Ile de la Réunion : un forum citoyen pour se soutenir dans la lutte contre la misère
Le 28 octobre 2014 sur le parvis des droits de l’homme à Champ Fleuri – Saint Denis – Ile de la Réunion, s’est tenu un forum sur le thème : « Ne laisser personne de côté : Réfléchir, décider et agir ensemble contre la misère » qui a rassemblé plus de 70 personnes.
Nous fêtions le 25ème anniversaire de la dalle en l’honneur des victimes de la misère en présence des délégués de Madagascar et de Maurice (voir article ici)
Le forum a été introduit par un sketch. Trois militantes mettaient en scène la situation d’une femme qui était assise toute seule, malheureuse. Deux autres personnes vont vers elle pour chercher à comprendre ce qu’il lui arrive. Elle explique qu’elle n’a pas pu garder chez elle son frère au delà de trois mois, par peur d’une enquête sociale et que ses allocations soient coupées. Elle s’inquiétait pour son frère retourné à la rue. A la fin de cette scène, ces militantes nous ont posé la question : « Si la loi nous empêche d’aider notre prochain, notre famille même, comment vivre dans une société comme cela ? Aujourd’hui, ici, nous entendons : « Ne laisser personne de côté », mais comment faire ? » La suite du forum a permis un dialogue entre les participants pour réfléchir aux situations d’exclusion et à leurs causes, et chercher des manières de se mettre ensemble, partager nos initiatives.
« La société nous rejette »
« Certains d’entre nous ont reçu des menaces par les institutions, quand nous réclamions nos droits. » « Les gens nous repoussent et nous traitent d’incapables et de paresseux. » « De nos jours, il vaut mieux être un arbre, un animal, car ils sont mieux protégés. Nous, on a une amende si on ramasse certaines espèces. Nous les êtres humains, on ne nous protège pas, on subit. » Malgré la loi DALO ( Droit au logement opposable), de nombreuses personnes qui n’ont pas de domicile fixe n’ont pas accès à un logement. Beaucoup de personnes âgées ou handicapées souffrent d’isolement. Toute une partie de la jeunesse n’a pas accès à un emploi, des personnes tombent dans la drogue ou dans l’alcool.
Les participants ont donné des exemples de personnes qui sont laissées seules avec leurs problèmes, comme une maman et son bébé, vivants avec un très faible revenu, son logement a eu des fuites d’eau et les factures d’eau sont montées à une somme très élevée. Malgré toutes ses démarches auprès du Conseil général, son eau a été coupée.
Des participants qui n’ont pas connu la pauvreté ont dit combien cela les touchait d’entendre ces témoignages et comment elles étaient admiratives de ces personnes qui se battent tous les jours et sont souvent face à des choix impossibles, comme une maman qui doit travailler pour avoir une maison avec une chambre pour accueillir son enfant placé en foyer et qui pour cette raison, n’a pas le temps d’aller voir son enfant.
Comment en est-on arrivé à une telle situation à la Réunion, dans une société où il y a autant d’argent ?
