La misère est violence – Rompre le silence – Chercher la paix
Le Colloque international à l’Unesco en janvier 2012 auquel la démarche de connaissance expertise sur « la misère est violence » a abouti n’était pas tout à fait comme les autres. Des personnes et des populations que la situation de pauvreté oblige tous les jours à faire face à des violations de leurs droits fondamentaux l’ont construit avec d’autres qui n’ont pas les mêmes conditions de vie. Ce colloque a ouvert un espace pour questionner et réajuster les problématiques liées à la violence et à la paix de façon à ce que cela fasse sens pour les acteurs de premier rang.
Ce colloque a existé pour qu’on ne puisse plus parler de l’extrême pauvreté sans dire que c’est une violence faite aux personnes et qu’on ne puisse plus parler de mettre fin à la violence sans prendre en compte la violence de la misère.
« Est violence toute atteinte à la vie et à l’intégrité physique des êtres humains, dès lors qu’une telle atteinte n’est pas imputable à la fatalité ou au hasard, mais qu’une responsabilité humaine y est engagée. (…) Le mot « violence » peut donc désigner tout ce qui porte atteinte aux droits fondamentaux des personnes humaines, à condition que cela ait des causes humaines. » Christian Mellon, Campus, Pierrelaye, août 2009
Contexte
La misère a été définie 1 comme un cumul de précarités persistant empêchant les individus d’assumer leurs responsabilités et de jouir de leurs droits sans soutien extérieur. Un tel état, par définition, fait violence aux personnes, puisqu’il les met dans une situation, où elles ne sont plus protégées par le droit. Elles sont dans l’obligation d’assumer les devoirs définis par la loi et par la coutume, sans en avoir les moyens. Plus encore, on leur dénie très souvent tout sens de responsabilité pour elles-mêmes et pour les autres. Considérées comme fautives, elles deviennent la cible de violences estimées légitimes.
Par ailleurs, aujourd’hui le sentiment que l’insécurité et la violence augmentent est l’une des grandes préoccupations des pouvoirs publics, des agences intergouvernementales, comme de la société civile dans le monde. Dans de nombreux cas, les réponses données suivent la pente de la peur et de la méfiance de l’autre.
Elles relèvent de l’exercice des prérogatives des États en matière de forces de l’ordre et de police, et, loin de faire travailler la société civile à créer les conditions de la paix, renforcent les facteurs durables de violence.
Par exemple, construire des murs pour isoler les unes des autres des populations – dont les conditions matérielles et les chances d’accéder aux droits fondamentaux sont très inégales – répond aux symptômes de la peur et de la violence en laissant prospérer leurs causes.
Les programmes destinés à répondre à l’insécurité et à la violence conduisent trop souvent à des politiques de contrôle ou de sécurité, à l’application de sanctions plus drastiques, ou à la culpabilisation des plus pauvres et, finalement, à une violence institutionnelle qui renforce l’exclusion.
Les programmes destinés à lutter contre les inégalités sont souvent eux-mêmes sources de nouvelles violences pour les plus exclus, quand ils ne prévoient pas une réelle participation des personnes concernées à leur conception, leur mise en œuvre et leur évaluation. Il y a là un enjeu majeur pour ces politiques, par exemple pour l’agenda des Nations Unies visant à mettre fin à l’extrême pauvreté.
Une longue histoire de partenariats
Ce colloque s’est situé dans une longue histoire de partenariats divers pour une culture et une civilisation fondées sur l’égale dignité de tout homme Depuis ses débuts au camp de Noisy-le-Grand, le Mouvement ATD Quart Monde dénonce la violence faite aux pauvres. Dans cet esprit, depuis quatre décennies il contribue et s‘alimente à la problématique des Droits de l’Homme, coopère aux recherches et aux actions pour les promouvoir. Il développe des projets sur le terrain avec des personnes qui vivent en situation de pauvreté ; il travaille pour sensibiliser l’opinion des citoyens et obtenir des changements politiques ; il promeut le dialogue et la coopération entre différents acteurs sociaux en participant à divers échelons, tant locaux qu’internationaux, aux efforts pour s’unir à cause de la situation des plus pauvres. Il tire enseignement de l’action et implique des chercheurs : sociologues, travailleurs de la santé, politiques. Dans toutes ses actions, deux principes majeurs sont mis en œuvre :
- Penser et agir avec les personnes en situation de grande pauvreté, ce qui permet d’établir ensemble les conditions d’une véritable participation.
