Intervention de René Muhindo Membre du Mouvement ATD Quart Monde République Démocratique du Congo
La non-reconnaissance des personnes vivant dans la misère comme êtres humains. Colloque international « La misère est violence, rompre le silence, chercher la paix » Maison de l’UNESCO 26 Janvier 2012
Quand j’étais enfant ma mère me disait : « nous pouvons manquer de tout mais je ne peux jamais accepter que pour une raison quelconque, l‘on puisse salir la dignité de ma famille ou des mes enfants. » Je ne comprenais pas au fond ce que la phrase voulait dire exactement, mais un jour, travaillant comme répétiteur dans une famille, la patronne, en voulant m’humilier, j’ai réalisé que la dignité vaut tout et que chaque être humain en tant que tel en a besoin.
Mais fort malheureusement, dans la société actuelle, des milliers des personnes sont réduites au néant. Ceci n’est pas un fait propre ou typique à un pays car durant l’échange tenu dans le colloque, chacun des participants l’a exprimé selon qu’il le vit dans son pays :
- Eldiberta disait : « on est traités comme des ennemis, on ne nous parle pas, on nous méprise et on est séparés des autres ».
- Thomas : « Au Royaume Uni, la pression de la société sur les pauvres, leur pousse à perdre le goût de se reconnaître en tant qu’êtres humains ». Quelqu’un d’autre l’a bien expliqué dans le groupe en parlant de ce chef qui disait à ses partenaires : « occupez-vous de vos chiens et laissez ces hommes là ».( Il n’a pas dit ces hommes mais ces hommes là)
- Lorsque les pauvres pleurent, c’est considéré comme une agression. Leur colère et leur désaccord sont souvent vus comme des agressions. Jamais leur parole n’est prise comme une contribution. Et lorsqu’ils préfèrent se taire on dit : « regarde ces gens qui refusent d’évoluer, qui refusent de changer ». Quoiqu’ils fassent, les pauvres ont toujours tort.
- Thérèse : « Les gens qui vivent dans la rue sont souvent considérés comme des pollutions », quelqu’un d’autre est revenu sur ce fait en disant : « dans la société, on nous considère comme si nous sommes moins » et ensuite un autre participant a dit : « les pauvres sont considérés comme des êtres invisibles ». Les exemples comme ça sont légion et je ne peux tous les évoquer.
Au delà de tout ce qui peut ressortir du colloque, moi personnellement deux choses m’écœure et me paraissent plus anormales :
Premièrement c’est la banalisation de la misère et sa non-reconnaissance comme violence. Exemple : un jour un enfant X m’a révélé qu’il était fier de sa maman parce qu’elle acceptait de vivre comme une poule. Étant donné que le repas ne suffisait pas, elle acceptait de passer la nuit ventre creux, pour que ses enfants puissent manger à leur faim.
Deuxièmement c’est de voir que même des personnes informées et des fois plus informées, arrivent à réduire les pauvres au néant. Comme étudiant, un jour un professeur en économie dit en auditoire : « quelque part dans ce monde je retrouve un pauvre mourir de faim par terre. Et à côté il y a des belles maisons et des gens qui passent sans pour autant s’en occuper. C’est cela en économie, on ne se soucie pas des autres là, des déchets… »
Je me suis senti dérangé et j’ai voulu insisté car j’ai pensé à toutes ces familles que j’accompagne dans leur démarche de lutte et dont je connais le potentiel mais le professeur au lieu de se laisser voir comprendre qu’on ne peut parler de véritable développement sans parler de celui de l’homme, celui de tout homme et de tout l’homme ; il a simplement répondu : « mon cher René, je ne suis pas venu débattre ici, je suis venu exposé ».
C’est en quelque sorte ça chez le pauvre, il est considéré comme quelqu’un qui ne peut avoir à dire. C’est pour cela qu’il est condamné à tout jusqu’à sa non reconnaissance en tant qu’être. Surtout lorsqu’il doit être condamné à accepter des projets qui ne tiennent pas compte de ses besoins et qui l’effondrent davantage. Il y a toute une matière autour de ceci mais je pense qu’il faut tout faire pour ne pas continuer de parler de la misère sans la comprendre comme une violence. La paix dans ce monde, ce n’est pas simplement l’absence de coups de feu. Si la misère n’est pas comprise comme une guerre, il n’y aura jamais de véritable paix et conséquemment de vrai développement.
René Muhindo