Les gouvernements successifs ont mis en place des aides sociales, des services sociaux. Mais les aides ont remplacé la solidarité, et le progrès a cassé des systèmes traditionnels faits d’entraide et d’initiatives. « Avant, on n’avait pas l’électricité, on cherchait du bois. On avait toujours l’eau. Mais maintenant chercher du bois, planter, c’est interdit. Aujourd’hui on habite dans un immeuble. Dans un appartement, on cache la misère. » La pauvreté est souvent invisible, et les gens sont enfermés dans la honte de leur situation. « Les gens qui en ont le plus besoin sont renfermés sur eux-mêmes, ils ne viendront pas frapper à la porte d’un service social et les services sociaux ne prennent pas le temps d’aller faire du terrain, d’aller rencontrer les gens. » « Quand on a des soucis, on sait qu’on ne peut pas en parler à n’importe qui. On a honte d’en parler, que les gens aillent raconter des choses fausses. Alors on garde nos problèmes. » « On connaît des personnes qui n’ont pas l’eau et l’électricité, ou qui n’ont pas la couverture santé à laquelle elles ont droit. Elles n’osent pas faire les démarches, de peur de ne pas arriver à s’exprimer, de ne pouvoir rassembler tous les papiers, et elles n’accèdent pas à leurs droits. »
Agir ensemble contre la misère
Se mettre ensemble, être attentif dans son quartier, s’engager dans des associations locales, échanger des savoirs, se montrer solidaire des autres, c’est le chemin pour briser les chaînes de la misère. « A la Réunion il y a l’importance de la famille, de la solidarité. Il faut garder cela. La misère n’est pas une fatalité. Il faut garder la tête haute, regarder devant nous. »
« Dans notre quartier, on a un atelier d’échange de savoir, ceux qui savent tricoter apprennent aux autres. » « Nous qui avons vécu d’être mis de côté, si nous pouvons aider les autres nous le faisons. Par exemple quelqu’un qui n’a pas de machine à lever, lave le linge d’une autre personne qui n’a pas d’eau et d’électricité. »
Milène et Marie-Paule, militantes Quart Monde ont parlé de leur groupe ADF accès aux droits fondamentaux. « Dans différents quartiers, des habitants se sont mis ensemble pour réfléchir et se soutenir dans les démarches. Ils veulent que personne ne reste seul face aux problèmes de tuyaux crevés, de loyer, ou de démarches administratives. Ils savent ce que c’est d’être renfermés, à l’écart, avec la honte et la culpabilité et ils ne veulent pas que d’autres vivent ce qu’ils ont vécu. Quand on est ensemble, quand on peut parler, réfléchir avec des personnes avec qui on a confiance, on retrouve de la force. Ceux qui ont été accompagnés hier dans les démarches, accompagnent d’autres aujourd’hui. »
Une personne du quartier de Ravine Daniel raconte : « Dans notre association, on a des actions de formation et d’insertion pour les jeunes, avec le droit à des formations diplômantes Beaucoup de jeunes sont sans formation, sans diplôme. Nous vivons dans le quartier, nous connaissons ces jeunes. Nous les trouvons sur le bord de la route à la rentrée scolaire. Nous créons la rencontre pour leur proposer une formation. »
Les délégués de Maurice parlent de leur engagement auprès des enfants (animation d’un groupe Tapori ou création d’une école) : « Je ne veux pas que les enfants subissent ce que nous on a subi, la maîtresse avait écrit sur mon dos ’je suis incapable’ ». « J’ai eu de l’éducation, je veux que les enfants aillent à l’école, ce que j’ai, je vais le partager. »
Nos amis de Madagascar nous ont dit comment ils se sont mis ensemble pour soutenir dans les démarches longues et difficiles, les personnes qui n’ont pas d’acte de naissance, pour que les enfants aient le droit d’aller à l’école et qu’ils puissent avoir une identité reconnue et plus tard un travail. Dans un quartier de Majunga, un jeune n’a pas accepté qu’une famille dans la misère ne puisse pas enterrer dignement son mort et il a réussi à recréer la solidarité dans le quartier et à la maintenir à travers une association.
« Dans beaucoup d’exemples, cela a commencé par une ou deux personnes, puis cela a gagné le quartier, les institutions. On fait un pas en avant, ça va continuer avec d’autres personnes » a souligné Dominique Versini, Président d’ATD Quart Monde Réunion.
Annie Claude Abrisca, l’animatrice du forum, a conclu : « Ce partage était très riche, on a mis le doigt sur des situations de vie. Malgré les apparences, il existe des situations de misère dans les îles. Il faut revenir à la dignité, la solidarité, agir ensemble. Il y a des ressources dans les associations et dans les démarches entendues. Continuons pour que le monde soit meilleur. »
Equipe ATD Quart Monde de l’Ile de la Réunion