La Chapelle d’un bidonville classée Monument Historique
Photo : Vue sur les igloos du camp de Noisy-le-Grand depuis la porte de la chapelle, 1963 © ATD Quart Monde / Centre Joseph Wresinski / 0085-007-009
Intervention d’Isabelle Pypaert Perrin, volontaire permanente d’ATD Quart Monde, lors de l’inauguration de la chapelle de Noisy-le-Grand, en septembre 2021.
La reconnaissance de la chapelle
Merci Monsieur Roturier, votre présence ici en ces journées du patrimoine est un signe fort de la reconnaissance de cette chapelle et de ce qu’elle exprime.
La reconnaissance des pierres, mais surtout la reconnaissance que ces pierres, cette charpente, ces vitraux… sont porteurs de la grandeur qui habite tout le monde, et qui habite donc aussi celles et ceux qui vivent dans la misère.
C’est une grandeur à côté de laquelle on passe si souvent parce qu’on se concentre sur les difficultés, les manques, les besoins des personnes en situation de pauvreté, et cela nous empêche de voir leur courage, leur intelligence, leur spiritualité forgée par le refus d’être compté pour rien, le refus que des êtres humains soient piétinés.
Ce que nous a appris Joseph Wresinski, c’est justement cela : rencontrer ceux qui résistent à la pauvreté dans la profondeur de leur désespoir, mais aussi les rejoindre dans la profondeur de leur humanité.
Moments de vérité
Dans le magnifique film de Brahim Sarahoui et Claire Jeanteur, Bernard Jahrling dit qu’il n’y avait jamais autant de joie au camp que dans les moments vécus dans cette chapelle.
- Et s’il y avait de la joie, c’est parce que dans cette petite chapelle, des femmes, des hommes, des enfants et des jeunes méprisés par tous pouvaient exprimer leur vie intérieure et par là se situer à la hauteur de ce qu’ils étaient en profondeur, à la hauteur de tous les êtres humains. Ce sont ces moments de vérité, de partage de souffrance et d’espérance, qui ont engagé des personnes de tous milieux à leurs côtés. De tous milieux et de tous horizons spirituels, comme le dit Gabrielle Erpicum dans le film : la lutte contre la misère n’est pas d’abord affaire de religion, elle est une responsabilité de tous les êtres humains.
La reconnaissance de cette chapelle est une étape. Nous sommes reconnaissants envers celles et ceux qui nous ont menés jusqu’à ce jour, depuis ceux qui l’ont édifiée de leurs mains, avec courage et dans les larmes, jusqu’à ceux qui l’ont restaurée en étant habités par sa signification.
Le combat continue
J’ai aimé entendre dans le film, un des hommes qui travaille à la restauration du toit dire :
« Travailler sur un toit construit par des gens qui étaient des sans-abris, c’est bien ».
Mais la misère continue, alors cette étape n’est pas le bout du chemin.
Ce mois-ci, quelques jours après la rentrée des classes, à Montpellier, des familles d’un bidonville ont été expulsées, pour des raisons de salubrité et de sécurité. Les voilà dispersées dans la ville et sa périphérie, alors qu’il n’y a plus déjà de places d’hébergement, condamnées à une plus grande insécurité encore.
Les bulldozers qui ont rasé les baraques sous le regard des enfants ont-ils épargné les cahiers d’école, la belle et unique photo d’un moment heureux, un vieil outil transmis par un père, ou le livre saint qui aidait à prier ?
Les familles dans la misère ne sont pas plus aimées aujourd’hui qu’en 1957, et le monde ne croit toujours pas en ce qu’elles construisent.
Au contraire, on le détruit sans cesse parce que cela dérange nos plans, notre ordre, parce qu’on prétend que c’est fait de bric et de broc, qu’on n’y voit pas de traces de beauté, d’ingéniosité, de projet.
À cause de cela, les pauvres sont sans cesse dépossédés du peu qu’ils ont et de ce qu’ils bâtissent avec trois fois rien mais avec un courage incroyable pour être comme tout le monde.
Reconnaître ce dont les plus pauvres sont créateurs
Mais cette fois, grâce à vous Monsieur Roturier, grâce à la Drac de l’Ile de France et au Ministère de la culture que vous représentez aujourd’hui, grâce à vous Monsieur Cerclet et Claire Vignes-Dumas, grâce à vous Monsieur Gatier, et Clotilde Breux, grâce aux amis du comité de la chapelle animé par Olivier Grenot, grâce à tous ceux qui ont contribué à ce projet, cette fois, grâce à vous, ce que des pauvres ont construit pour dire haut et fort qu’ils sont des êtres humains a été préservé, reconnu, restauré.
Et cela nous engage ensemble à tout mettre en œuvre pour apprendre à reconnaître ce dont les plus pauvres sont les créateurs parmi nous, le surcroît d’humanité, de beauté et d’intelligence, de lucidité et de courage, qu’ils apportent dans notre monde et dont nous avons un besoin vital pour relever les défis de notre temps.