Intervention de Gilberte Moellon Membre du Mouvement ATD Quart Monde France – La Réunion
Les violences institutionnelles et politiques. Colloque international « La misère est violence, rompre le silence, chercher la paix » Maison de l’UNESCO 26 Janvier 2012
« Cohéritière d’une large part des violences…. qui hantent la Réunion et les Iles des Comores : esclavage, engagisme, exil forcé, stigmatisation, misère, immigration. »
Pour moi, la Réunion est une terre héritière de violence contenue dans l’esclavage et l’engagisme. Aujourd’hui des scandales de l’histoire ou des violences de toujours façonnent la vie d’homme, de femmes et d’enfants.
Cette affirmation m’amène à considérer ce que vivent les Cafres à la Réunion
Ils ont connu deux « régimes » de traitement spécial d’une part de l’humanité : l’esclavage et l’engagisme . Il s’agit de travailleurs volontaires « engagés » (africains ou malgaches) après l’abolition de l’esclavage en 1848. Leur situation de vie fut guère différente de celle des esclaves
Mais aujourd’hui, au 21ème siècle qu’en est-il de la place du Cafre dans la société réunionnaise, département français d’Outre -Mer ?
Le politiquement correct amène une modération au niveau du langage. Les sobriquets donnés aux cafres sont moins utilisés, le métissage a modifié l’aspect physique d’une partie de la population d’origine africaine ou malgache.
Mais rejoignant L. MEDEA le sociologue, nous pouvons dire « Sous couvert du métissage et d’une interculturalité tant louée, la Réunion est une société très hiérarchisée socialement et ethniquement dans laquelle les Cafres ont les plus bas niveaux d’éducation et restent cantonnés à la base de la hiérarchie professionnelle. La comparaison De leur niveau de formation avec celui des autres groupes fait ressortir ces derniers comme étant parmi les plus défavorisés .
D’après madame LABACHE sociologue, « Ils se perçoivent comme le groupe le moins solidaire. Il est vécu l’auto-dénigrement des cafres par des cafres eux-mêmes ». Phénomène que des auteurs Franck FANON et Edouard GLISSANT en autres désignent comme « le meurtre symbolique du Noir par le Noir ». Les Cafres ont intériorisé des traits psychologiques que les colons et les autres groupes ethniques leur ont attribués dès leur arrivée à la Réunion. Cela est tellement ancré dans l’inconscient collectif qu’on retrouve ces représentations négatives chez la plupart des Réunionnais y compris eux-mêmes : pas combatifs, manquant d’ambition, paresseux, laids, pas intelligents (lé couillon), porteur d’un complexe d’infériorité et une mentalité d’assisté. L’honnêteté est la seule représentation positive qui leur est accordée.
Ces dernières années des tentatives pour effectuer un retournement de stigmatisation sont là. Certains cafres mettent en œuvre des stratégies et une volonté d’assurer une promotion sociale, d’autres militent à travers des mouvements associatifs ou autres en faveur d’une prise de conscience sur les Cafres.
Ces dernières évolutions mettent en lumière la prise de conscience des injustices subies par les cafres et les efforts pour œuvrer à la constitution d’une société plus égalitaire.
Elles nous apprennent que les séquelles de l’esclavage, et par delà l’esclavage, les séquelles de toutes discriminations, doivent être élaborées, reconnues, et ne devraient plus constituer un tabou dans la société réunionnaise… Il appartient à chacun. Il m’appartient comme à tout enseignant et de citoyen, d’aller au-delà du tabou pour une société plus juste et une paix durable. Nous partageons la pensée de tous ceux qui répètent : « Ce mouvement de réflexion sur les Cafres se présente comme la recherche d’un humanisme, c’est-à-dire faire reconnaître l’humain dans toute figure cafre. Pour œuvrer à une identité apaisée dans la société réunionnaise. »
Cette responsabilité m’amène à souligner l’existence par le passé d’autres scandales de l’histoire
Les Centres d’enfermement
L’histoire des centres d’enfermement pour enfants abandonnés ou délinquants commence au lendemain de l’abolition de l’esclavage à l’époque où la société coloniale doit prendre le contrôle des jeunes enfants d’affranchis, livrés à eux-mêmes ou n’ayant plus de parents pour assurer leur insertion dans cette société. Avant l’abolition, les enfants d’esclaves, propriété des maîtres, se voyait imposé un travail précoce. Ces enfants étaient exclus du système éducatif colonial.
À côté des maîtres, le clergé a pour mission d’inculquer une instruction religieuse aux esclaves.
Après l’abolition de l’esclavage en 1848, ces enfants qui errent dans les rues de Saint-Denis à la recherche de nourriture et d’un toit sont considérés vagabonds, ils tombent sous le coup de la législation coloniale et sont internés dans un centre d’éducation.
C’est dans ce contexte que se crée le centre de La Providence première maison de redressement qui abrite un pénitencier pour enfants vagabonds.
