Garantir le respect des droits à Cañada Real
Ancien chemin de transhumance qui reliait La Rioja à Ciudad Real en passant par Madrid, la Cañada Real Galiana a commencé à être habitée dans les années 1950. Elle se trouve à 14 km du centre de Madrid. Sa population résulte d’une succession de vagues de migrants : des travailleurs ruraux dans les années 1950, des personnes expulsées de bidonvilles madrilènes durant les années 1980, ou encore, des communautés gitanes et d’immigrés notamment d’Amérique Latine.
Cette aire est divisée en 6 secteurs qui se situent sur différentes municipalités de la deuxième couronne de la région métropolitaine de Madrid. Elle s’étend sur 15 kilomètres où vivent aujourd’hui des milliers d’habitants. L’accès à l’électricité reste très inégal selon les secteurs et dans certains d’entre eux, il été même été complètement interrompu depuis octobre 2020.
Face à la situation intolérable que vivent ces personnes et ces familles, ATD Quart Monde Espagne et le Mouvement International ATD Quart Monde se sont joints à une réclamation collective contre l’Espagne, pour violation de la Charte sociale européenne révisée (Conseil de l’Europe).
Le Comité européen des droits sociaux (CEDS) a répondu il y a quelques jours à cette plainte collective (la première de ce type contre l’État d’Espagne). Dans son communiqué, la CEDS déclare recevable la plainte et demande au gouvernement espagnol la prise de mesures de précaution. Cette décision ouvre la porte à d’éventuelles autres plaintes collectives en cas de violation des droits de la Charte social européenne.
Le CEDS :
Nous réunissons ici quelques extraits du communiqué de presse publié par la Plataforma Cívica Luz para la Cañada Real (Plateforme Civique Lumière pour Cañada Real) et cinq autres organisations (dont ATD Quart Monde International). Dans ce document, les signataires exigent que l’État espagnol obéisse à la demande du CEDS en rétablissant immédiatement l’approvisionnement en électricité à Cañada Real.
Pour lire le communiqué de presse dans son intégralité, cliquez ici.
Communiqué de presse
Le Comité européen des droits sociaux (CEDS), un organe du Conseil de l’Europe, a demandé à l’Espagne d’adopter des mesures immédiates pour garantir un accès adéquat à l’électricité et au chauffage à Cañada Real (Madrid), en acceptant la réclamation rédigée par les habitants de Cañada Real ainsi que par des organisations nationales et internationales de défense des droits humains.
La Plataforma Cívica Luz para la Cañada Real et les organisations qui ont déposé la plainte – Défense des Enfants International (DEI), la Fédération Européenne des Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri (FEANTSA), Magistrats Européens pour la Démocratie et les Libertés (MEDEL), la Confédération syndicale des commissions ouvrières et le Mouvement International ATD Quart Monde – ainsi que Gentium, qui a coordonné la rédaction et le dépôt d’une réclamation -, saluent la décision prise par le Comité européen des droits sociaux et renforcent leur engagement à continuer d’exiger que l’État espagnol garantisse le respect des droits de la Charte sociale européenne.
- « Maintenant plus que jamais, nous demandons le retour immédiat de la lumière, des contrats et un comité de suivi. Nous demandons justice pour Cañada Real. »
- Javier Rubio, porte-parole de la Plateforme civique Lumière pour Cañada Real.
- « Garantir le niveau de vie minimum signifie assurer le respect de la dignité humaine, qui est le fondement des droits humains que nous sommes tous – États, individus et entreprises – tenus de respecter. Cette décision ne fait rien d’autre que de restaurer la dignité humaine des milliers de citoyens de Cañada Real. MEDEL s’en félicite et espère que l’Espagne l’appliquera pleinement et dans les plus brefs délais, démontrant ainsi qu’il est un État qui se fonde véritablement sur – et promeut – le respect des droits humains. »
- Filipe Marques, président de MEDEL.
