Expériences de personnes en situation de pauvreté pendant la Covid-19
Photo : Désolés, nous sommes fermés. Covid-19 © Anastasiia Chepinska sur Unsplash
Article de Naomi Norberg, publié durant la pandémie sur le site d’ATD Quart Monde USA (en anglais).
Restez à l’intérieur, gardez vos distances, lavez-vous les mains… À travers la multiplication des consignes de confinement dans le pays, nous connaissons tous l’importance de la distanciation sociale et du lavage des mains pour prévenir la propagation du Covid-19. Cependant, le respect des règles de distanciation sociale engendre des problèmes supplémentaires pour les personnes en situation de pauvreté. Beaucoup n’ont pas d’endroit sûr où se réfugier, d’autres vivent dans des conditions de promiscuité où les distances de sécurité ne peuvent pas être respectées, d’autres encore vivent sans électricité ni eau courante à cause d’un manque d’infrastructures. Le sentiment d’isolement, déjà présent auparavant, s’est accru à mesure que le virus et les directives mises en place pour l’endiguer aient imposé, non seulement des restrictions, mais aussi des solutions hors de portée de nombreuses personnes en situation de pauvreté.
Ces « solutions » pour ne pas se retrouver coincé à la maison dans un monde mouvant et numérique consistent à utiliser les transports privés et les services internet et téléphoniques : commander en ligne ou passer un appel pour aller récupérer ses courses ou se les faire livrer. Ou encore être testé pour la Covid-19 depuis sa voiture. Mais qu’en est-il si vous n’avez pas de voiture ? Que vous ne pouvez pas vous permettre de payer le montant minimal demandé pour la livraison des courses ou acheter auprès du SNAP (programme d’aide supplémentaire à la nutrition), qui ne prend pas de commande ? Qu’en est-il si vous n’avez pas Internet ? Certains peuvent penser que les personnes en situation de pauvreté ne respectent pas les règles mises en place.
- En réalité, elles se retrouvent confrontées à un véritable dilemme : sans transport privé, sans eau courante ni électricité, elles dépendent des transports en commun, des laveries automatiques, des entreprises équipées du wifi public, non seulement pour les services fournis, mais aussi simplement pour charger leur téléphone. L’utilisation de ces services leur fait courir un plus grand risque de contamination, mais sans eux, elles ne pourraient pas se rendre au travail ou au supermarché, être informé et en contact avec leurs proches, demander un examen de dépistage ou appeler un médecin.
Les lieux de vie exigus favorisent une propagation facile et rapide du virus au sein d’un groupe de personnes, et les problèmes de santé, souvent exacerbés par la pauvreté et les inégalités systémiques, entraînent davantage de risques de développer une forme sévère du virus chez ces personnes. Celles qui vivent dans la rue, sans domicile fixe, ou accueillies dans des centres d’hébergement courent également plus de risques de contamination puisqu’elles ne peuvent pas nécessairement maintenir des distances de sécurité avec les autres ou contrôler qui entre dans leur espace.
Alors que des millions de personnes perdent leur emploi et se tournent vers les banques alimentaires, les ressources limitées auxquelles se raccrochent les familles les plus pauvres s’épuisent. Dans les zones rurales, les étalages vides des magasins impliquent que les gens doivent aller plus loin, sans être sûrs de trouver ce dont ils ont besoin. Un grand-père qui vit dans une réserve au Nouveau-Mexique racontait que son magasin habituel était en rupture des produits de base et que le prochain magasin le plus proche était à au moins une heure de route. Par chance, l’école fournit le déjeuner à ses deux petits-enfants.
Les consignes de confinement rendent aussi difficile l’aide apportée par les alliés. Une membre de l’équipe ATD Quart Monde à Gallup au Nouveau-Mexique, racontait qu’elle prenait soin d’envoyer des textos plutôt que d’appeler les gens qui n’ont pas d’électricité puisque les textos consomment moins de batterie. À New York, un autre membre de l’équipe a fait part de ses difficultés à rester en contact avec les gens et à les aider à gérer leurs frustrations et leur isolement. Certaines personnes en situation de pauvreté ont l’impression que leurs efforts permanents sont vains. Certains essayaient de poursuivre leurs études, d’autres avaient enfin trouvé un logement, mais avec toutes les écoles fermées et les millions d’emplois perdus, les objectifs sont à nouveau en suspens et les progrès réalisés pourraient être perdus. Certains sont anéantis par le confinement : il accentue l’isolement dont ils souffrent déjà et les fait douter des mesures prises pour endiguer la pandémie.
En même temps, comme le signale une personne en Oregon :
- Je pense qu’un grand nombre d’entre nous, les personnes marginalisées – qui ont aujourd’hui des craintes légitimes et sérieuses à propos de la pandémie puisqu’elles sont handicapées, ont des antécédents médicaux, sont sans foyer, ou dans des conditions de logement précaire – sont également plus habituées à une vie constamment soumise à la menace et à l’incertitude. Ainsi, nos muscles apocalyptiques sont plus forts, puisque mentalement, spirituellement ou au niveau collectif, nous savons comment nous entraider, créer des réseaux, et faire preuve d’ingéniosité et d’astuce avec les ressources dont nous disposons ou que nous exploitons ensemble.
Par exemple, à New York un homme apprend qu’une famille n’a ni nourriture ni argent. Bien qu’il n’ait lui-même aucune réserve, il partage avec elle dès qu’il le peut. Alors qu’il doit acheter une carte de transport hebdomadaire à 33 dollars pour aller faire ses courses dans un magasin qui n’a pas encore été totalement dévalisé, il reste chez lui puisqu’il sait que les transports sont censés devenir gratuits le lendemain. Il économise ainsi le prix du transport pour acheter de la nourriture.
Une grand-mère de Gallup, au Nouveau-Mexique, élève seule ses deux petits-enfant. Elle est bien décidée à ce qu’ils continuent d’étudier, malgré l’absence d’ordinateur. Elle reste en contact avec les professeurs de ses petits-enfants par téléphone, mais ne peut pas télécharger les fichiers qu’ils lui envoient. Elle a demandé de l’aide à un membre de l’équipe locale d’ATD Quart Monde pour se procurer un manuel de mathématiques afin de maintenir le bon niveau de l’un de ses petits-enfants.
Un homme, qui venait juste de trouver une chambre individuelle dans un centre d’hébergement après avoir eu des problèmes de colocation, a à nouveau accepté de partager sa chambre pour que le centre puisse accueillir davantage de monde, même s’il savait que cela augmenterait ses risques de contamination.
Savoir tendre la main et s’entraider est vital pour nous tous, y compris pour ceux qui, en dehors du contexte de la pandémie, savent comment surmonter les difficultés de la vie. Les personnes qui ont vécu la misère peuvent nous montrer non seulement comment survivre aux conditions de crises, mais aussi comment le faire avec dignité et compassion.