La réhabilitation de soi
Photo : Amanda Button, Moreane Roberts et Thomas Mayes
L’an dernier, lors du choix de la nouvelle équipe nationale au Royaume-Uni, trois des personnes qui ont aidé à porter ce processus ont dit combien leur expérience de la grande pauvreté a forgé leur rôle de militants Quart Monde. Ils ont expliqué en quoi ils se reconnaissent dans l’approche du Mouvement ATD Quart Monde et les étapes clés qu’ils considèrent comme franchies. Voici des extraits de leurs commentaires.
Amanda Button : « En tant que militants, nous sommes fiers de l’éthique d’ATD Quart Monde. « The Roles We Play » a été un projet solide parce qu’il a donné à chacun un sentiment de fierté. Ça nous a rendu la maîtrise et le contrôle de notre propre image. Ça a également été un outil pour ouvrir des portes dans les universités et d’autres organisations où nous pouvons rencontrer des gens qui ont des objectifs en commun avec les nôtres. Pendant les week-ends de partage de compétences, des personnes de différents niveaux de force peuvent s’entraider. Nous sommes complémentaires.
Notre parole est renforcée lorsque nous sommes avec d’autres. Tu te sens honoré dans ton âme. Les gens peuvent voir leur vie intérieure saccagée. ATD Quart Monde les aide à la reconstruire. (…)
La misère, c’est ce que la vie nous impose. Tu touches le fond quand tu sens qu’il n’y a aucune raison de se lever le matin. Tu pourrais aussi bien être six pieds sous terre.
Ici, j’ai rencontré des gens qui pouvaient m’aider. Sans ça, nous aurions coulé. Un mois ou deux après ma rencontre avec ATD Quart Monde, j’ai su que je pouvais m’impliquer à long terme. Je savais que si je merdais en cours de route, je pourrais revenir et recommencer. Le centre ATD Quart Monde de Londres est plus qu’un bâtiment, c’est un lieu où on nourrie son âme.
Il y a tellement d’autres endroits où on va demander de l’aide en se sentant honteux. Tu sais que les gens te jugent. En tant que jeune mère, j’étais convaincue qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas chez moi. Je suis normale, mais les autres organismes auxquels j’ai demandé de l’aide m’ont fait croire que je ne l’étais pas.
- Ici, j’ai rencontré d’autres personnes qui se trouvaient dans la même situation que moi. Et je n’ai pas l’impression que les gens me parlent uniquement parce qu’ils seraient payés pour ça. Cela m’a fait réaliser que nous sommes des êtres humains parfaitement normaux. C’est la situation dans laquelle nous étions qui était si anormale qu’elle nous dépouillait de notre humanité.
Les membres d’ATD Quart Monde croient que nous faisons de notre mieux. Ici, on m’a demandé d’aider pour les envois postaux. Ça m’a donné le sentiment d’être utile. Je rencontre ici des gens de tant de cultures et de niveaux d’éducation différents – ça ouvre des portes de rencontrer des gens si différents. »
Moraene Roberts : « Quand on a été congédié et mis à l’écart pendant des années, c’est vraiment quelque chose quand vous osez dire un truc et que l’un des responsables, ici, vous dit : « Attendez, laissez-moi prendre de quoi noter ; vous pouvez répétez, parce que c’est vraiment important ce que vous dites. » Qui d’autre nous dit ça ?
Ici, tu ne deviens pas dépendant en demandant de l’aide. ATD Quart Monde est prêt à écouter et à apprendre des gens qui ont été tenus à l’écart des mouvements sociaux, et il met cette connaissance au service de tous. Je ne reçois pas seulement. Je rends quelque chose de valeur.
La première étape, avant de devenir militant Quart Monde, est de se reconnaître dans celles et ceux qui vivent la misère, faisant partie ensemble du Quart Monde. La première fois que je suis venue ici, je ne me considérais pas comme étant « en situation de pauvreté ». J’ai rencontré là beaucoup d’autres personnes qui traversaient les mêmes situations que moi. Nous avions des choses en commun.
Ça m’a fait penser que certains aspects de ma situation étaient de ma propre responsabilité, à cause des choix que j’avais faits, alors que d’autres aspects provenaient de ce qui m’avait été imposé. J’ai commencé à reconnaître le fait que la misère est créée. Avant, je pensais qu’elle était naturelle puisque tant de choses échappaient complètement à mon contrôle.
- Ces prises de conscience m’ont fait sentir que nous devons vraiment nous battre et décider de ce que nous voulons construire à la place de la misère. Vis à vis de soi-même, on est souvent tellement accablé par la situation qu’on s’y résout. Mais quand tu vois les autres souffrir, tu es tellement indigné par tout ce qu’on leur fait subir. Alors tu commences à chercher des soutiens pour ces personnes.
C’est vraiment un combat, une lutte pendant des années et des années. Plus qu’un combat, c’est une rage : comment ose-t-on nous imposer tout ça, puis nous en blâmer ? Éventuellement, on peut surmonter la rage – mais on ne peut pas le faire seul. Réaliser qu’on est avec les autres donne du courage.
La force d’ATD Quart Monde réside dans la solidarité entre nous tous et dans ce dont nous avons hérité. Il est de notre devoir de poursuivre et de développer cet héritage, mais aussi de développer notre confiance et notre autonomie personnelles. Nous voyons également des opportunités dans le réseau plus large avec d’autres organisations où les militants sont maintenant impliqués en dehors d’ATD Quart Monde.
Nous sommes une « famille de choix » parce que nous travaillons et pensons ensemble. Ce n’est pas du haut vers le bas. »
Thomas Mayes : « Une valeur importante à ATD Quart Monde, c’est que nous sommes ouverts à tous. Nous écoutons toutes les voix et nous donnons aux militants Quart Monde l’occasion d’utiliser leur voix. Ce n’est pas comme les organismes de bienfaisance où seuls les responsables prennent la parole en public. Nous apprécions également le niveau de confiance qui règne. On peut se parler vrai.
On se donne des petits coups de pouce ici et là. Et ça se transforme en entraînement. Ça peut aider à apprendre à parler devant une personne hostile qui n’est pas d’accord avec vous.
Cette formation est un aspect crucial pour libérer les gens de la misère.
Que nous ayons ou non une expérience personnelle de la pauvreté, tous les membres d’ATD Quart Monde ont des choses à apprendre. La formation coopérative et le partage des compétences doivent donc occuper une grande place dans notre travail. »
Moraene Roberts : « Un autre aspect très important d’ATD Quart Monde, c’est que nous apprenons à connaître des gens d’horizons et de niveaux d’éducation différents. J’ai grandi en croyant que les riches s’en fichent, mais ici, j’ai rencontré des gens très riches qui se soucient vraiment d’éradiquer la misère.
- Notre lutte n’est pas une lutte de classe, c’est une lutte pour les Droits de l’Homme. En tant que militantes et militants Quart Monde, nous ne voulons pas seulement parler de ce que c’est que de vivre dans la misère, mais de ce qui la cause, des solutions possibles et des avantages pour tous de créer une société libérée de la misère. »