À partir de 1869, ce pénitencier est remplacé par le pénitencier de l’Îlet à Guillaume. C’ est un plateau de 10 ha à 700m d’altitude. Il est entièrement entouré de pentes abruptes et falaises vertigineuses. C’est un véritable « nid d’aigle », difficile d’accès où les évasions sont vouées à l’échec.. Jusqu’en 1879, année de la fermeture de l’établissement, il s’y effectue l’envoi de plusieurs sections d’enfants condamnés pour vagabondage ou simplement pour vol de nourriture. Les petits détenus majoritairement des enfants cafres seront au nombre de 240 dans la phase d’apogée de l’établissement. Agés de 8 à 21 ans, la durée de leur condamnation est de quelques jours à plusieurs années.
Ces enfants réaliseront une série de gros travaux qui entraîneront des accidents graves dont certains mortels. Ce sont :
- un canal d’alimentation d’eau
- des logements+ une petite église d’environ 12 m sur 7,50 m.
- des Plantations
Le régime de l’Îlet à Guillaume est d’une extrême sévérité : utilisation de fers, de menottes, du fouet pour obtenir la soumission des enfants.. En fermant l’Îlet Guillaume, la colonie de La Réunion met fin provisoirement à un système carcéral pour enfants abandonnés ou orphelins…
Un demi-siècle après cet épisode tragique, est créée une nouvelle structure éducative : l’association pour l’enfance coupable et abandonnée » ou APECA, sur le modèle de l’Îlet à Guillaume…
La notion de culpabilité des enfants, qu’ils soient orphelins ou détenus est celle que retient la mémoire des Réunionnais de cette période quand on évoque l’histoire de l’APECA.
Beaucoup d’anciens enfants ont du mal à parler de leur passé, encore hantés par les souvenirs douloureux de leur placement dans un univers carcéral qui n’est guère différent du pénitencier de l’Îlet à Guillaume. Certains refusent d’évoquer leur enfance. Plus un événement est douloureux pour un homme, plus profondément celui-ci l’enfouit dans sa mémoire. Ils préfèrent rester silencieux et faire comme si rien ne s’était passé.
« Les enfants déportés »
De 1963 à 1965, des 2CV de la Direction Départementale de l’Action _ Sanitaire vont sillonner l’île pour alimenter un pont aérien plusieurs fois l’an. Des caravelles emportent quelquefois des fratries entières de petits réunionnais. Entre 1963 et 1968, le nombre de pupilles de la nation va doubler. Plus d’un millier d’enfants ont été ainsi placés dans des foyers et des familles d’accueil de la CREUSE (Guéret), le TARN (Albi), de L’HERAULT … D’autres sont récupérés à Orly par une famille adoptive. A leur arrivée racontent-ils, ils sont « désinfectés » Ils n’étaient pas tous orphelins. A leurs père ou mère on avait présenté la France, mère patrie comme l’eldorado. On avait évoqué un séjour temporaire. On soupçonne même des extorsions de signature d’abandon.
J. J M. témoigne. Son père analphabète avait apposé son pouce sur le certificat d’abandon. Pris de remords, il a demandé à récupérer son enfant. On lui a répondu qu’il était mort. Jean a connu le travail à la ferme de 5 heures du matin à 10, 11 heurs du soir. Il a exigé son retour au foyer. Le patron l’a ramené et est reparti avec un autre petit. Aussi simple !
Depuis qu’il est retourné à l’Ile de la Réunion JJM. a repris son nom de famille d’origine. Il a depuis déposé plainte pour « enlèvement et séquestration de mineur, rafle et déportation » et a écrit « Une enfance volées », (édition des Quatre chemins, 2003)
La réussite scolaire, professionnelle, sociale promise par les autorités de tutelle de l’époque est quasi absente, les enfants exilés ont plus souvent connu l’échec social. Leur plus haut niveau d’études se résume pour la plupart au certificat d’études. Parmi eux se compte un certain nombre de suicidés, certains sont tombés dans l’alcool ou connaissent des troubles psychiques. On estime à peine 5 pour cent le taux de réussite sociale des ces enfants.
Très peu d’entre eux sont revenus dans l’Ile Ces enfants orphelins ou pas ont laissé derrière eux des membres de leur famille chez qui le sentiment dominant depuis le jour de leur départ masqué est la culpabilité à laquelle est venue s’ajouter une douleur face à leur vie chaotique ou douloureuse.
La langue créole
Quotidiennement et massivement employée par les Réunionnais, la langue créole est rarement prise en compte dans nos administrations diverses, médias, temples et écoles. Malgré les recherches qui ont mis en exergue la corrélation entre l’échec scolaire et la non prise en compte de la langue maternelle dans l’enseignement, il n’y a toujours pas de véritable prise en compte de la langue créole dans nos politiques linguistiques et éducatives à la Réunion. Dans les années 6O il a même été constaté que les élèves qui parlaient créole étaient jugés inaptes : le problème était individualisé et en aucun cas ne relevait du système « éducatif. Ce n’est qu’en 1980 que les facteurs sociaux et culturels intègrent le débat. Nos 110 000 illettrés, les nombreux enfants qui quittent le système scolaire prématurément nous crient les conséquences du déni de notre langue maternelle. La Réunion société de tradition orale génère des personnes amputés de la parole : maîtrisant mal le français, s’exprimant dans un français « macote » (mauvais) qui les contraint à partager un minimum de pensées, d’émotions et encore moins l’écriture