- Ne laisser personne de côté.
Mais la tradition d’ATD Quart Monde est également de remettre en cause sa propre manière de dire les choses, en essayant de se ressourcer dans la vie avec les plus pauvres. Par exemple, est-ce que penser la misère en termes de Droits de l’Homme intègre assez la vie, la pensée et la recherche de ceux qui sont confrontés à la misère ? Il ne s’agit pas simplement de leur demander de témoigner. Il s’agit de comprendre avec eux ce qui est utile à penser sur les réalités de la vie afin de pouvoir y faire face ensemble. Et la violence de la misère est difficile à penser.
Ce colloque a visé à penser la vie en société avec ceux que l’extrême pauvreté prive de leurs droits fondamentaux
Cette démarche était celle de plusieurs années de dialogue entre acteurs d’une recherche-action participative menée par des personnes en situation de grande pauvreté et d’autres engagées à leurs côtés dans des pays différents ; recherche-action pour arriver à comprendre comment les plus pauvres pensent, expriment, “problématisent” la violence de la misère. La banalisation même de cette misère est violence. Le colloque a visé à consolider la compréhension de cette démarche en élargissant le dialogue. Il s’agissait de croiser l’apport des acteurs de la recherche-action avec d’autres approches et problématiques, de façon à ce que cette rencontre, en cours de construction, encore fragile, puisse soutenir la réflexion et l’action de tous.
Ce colloque a visé à construire une pensée qui puisse être validée par tous les acteurs
La démarche régulière du Mouvement ATD Quart Monde est également le renouvellement de la connaissance. Elle est le résultat d’une prudence. Nous sommes évidemment en position inégale lorsque nous cherchons à penser avec ceux qui sont reconnus comme spécialistes des Droits de l’Homme ou de telle ou telle discipline, ou avec ceux qui ont à penser la violence au cœur de sa pression tous les jours. La démarche du colloque a été guidée par la conviction que le croisement de la connaissance concrète et de la manière de pouvoir la penser est indispensable aux uns aussi bien qu’aux autres : aux plus pauvres, à ceux qui sont engagés à leur côté dans la recherche-action et à ceux qui développent une compétence reconnue par rapport à ces questions dans différentes disciplines et responsabilités. L’apport du Mouvement était d’avoir, depuis plus d’un demi-siècle, construit, pas à pas, des espaces où des personnes en situation de grande pauvreté ont pu poser des problématiques et en débattre entre elles et avec d’autres.
Ce colloque rejoignait, éclairait et approfondissait une vision de la paix comme elle est énoncée dans la Convention qui a donné naissance à l’Unesco
- « Que, les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ; (…) Que, la dignité de l’homme exigeant la diffusion de la culture et l’éducation de tous en vue de la justice, de la liberté et de la paix, il y a là, pour toutes les nations, des devoirs sacrés à remplir dans un esprit de mutuelle assistance ;
Qu’une paix fondée sur les seuls accords économiques et politiques des gouvernements ne saurait entraîner l’adhésion unanime, durable et sincère des peuples et que, par conséquent, cette paix doit être établie sur le fondement de la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité. »
En ce sens, le colloque a pu constituer une contribution utile au travail, récemment confié par l’Assemblée générale des Nations Unies à son Secrétaire général, de recueillir les meilleures pratiques existantes pour favoriser « la participation active de ceux vivant dans l’extrême pauvreté à la conception et à la réalisation des programmes et des politiques ». 2
- Définition proposée par Joseph Wresinski, dans le rapport intitulé « Grande pauvreté et précarité économique et sociale« , adopté en 1987 par le Conseil économique et social français reprise en 1996 par la Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités des Nations Unies.
- Résolution L67