Faire sauter le verrou
Poème et dessin de l’atelier poésie en Irlande, traduction française par Évelyne de Mevius, 2021 © ATD Quart Monde
« Écrire de la poésie m’a fait sortir de ma tête où j’étais emprisonné pendant un moment. Cela m’a permis de me concentrer sur ce qui compte dans ma vie… non seulement sur la façon dont je veux atteindre mes objectifs, mais aussi sur l’amour que je porte à ma femme qui m’a véritablement impressionné par ses talents d’écriture. Ensemble, nos forces se décuplent… Sans ce groupe d’auteurs, je serais resté prisonnier de mon esprit. »
Andrew Kelly parle du groupe d’écriture en ligne mis en place par ATD Quart Monde en Irlande durant la pandémie. Quel rapport entre écriture et lutte contre la misère ? Bien que ce lien ne semble pas d’emblée évident, écrire crée du changement dans la vie des personnes qui s’y risquent.
Poésie et lutte contre la misère
Paul Uzel, militant Quart Monde de longue date, dit que cette écriture ensemble a eu un impact sur la vie et la santé des participants. Pouvoir être avec d’autres et aborder ensemble ce qui pèse.
« Par la poésie, nous avons pu briser la glace. Beaucoup d’entre nous ont vécu des moments difficiles. Se partager ce qu’on écrit nous a conduit à nous ouvrir les uns aux autres avec plus d’aisance. »
Isolement et désolation
Dans le Mouvement ATD Quart Monde, Paul découvre plusieurs façons de parler de la misère et de contribuer à créer l’environnement dont ont besoin les personnes en difficulté. Récemment, il a écrit un article pour aider à promouvoir la recherche participative sur les dimensions cachées de la pauvreté. Il fait remarquer que les familles les plus pauvres sont très largement laissées de côté en ces temps de pandémie :
- « La crise actuelle du Covid nous montre les signes d’inégalités et de discriminations croissantes, ainsi qu’un isolement et une désolation profonde. Les familles et les personnes avec lesquelles nous sommes en lien nous disent qu’il y a un manque de communication ainsi qu’un manque de soutien, et que la vie est de plus en plus difficile. Les familles qui bataillent déjà avec les difficultés, la misère et les discriminations se laissent de plus en plus distancer et sont complètement oubliées. »
Le lien est vital
Un des objectifs essentiels d’ATD Quart Monde est de créer des liens entre des personnes de tous horizons à partir de celles qui sont happées par la misère. Lorsque la pandémie a forcé le monde entier à se confiner, de nombreuses personnes ont expérimenté l’isolement social et le manque de liens qui sont, depuis toujours, le lot quotidien des familles en situation de pauvreté.
« Pour maintenir les liens et vivre quelque chose ensemble pendant cette période difficile, poursuit Paul, une de nos actions a été de créer notre nouvelle page “Keep Connected” (Restez connectés) sur Facebook. L’idée était simple : essayer de se montrer présents en partageant des nouvelles, mais aussi en apportant un peu d’humanité et de beauté dans la vie des personnes en situation de pauvreté. Nous avons utilisé le monde virtuel pour créer un espace de réflexion où nous avons aussi partagé de la poésie, de la musique, des histoires, des blagues… Notre objectif était vraiment que chacun sache que nous étions là ! »
« Même lorsque les rideaux sont fermés, il reste toujours une fente qui laisse filtrer la lumière. Nous voulions être cette bouée de sauvetage en cas de besoin. »
Libertés confinées
Le succès de cette page Facebook a conduit à la création d’un cercle virtuel d’auteurs appelé “Lockdown Liberties” (Libertés confinées). « Là, raconte Paul, un petit groupe a commencé à partager des écrits personnels, des poèmes, des espoirs, des rêves et des réflexions sur la vie. L’entraide qui s’est développée entre les auteurs est très forte. Nous nous encourageons mutuellement à écrire et à partager des poèmes puissants.«
« Nous avons contacté d’autres personnes en dehors de notre cercle habituel. Grâce à cela, nous avons découvert que beaucoup de gens avaient le sentiment d’être laissées pour compte pendant le confinement… Ce cercle d’auteurs a permis des interactions croissantes entre des personnes isolées, négligées même, à cause des restrictions imposées à la société pendant la pandémie.
C’est par le biais de l’écriture et de la poésie que nous avons rejoint d’autres. […]. Aussi petite qu’ait été notre action au départ, elle s’est transformée en quelque chose de bien plus grand que ce que nous avions imaginé. Elle a inspiré d’autres personnes, en Irlande et ailleurs, à se risquer à leur tour, à établir des liens au sein de leurs propres réseaux et au-delà en utilisant les réseaux sociaux. »
Un sentiment d’accomplissement
Comme bien d’autres, Philip a trouvé ces relations essentielles : « Ça m’a aidé à faire sauter le verrou. Apprendre des autres participants, écrire et lire de la poésie, ou des histoires formidables, ça m’a donné un sentiment d’accomplissement. C’était beaucoup de plaisir, une vraie joie d’être dans ce cercle. »
Découvrir le pouvoir de l’expression personnelle, partager ses découvertes, se sentir relié à d’autres et savoir qu’on compte pour autrui, s’échapper de sa prison mentale, sont des expériences essentielles pour tout le monde. N’est-ce pas d’autant plus vraie pour celles et ceux qui constamment doivent faire face à la honte et à la solitude ?
« Notre humanité reste intacte. Nous avons tissé des liens étroits, explique Paul. Ça nous a permis d’exprimer nos craintes, nos préoccupations, nos joies, dans un espace de confiance, en toute sécurité. C’est quelque chose qu’il ne faut pas sous-estimer face à cette situation surréaliste qu’a été le confinement et aux restrictions extrêmes que nous avons eu à endurer. »
Tout vient de là
Chaque année, ATD Quart Monde en Irlande crée des espaces d’expression. De nombreuses personnes soulignent l’effet transformateur de ces espaces. Par exemple le 17 octobre, à l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère, des personnes en situation de pauvreté prennent la parole publiquement alors que ceux qui n’ont pas l’expérience de la misère sont en position d’écouter. Cette inversion de la prise de parole a un impact sur les uns et les autres.
Paul parle de sa première expérience de prise de parole en public comme d’un moment fondateur dans son parcours. C’était un 17 octobre, il avait soigneusement préparé ce qu’il voulait dire, non pas pour parler de lui, mais pour faire entendre la voix des plus pauvres devant une foule qui l’écoutait. Il dit : « Tout vient de là ».