Notre radicalité est dans nos liens
Photo : Délégation générale du Mouvement international ATD Quart Monde
Lettre de la Délégation générale aux membres du Mouvement international ATD Quart Monde
Nous avons fait face
Ces derniers mois, les familles que nous connaissons n’ont pas été épargnées. À travers le monde, la pandémie continue à sévir, le virus se répand toujours et avec lui les restrictions : impossibilité d’aller à l’école pour de nombreux enfants, interdictions de travailler, de circuler, de se réunir. Au centre international du Mouvement, nous avions envisagé plusieurs rencontres internationales de membres d’ATD Quart Monde qu’il a fallu transformer en dialogue à distance. L’obligation de vivre ces restrictions a créé chez nous tous un besoin encore plus grand de sortir de l’isolement, de nous sentir liés et de nous ouvrir sur le monde. Nous nous sommes approprié des outils que nous ne maîtrisions pas permettant le dialogue à distance. Nous avons cherché à continuer à avancer ensemble, à rester liés. Dans cette période, alors que tout nous poussait au repli sur soi, nous avons fait face.
Compter les uns pour les autres
En équipe, nous mesurons la qualité des liens et des amitiés créées entre membres du Mouvement, quand de l’Ile Maurice ou du Canada, nous recevons un appel téléphonique nous demandant des nouvelles des familles de Verviers, touchées par les inondations qui ont ravagé toute une région de la Belgique et plusieurs autres pays d’Europe en juillet dernier. Nous le voyons aussi quand, très nombreux, vous nous demandez comment vont nos amis en Haïti, eux qui affrontent quotidiennement la violence des gangs et qu’un séisme est venu frapper à nouveau en ce mois d’août. Et que devient ce jeune couple de France à qui on a enlevé les enfants et qui se retrouve à la rue, nous demande Donald des USA.
Et les familles chassées par les inondations à Bangui1, vont-elles retrouver enfin un terrain où elles pourront reconstruire leurs logements, cultiver et envoyer les enfants à l’école ? Et que deviennent les amis de Goma2, ont-ils tous retrouvé leur maison après l’éruption du volcan ? Et les amis de Beitouna au Liban, et ceux des États-Unis, comment vont-ils ?
Nous avons senti très fortement l’intérêt que vous portez pour ceux qui sont en première ligne face à toutes ces crises qui secouent le monde. Vous ne vouliez pas qu’ils soient seuls et c’est là la force de notre Mouvement car compter les uns pour les autres renforce notre résistance et nourrit notre combat. Le devenir des autres nous importe, chaque vie compte, toute personne a une valeur, c’est ce que nous voulons cultiver.
Notre radicalité est dans nos liens
Vous ne vouliez pas qu’ils soient seuls, car vous savez bien que si certaines catastrophes ont un écho et soulèvent un intérêt et une solidarité générale, d’autres se produisent dans le silence et ne sont assumées que par ceux qui les vivent. Il en va ainsi des familles de Montpellier, dans le Sud de la France, dont le campement a été rasé quelques jours après la rentrée des classes et qui se retrouvent dispersées, sans solution durable de relogement. La nature n’est pour rien dans cette catastrophe, elle est la conséquence de l’ignorance et du mépris dans lesquels est tenue toute une population en raison de sa pauvreté.
« La misère est l’œuvre des hommes, seuls les hommes peuvent la détruire » nous disait le Père Joseph. Notre radicalité est dans nos liens, nous refusons que des personnes soient considérées sans valeur et chaque jour, là où nous sommes, nous cherchons à construire des relations de coopération, de soutien mutuel et de solidarité. C’est là le cœur de notre engagement.
