, comme la recherche sur les dimensions caché de pauvreté (et sa suite sous la forme d’une Conférence à la Banque Mondiale et au FMI), La recherche du chantier famille et la campagne « Pour une Europe qui ne laisse aucun.e jeune de côté ».
Dans la dernière partie de l’atelier, les participants ont été invités à partager leurs opinions.
En guise d’introduction, les points suivants ont été abordés :
- les obstacles (financiers, organisationnels, relationnels, psychologiques) qui peuvent dissuader les personnes à s’engager dans un processus de participatif ;
- les obstacles (de même nature) au maintien de la participation sur le long terme ;
- des repères pour faciliter la pleine participation pendant la réunion elle-même.
Ensuite, à partir d’un extrait du livret “Réussir la participation de toutes et tous’’, les participants ont pris connaissance des bonnes pratiques qui y sont présentées et ont analysé leur mise en oeuvre, ou non, dans leurs équipes. Ils ont pu également aborder le sujet de manière plus large en proposant d’autres bonnes pratiques pour une pleine participation, ou des contre-exemples. Les participants ont pu y apprendre, entre autres, quels sont les problèmes rencontrés par les différents groupes Emmaüs (par exemple : une mauvaise compréhension de leur rôle au sein du Conseil d’Administration), mais aussi des exemples positifs de participation, comme lors des consultations, les tuteurs laisse les compagnons d’Emmaüs seuls dans la pièce afin de leur laisser la liberté d’exprimer leurs opinions.
L’atelier s’est terminé par une courte vidéo dans laquelle Maryann Broxton, militante du Quart Monde et représentante du Mouvement auprès des institutions onusiennes à New York, parle de ce que signifie pour elle la pleine participation et comment y parvenir.
Des échanges de pratiques
En dehors de l’atelier, Baptiste et Jan ont eu l’occasion d’établir de nombreux contacts intéressants et prometteurs. Au village associatif, ils ont distribué de nombreuses copies des rapports mentionnés précédemment. Ils ont pu aussi découvrir les activités d’autres groupes ou organisations de nombreuses régions du monde. Par ailleurs, le Groupe Emmaüs souhaite également se concentrer dans un avenir proche sur le plaidoyer au niveau international en faveur de la justice sociale et environnementale, à l’image de ce qui se fait au sein d’ATD Quart Monde.
Le forum a également été enrichi d’animations diverses, comme une visite de la ville de Poitiers, la visite du parc d’attractions du Futuroscope et des concerts en soirée. Jan a eu l’occasion de visiter le groupe local Emmaüs de Châteauriolt-Niort et d’observer comment vivent en communauté les gens avec l’expérience de la pauvreté et ceux qui les accompagnent; mais aussi comment ils sont aidés et comment ils obtiennent du travail. Il a également pu découvrir qu’une partie du groupe travaille dans l’entreprise TZLCD près de la maison Emmaüs. Ensuite, le groupe de visiteurs s’est rendu dans une ferme où les gens apportent diverses choses d’occasion qui sont ensuite revendues après avoir été triées.
Le forum de l’Organisation Emmaüs qui, comme le Mouvement ATD Quart Monde, s’attaque aux causes de la misère, et surtout l’invitation à réfléchir ensemble sur la participation réelle est une occasion de se demander: est-ce on s’assure vraiment, que les personnes en situation de pauvreté ne sont pas simplement l’objet de la discussion, mais qu’elles y participent pleinement.
Alors, est-ce que nos équipes et nos actions permettent vraiment aux personnes en situation de pauvreté de participer pleinement ?
C’est une question cruciale, car sans cette participation, la lutte contre la pauvreté ne peut être menée efficacement. Prendre conscience des obstacles auxquels les personnes ayant l’expérience de la pauvreté sont confrontées, et chercher à les surmonter, représente déjà un pas important vers leur pleine participation.
Cette démarche constitue aussi une avancée vers une démocratie véritablement inclusive, où chacun et chacune a une place et une voix. Ainsi, elle nous rapproche d’un monde sans pauvreté.