- « S’unir pour respecter les droits de ceux qui sont contraints de vivre dans des situations d’extrême précarité est une obligation que nous devons tous assumer. En unissant nos forces et nos connaissances, nous parvenons à faire respecter ces droits par des institutions reconnues, telles que le CEDS. Il faut maintenant continuer à travailler pour que ces recommandations soient appliquées et que tous les droits des habitants de Cañada Real deviennent pleinement effectifs. Cet exemple ouvre de nouvelles voies à d’autres combats pour la dignité menés par ceux qui vivent dans l’extrême pauvreté. »
- Daniel García Blanco, secrétaire d’ATD Cuarto Mundo Espagne et membre du Mouvement International ATD Quart Monde.
- « Nous demandons aux gouvernements nationaux, régionaux et locaux de proposer, avec les habitants de Cañada Real, une solution intégrale pour ce site, en ranimant l’esprit du pacte régional de Cañada Real, signé en 2018. Cette solution devrait tenir compte du rapport rédigé en 2020 par Philip Alston, le Rapporteur spécial des Nations unies pour l’extrême pauvreté et les droits humains. Ce rapport présente une description détaillée et déchirante des conditions de pauvreté et d’exclusion sociale dans lesquelles vivent des milliers de familles de Cañada Real. »
- Alex Kamarotos, directeur exécutif de Défense des Enfants International.
Première plainte collective contre l’Espagne
Le 2 mars 2022, les organisations susmentionnées ont présenté une réclamation collective pour dénoncer le fait que l’Espagne ne respectait pas les obligations adoptées par le Conseil de l’Europe, conformément à la Charte sociale européenne, car elle n’assurait pas la fourniture de chauffage et d’énergie à environ 4 500 personnes qui vivent dans les secteurs 5 et 6 de Cañada Real, dont au moins 1 800 sont mineures. L’approvisionnement en énergie a été interrompu en octobre 2020 et se poursuit encore aujourd’hui. De plus, elles ont demandé que des mesures préventives soient adoptées de toute urgence.
Par une décision sans précédent, adoptée à l’unanimité le 19 octobre 2022, le Comité européen des droits sociaux exige que l’État espagnol adopte « toutes les mesures possibles » afin d’éviter « des dangers graves et irréversibles pour l’intégrité des personnes » qui vivent à Cañada Real et qui « n’ont pas un accès adéquat à l’électricité, les exposant ainsi à des dangers mortels et à des risques pour leur intégrité physique et morale ». L’Espagne devra faire rapport sur les mesures adoptées avant le 15 décembre.
Le Comité souligne que le manque prolongé et récurrent d’énergie a eu « un impact très grave sur les conditions de vie de la population en question, notamment en termes de logement, de chauffage et de santé ». Il considère que les habitants de Cañada Real qui ont été totalement ou partiellement privés d’énergie courent le risque d’un danger grave et irréversible, en particulier pendant l’hiver à venir.
Le Comité a également déclaré recevable la plainte collective, la première du genre contre l’Espagne, qui a jusqu’au 15 décembre pour présenter ses allégations.
Impact du manque d’approvisionnement énergétique sur les droits reconnus par la Charte sociale européenne
Le manque d’approvisionnement en énergie a un impact dévastateur sur la vie des personnes qui en souffrent, car elles ne peuvent pas conserver les aliments au frais ou se doucher avec de l’eau chaude. Il provoque des maladies et l’aggravation de pathologies préexistantes. Elle rend également difficile l’utilisation d’appareils médicaux essentiels et compromet le stockage correct des médicaments.
En raison de l’interruption continue de l’approvisionnement en énergie et de l’absence de mesures pour le rétablir, l’État fragilise, entre autres, le droit à un logement décent, le droit des enfants à l’assistance, à la protection contre la négligence et la violence, le droit à l’éducation, à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale, le droit à l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes, au plus haut niveau de santé possible, mais aussi le droit à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté, tous ces droits étant inclus dans la Charte sociale européenne.
Devant ces faits, l’État espagnol n’a toujours pas mis en œuvre des mesures pour rétablir l’approvisionnement ou fournir une alternative aux personnes affectées.
Photo: Bruno Thevenin © El Salto, 2022