La région de l’Océan Indien réunie pour le 17 Octobre 2014
Cette année, plusieurs commémorations ont réuni des membres du Mouvement dans la région Océan Indien à l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère. A Port Louis Waterfront (Ile Maurice), une délégation de l’Île de la Réunion est venue fêter avec les amis de l’Île Maurice les 10 ans de la Stèle en l’honneur des victimes de la misère. A Madagascar, le Mouvement ATD Quart Monde célébrait ses 25 ans de présence sur la grande île et ouvrait une année jubilaire avec le rêve qu’une stèle soit posée à la capitale d’ici un an.
Et quelques jours plus tard, le 28 octobre, à l’Île de La Réunion, les personnes vivant dans la pauvreté et tous ceux qui s’engagent avec elles, rejointes par des délégations de l’Île Maurice et de Madagascar, fêtaient les 25 ans de la pose de leur Dalle commémorative à l’honneur des victimes de la misère.
» Ces temps forts dans la région Océan Indien renforcent nos liens, soulignait Nathalie Gendre, déléguée régionale. Ces stèle ou dalle nous redisent que personne ne peut rester seul, qu’on a besoin de l’intelligence de chacun. Elles nous redisent cette nécessité de nous unir. »
A Maurice : « ensemble, nous sommes capables »
« Il y a 10 ans, à Maurice, les familles très pauvres et tous ceux qui s’engagent avec elles, ont voulu inscrire dans la pierre ce message du refus de la misère sur une stèle, rappelait encore Nathalie Gendre. Une maman de Maurice avait dit alors : « Le pain rassis, l’eau sucrée, je connais. Attendre dans la cour de l’école parce que vos parents n’ont pas pu donner les sous de l’écolage, je connais aussi. Aller à la maternité en autobus pour accoucher, je connais. Voir un papa rentrer le soir les mains vides parce qu’il n’a rien trouvé, sentir dans son regard comment il est blessé, je connais aussi. Cette stèle, c’est une partie de moi, c’est une partie de nous. Cette stèle avant qu’elle ne soit là, on l’avait dans notre tête, dans nos rêves. Maintenant qu’elle est là, elle est peut-être dans la mémoire de tous, pour que personne n’oublie. »
En présence de divers représentants d’ONGs, de citoyens, des 3 délégués de l’île de la Réunion à Maurice : Nathalie Grondin, Roseline Samaria et Jean-Louis Véry, de Jacqueline Plaisir, Déléguée générale adjointe du Mouvement International, des personnes ayant connu la pauvreté ont pris la parole au pied de la Stèle. Chacune des interventions a souligné l’importance d’être pris en considération et de réfléchir les projets en concertation avec les personnes qui ont l’expérience de la pauvreté. D’une île à l’autre, Maurice, Madagascar, La Réunion, les témoignages ont mis l’accent sur l’existence de relogements sans possibilité d’insertion économique, ou dans des conditions d’insalubrité, ont évoqué les questions d’éducation ou de travail, appelant à un changement de regard sur les personnes ayant la vie difficile et une autre manière de concevoir les politiques.
« L’école est gratuite à l’Île Maurice, mais pour les parents qui font face à la pauvreté elle ne l’est pas. C’est le manque de moyens, c’est le rejet de l’enfant qui n’a pas d’uniforme, c’est d’être relégué au fond de la classe parce qu’on vous considère ‘une bourrique’. Nous aurions encore beaucoup à dire. Nous voulons avoir le droit à l’éducation, nous voulons que les jeunes sachent lire et écrire. Ainsi ils n’auront pas à aller dans un bureau pour mettre leur pouce sur un papier qu’ils n’auront pas compris. Une autre personne nous a dit : « Le rêve que je veux pour mes petits, si je vis toujours, c’est de les voir réussir, qu’ils ne restent pas toujours en arrière, qu’ils aient une place dans la société ». Autour de moi, des parents ne savent ni lire ni écrire. C’est une forme de violence dans leur vie quotidienne. »
Des parents d’un quartier de Maurice ont raconté leur expérience d’un projet de formation où ils n’ont pas été consultés. Ils n’ont pas pu y participer à cause d’inondations dans leur quartier, et de leur crainte de laisser leurs enfants seuls. On leur a reproché de n’y avoir pas assisté et même menacés de suspendre le projet, si tous ne venaient pas, ce qui a généré des tensions dans la communauté. « Passez un peu de temps avec nous, apprenez à connaître notre réalité » ont-ils voulu signifier à la société et aux autorités.