Ainsi, Marie-Ghislaine de Port-au-Prince3 est sortie de son quartier, en bravant la violence et les tirs, pour se rendre à la maison Quart Monde, où l’équipe est restée présente, afin d’y chercher le complément alimentaire donné par le programme nutritionnel pour ses enfants et ceux de ses voisines empêchées de sortir. Ailleurs aussi, des membres du Mouvement engagés au quotidien, n’ont lâché personne. Ils se sont battus jour après jour aux côtés de ces jeunes parents pour que le droit de visite à leur enfant placé soit respecté. Ils sont restés aux côtés de cette jeune maman, dont les droits avaient été bafoués, pour obtenir un logement digne de ce nom. Ils ont organisé des espaces pour que des familles puissent souffler, respirer, se reposer d’une vie difficile. Ils se sont mobilisés pour que des enfants ne décrochent pas de l’école.
À Bangui, des familles chassées de leur île par les inondations et réfugiées au bord du fleuve, se sont unies. Béatrice, une amie, députée, invite dans son salon des délégués de ces familles qui vivent sous des bâches et des représentants des propriétaires des terrains où celles-ci se sont installées. Eux qui ne se connaissaient pas, se retrouvent autour d’une même table et réussissent à entamer un dialogue. Sans ces liens qui s’instaurent et se nouent, sans ces intelligences qui se rencontrent, comment espérer bâtir un chemin de paix et dénouer une situation impossible ?
En marche vers le 17 octobre
Habités par toutes ces histoires de résistance, et celles que vous vivez vous aussi là où vous êtes, nous sommes en marche vers le 17 octobre. Cette année, l’ONU nous invite à marquer la journée mondiale du refus de la misère autour de ce thème :
« Construire l’avenir ensemble : mettons fin à la pauvreté persistante en respectant toutes les personnes et notre planète ».
Les personnes en situation de pauvreté sont exploitées, dominées, oubliées depuis des générations. De la même manière, les ressources naturelles sont pillées et polluées sans prendre responsabilité de les faire durer. Mais personne ne blâme la Nature pour sa dégradation alors que trop souvent les personnes en situation de pauvreté sont accusées “de ne pas vouloir s’en sortir”. C’est d’une extrême violence, c’est la violence de la misère.
Dans une société qui accepte l’exclusion, il est considéré normal d’expulser des personnes pour un risque sanitaire ou environnemental et de laisser ces personnes sans perspective d’accès à un logement décent et durable. Il est considéré normal que les acteurs de la protection de l’enfance séparent des enfants et des parents parce qu’ils affirment qu’il y a des carences éducatives sans chercher à créer les conditions permettant de maintenir les liens entre parents et enfants. Il est considéré normal que des autorités publiques locales, nationales ou internationales répondent à l’urgence par des secours aux victimes de catastrophes puis les abandonnent et parfois les stigmatisent quand leur situation d’extrême précarité dure trop longtemps.
Tout cela n’est possible que parce que l’on continue à agir comme si des personnes avaient moins de valeur que d’autres, et parfois pas de valeur du tout. Tout cela n’est possible que parce que l’on continue à agir en ignorant la résistance et le refus des personnes et des familles les plus pauvres à leurs conditions de vie impossibles.
Prendre responsabilité pour tous
Face à cette culture d’ignorance, de domination et d’abandon, les personnes et les familles en situation de grande pauvreté nous invitent à prendre responsabilité ensemble pour tous et pour le monde. En prenant appui sur leur expérience et leur connaissance, nous pouvons construire un monde juste, respectueux de la dignité de toute personne et en harmonie avec la nature.
Elles nous invitent à ne pas opposer ou dissocier les combats à mener, mais à les mener jusqu’au bout avec et à partir de celles et ceux qui vivent les situations les plus extrêmes.
Notre équipe de délégation générale a été heureuse et honorée de faire route avec vous toutes ces années. Après le 17 octobre, l’équipe composée de Bruno Dabout, Chantal Consolini Thiébaud et Martin Kalisa poursuivra avec vous.
Merci à chacune, chacun de vous, et comme cela se dit dans des lieux chers à nos cœurs : nous restons ensemble !
Bon 17 octobre.