« A la Réunion, des personnes croient qu’il n’y a pas de pauvres. Si une personne est en difficulté, elle ne va pas se dévoiler. Quand elle sort de chez elle, elle est bien habillée, propre. Même si elle n’a pas mangé, souvent, elle ne le dira pas. Quand on a des soucis, on sait qu’on ne peut pas en parler avec n’importe qui. On a honte d’en parler, on a peur que les gens aillent raconter ailleurs des choses fausses. Alors on garde nos problèmes, on s’enferme. » (…) On connaît des personnes qui n’ont pas l’eau et l’électricité, ou qui n’ont pas la couverture santé à laquelle elles auraient droit. Elles n’osent pas faire les démarches, elles ont peur de ne pas arriver à s’exprimer correctement et sont découragées. Elles ont peur de ne pas pouvoir rassembler les papiers nécessaires et elles n’accèdent pas à leurs droits. Dans différents quartiers, des habitants se sont mis ensemble pour réfléchir et se soutenir dans les démarches. Ils veulent que personne ne reste seul face aux problèmes de tuyaux crevés, de loyer, ou de démarches administratives. Ils savent ce que c’est d’être renfermés, à l’écart, avec la honte et la culpabilité et ils ne veulent pas que d’autres vivent ce qu’ils ont vécu. Quand on est ensemble, quand on peut parler, réfléchir avec des personnes avec qui on a confiance, on retrouve de la force. Ceux qui ont été accompagnés hier dans les démarches, accompagnent d’autres aujourd’hui. »
Tout au long de la journée, les passants pouvaient découvrir l’histoire de cette journée à travers une exposition photos, des enfants et adultes étaient invités à écrire des messages sur une feuille déposée sur un arbre. Les enfants Tapori ont réalisé des sketchs et des danses. Puis les strophes à la Gloire du Quart Monde ont été magnifiquement lues, en musique, et un chant final a réuni tous les participants.
A Madagascar : « Réfléchissons, décidons, agissons avec ceux qui connaissent la misère. »
Le 17 octobre était commémoré cette année en partenariat avec l’hôtel de ville de Tananarive et le PNUD, le programme de développement des Nations Unies. Le Président de la délégation spéciale de la communauté urbaine de Tananarive, un responsable du PNUD et la ministre de la population étaient présents à la conférence donnée par des membres du Mouvement autour du thème du 17 octobre de cette année.
Monsieur Jean-Pierre a témoigné : « Vivre dans la misère c’est comme des crevasses aux pieds : ça fait mal et ça fait honte. Surtout le manque de considération par des personnes qui sont nos égaux. Nos droits sont violés, nous vivons dans la violence de la misère. (…) Le fait de ne pas réfléchir, ni de décider, ni d’agir ensemble est une grande maladie mortelle et nous avons la responsabilité de la déraciner. Si nous arrivons à nous unir, nous arriverons à éliminer ce fléau. »
Il a aussi exprimé son rêve d’une stèle comme à Maurice pour rendre honneur à tous ceux qui luttent au quotidien contre la misère et en paient parfois le prix de leur vie, et pour faire grandir ce courant du refus de la misère.
Mme Justine a parlé de la solidarité qu’elle met en œuvre avec d’autres personnes de son quartier, après des années de solitude. « Je suis membre d’ATD Quart Monde depuis plusieurs années et je suis habituée à m’ouvrir à d’autres. J’aime aider les autres pour, ensemble, éliminer l’extrême pauvreté et l’exclusion de la société. Avant je luttais seule car je n’avais pas d’amis avec lesquels je pouvais partager mes malheurs. On se sent soulagé lorsque l’on s’ouvre aux autres et lorsque l’on peut aider d’autres personnes, même si on vit soi-même dans la difficulté. »
Des enfants Tapori ont également témoigné avec force de ce qu’ils vivent avec d’autres enfants, à travers l’amitié et des projets menés ensemble. Emilien : « Au sein du groupe TAPORI, j’ai la liberté de m’exprimer et ainsi j’ai partagé avec mes amis les formes d’exclusion que je vivais. Entre amis, nous nous sommes rapprochés et nous avons réfléchi ensemble comment éliminer cette discrimination pour que tous les enfants aient les mêmes droits. Pour éviter qu’une personne ne soit isolée, il faut favoriser les rencontres ; il faut faire l’effort de se rapprocher d’elle car pour elle, le fait de savoir qu’il y a quelqu’un avec laquelle elle peut échanger constitue une force inouïe. »
A travers les prises de parole de personnes qui travaillent dans le projet de coopérative artisanale MMM ( Miasa Mianatra Miaraka : Travailler et apprendre ensemble) et qui ont participé à l’évaluation des Objectifs du Millénaire pour le Développement en bâtissant avec d’autres des propositions pour l’ONU, c’est la fierté d’être entendu et de participer avec d’autres à des projets qui changent la vie pour les très pauvres qui émergeait : « J’invite aussi les dirigeants à bien regarder les gens qui sont en grandes difficultés, ceux qui n’ont pas assez de connaissances académiques, les enfants qui errent dans la rue, ceux qui dorment au bord de la rue, ceux qui vivent dans les campagnes et qui n’ont pas d’accès à l’école, les personnes qui enseignent dans les régions difficiles. J’invite tous les dirigeants à donner la même égalité de chance à tout le monde” concluait Safidy, un participant et militant.
A la Réunion : les 25 ans de la Dalle en l’honneur des victimes de la misère
Le 28 octobre, des délégations de Madagascar et de Maurice se retrouvaient avec les amis de l’Ile de la Réunion autour de la Dalle à Port-Louis, inaugurée il y a 25 ans. Le matin, une université populaire rassemblait des citoyens de tous milieux.
Comme le rappelait Nathalie Gendre : « Nos amis réunionnais disent combien cette Dalle aujourd’hui appartient à tout le monde, que c’est une fierté collective et une référence dans toute l’île. Au cours de l’année, diverses rencontres ou manifestations de citoyens, d’ ONGs, d’administrations publiques se déroulent autour de cette Dalle. Cette Dalle est un espace de rencontre et de dialogue entre tous. »
Les délégués de Madagascar, Sœur Henriette Bana et M. Jules Rakotondravao, ont témoigné de leur engagement dans leur quartier auprès des familles dont les enfants n’ont pas d’acte de naissance. « La première chose que nous avons faite dans le groupe de Majunga est de réfléchir sur comment faire pour que ces personnes qui ne sont pas déclarées à la naissance puissent avoir leur copie d’acte de naissance. En effet, beaucoup d’accouchements sont faits à la maison à l’aide des matrones et la plupart d’entre elles ne peuvent pas déclarer les naissances auprès des mairies. Nous travaillons en lien avec les quartiers et nous allons aux réunions de quartiers pour connaître des personnes. C’est ainsi que nous arrivons à connaître ceux qui n’ont pas de copies d’acte de naissance. Il y a aussi des enfants et des parents que nous connaissons à travers les bibliothèques de rue. Quand nous avons appris que plusieurs enfants n’avaient pas de copie d’acte de naissance, nous avons vite compris qu’ils perdaient leurs droits et en premier lieu le droit à l’éducation. Si ce problème n’est pas résolu, leur vie d’adulte sera affectée par ce problème, surtout au moment où ils devront faire leur carte d’identité nationale. Les personnes qui n’ont pas de carte d’identité nationale ne peuvent pas avoir un travail décent ; ils courent par ci par là mais ils ne trouveront pas de travail. Naturellement, les personnes qui n’ont pas de carte d’identité sont exclues dans la société ; elles sont mises de côté car elles ne peuvent pas participer à la vie de leur quartier, leur pays… Nous avons donc décidé de nous mettre ensemble avec les personnes très pauvres des quartiers d’Ambalavola et Ambondrona et de les accompagner dans les démarches administratives à effectuer. »
Ces alliés ont aussi expliqué comment ils ne font pas à la place des personnes mais les accompagnent sur un chemin qui respecte leur dignité : « Nous soutenons entre 15 et 20 personnes à chaque fois et la durée d’attente est longue. Ce sont seulement les parents et les témoins qui répondent aux questions. Nous autres, nous sommes seulement là, debout à leur côté. »
Ils ont également voulu rendre hommage à Joël, un jeune qui vit dans la grande pauvreté et qui s’engage dans son quartier : « Une personne est décédée dans le quartier où habite Joël. Cette personne et sa famille sont parmi les très pauvres qui n’avaient pas pu payer leur cotisation. Les membres du bureau du quartier n’ont même pas regardé le corps et ne sont pas venus auprès de la famille. Joël en a parlé avec ses amis et ensemble, ils ont décidé d’aider la famille en deuil. Ils ont fait du porte à porte pour parler du décès et demander de l’aide, en disant que cette personne n’a pas pu honorer ses devoirs de cotisation parce qu’elle était au fond de la misère. Les gens ont beaucoup aidé : certains ont donné de l’argent, d’autres du riz. Avec l’argent réuni, ils ont pu acheter des planches pour faire un cercueil. Joël et ses amis sont restés à veiller tout la nuit et quand les habitants du quartier ont vu les efforts entretenus par les jeunes, ils sont venus naturellement s’asseoir avec eux et ils ont accompli leurs responsabilités d’adultes. Tôt le matin, Joël et ses amis sont allés creuser la tombe et finalement, le défunt a pu être enterré comme tout le monde. A la suite de cet événement, les jeunes ont créé une association informelle qui existe jusqu’à maintenant pour continuer à se mettre ensemble face à l’intolérable de la misère. »
Comme dans les autres commémorations, chants et danses ont ponctué la journée, avec des animations par les jeunes et les enfants. Un arbre à souhaits a recueilli les messages et témoignages des personnes présentes. Le président d’ATD Quart Monde Réunion, Dominique Versini, a lancé un appel vibrant à la rencontre, dans son allocution : « Homme, Femme, qui que tu sois, j‘en appelle à ton honneur, à ta dignité. Allons debout ! Regarde ton voisin, ton ami, ton frère. N’a‐t‐il pas du prix à tes yeux ? Celui que tu croises tous les jours, celui que tu vois mais ne regardes pas, Celui que tu entends mais n’écoutes pas. (…) Debout tous, allons à la rencontre de chacun. Prenons le même chemin, chemin de croissance. Retrouvons notre honneur, notre dignité d’homme. »
Nul doute que ces moments forts partagés entre amis et membres d’une même région, auront donné des forces et ouvert un horizon commun pour continuer à se soutenir dans la construction d’une société où personne n’est exclu, à condition que chacun puisse contribuer à la réflexion, aux prises de décision pour les actions et les projets qui les concernent, eux et leur communauté.
Documents associés