L’histoire de Mary Rabagliati et des oubliés de ce monde
Qui est Mary Rabagliati ? Diana Skelton, volontaire d’ATD Quart Monde a bien connu cette femme singulière et la raconte dans un livre qui sera publié en 2018, intitulé « La Révolution tranquille : Histoire de Mary Rabagliati et des oubliés de ce monde ».
L’histoire de Mary Rabagliati est également racontée dans une série de vidéos tournées à la manière d’un « draw my life », qui permet de raconter en dessins la vie d’une personne.
Découvrez ici la première vidéo en « Draw my life » sur l’histoire de Mary Rabagliati, l’une des premières volontaires à rejoindre Joseph Wresinski aux débuts du Mouvement ATD Quart Monde à Noisy-le-Grand.
Extrait du livre « La Révolution tranquille : Histoire de Mary Rabagliati et des oubliés de ce monde »
« Alors que nous célébrons le soixantième anniversaire d’ATD Quart Monde, je repense à l’année 1986, celle où j’ai rejoint le volontariat d’ATD Quart Monde. On préparait à l’époque le trentième anniversaire du Mouvement. J’avais alors vingt ans et je ne comprenais pas très bien ce qu’il y avait à célébrer, puisque malgré beaucoup d’années d’efforts, l’extrême pauvreté demeurait une cruelle réalité de la vie. Ma colocataire, Mary Rabagliati, elle aussi volontaire, fut exaspérée par ma question et me dit :
- « Quand on est coincé dans la misère, la joie, ça compte encore plus ! On devrait toujours trouver des raisons de faire la fête, de sortir ensemble, de faire des projets de voyage ou tout simplement d’aller danser. On ne le fait pas « malgré la pauvreté », on le fait pour que ceux qui sont exclus de la société puissent enfin prendre part à tout ce qui fait que le monde est extraordinaire ! »
Comme moi, Mary a rejoint ATD Quart Monde quand elle avait vingt ans. C’était, en 1962, quelques années après que Joseph Wresinski eut commencé à recruter des volontaires pour venir vivre comme lui dans le camp d’urgence à Noisy-le-Grand, en France. Mary a fait partie de la petite poignée de co-fondateurs qui ont étroitement collaboré avec lui pendant des années, et qui, avec lui ont finalement créé un mouvement international. Par sa personnalité énergique et brutalement honnête, elle a inspiré des gens de tous milieux à s’engager. Elle a vécu aux côtés de familles en grande pauvreté en France, aux États-Unis et dans son pays natal, la Grande Bretagne. Elle est à l’origine de beaucoup des relations d’ATD aux Nations Unies et en Afrique.
Tragiquement, elle est morte à l’âge de cinquante-et-un ans, en 1992. L’une de ses responsabilités au sein d’ATD Quart Monde avait été la publication de livres et de lettres d’information pour permettre au grand public de se former aux enjeux de l’extrême pauvreté. Cependant la majorité de ce qu’elle a publié était soit anonyme, soit traduit de ce que Wresinski ou d’autres avaient écrit en français. À l’occasion du soixantième anniversaire d’ATD Quart Monde, j’ai voulu retrouver la voix si particulière de Mary. Dans les années soixante, Mary a été l’une des premières à mettre en place des archives pour ATD et ce fut donc grâce à son travail que j’ai été en mesure de retrouver ses écrits dans nos archives, désormais rassemblées au Centre Joseph Wresinski à Baillet-en-France.
Ses lettres, ses rapports et ses interviews m’ont fascinée. En lisant ce qu’elle a écrit sur l’année passée aux États-Unis à l’époque de la Guerre Contre la Pauvreté et du mouvement pour les droits civiques, j’ai mieux compris pourquoi Wresinski et elle-même ont décidé de s’en inspirer dans la création d’ATD Quart Monde. L’engagement passionné de personnes et de groupes si divers les a inspirés ; par contre ils étaient résolus d’éviter l’écueil que représente l’absence de stratégie cohérente.
Mary a aussi participé aux trois conférences des Nations Unies sur le statut des femmes, à Mexico en 1975, à Copenhague en 1980 et à Nairobi en 1985. J’ai moi-même représenté ATD Quart Monde à plusieurs conférences des Nations Unies et j’ai été impressionnée par son sens tactique. À la première de ces conférences, il n’était pas possible à ATD Quart Monde de s’adresser officiellement aux diplomates. Mary et une autre volontaire ont donc commencé à démarcher les hôtels cinq étoiles où les diplomates étaient hébergés, (elles-mêmes, ne pouvant se payer l’hôtel, dormaient sur le canapé d’une amie). Elles ont convaincu des dizaines de serveurs et de femmes de chambre de les aider à distribuer le manifeste d’ATD Quart Monde sur les tables de réception et dans les chambres. Mary a rencontré des centaines de femmes du monde entier et a correspondu avec elles les années suivantes.
Au sommet de Copenhague, on l’a invitée à prononcer un discours officiel. Elle s’est exprimé sur les trois sortes d’exclusion dont sont victimes les femmes qui vivent dans l’extrême pauvreté :
« Elles sont exclues, en premier lieu, des idées qui circulent entre nous qui nous donnent identité et force, et la conviction que nous avons une place dans le monde et une contribution à faire pour l’égalité, le développement et la paix. En outre, ces femmes sont exclues des modes de vie nouveaux. Le développement permet des niveaux de vie meilleurs, mais il exige en contrepartie d’être à la hauteur de ces nouveaux standards. C’est tout à fait possible et légal aujourd’hui, en Allemagne de l’Ouest, d’enlever ses enfants à une mère sous prétexte qu’elle est illettrée et ne pourrait pas bien s’en occuper. Ces femmes subissent une troisième exclusion à cause des droits de l’Homme. […] Nous devons prendre garde de ne pas créer de nouvelles normes sur lesquelles les femmes seront jugées. Une femme qui n’a pas reçu d’éducation, qui n’a pas une bonne santé, qui n’arrive pas à contribuer au monde comme elle le voudrait, et qui pourtant se bat contre vents et marées pour élever ses enfants ne doit pas être jugée comme quelqu’un d’inutile et d’indigne ».
- « La solidarité, c’est de nous mettre ensemble et de nous battre pour la dignité des femmes les plus pauvres, pour leurs espoirs, pour leur libération. C’est en réalisant leurs buts que nous réaliserons le nôtre ».
Le discours de Mary a convaincu les membres du sommet d’adopter une résolution proposée par ATD Quart Monde pour s’assurer que tous les projets de développement prennent en considération les besoins des femmes les plus pauvres ; que les rapports gouvernementaux aux Nations Unies sur le statut des femmes mettent l’accent sur les progrès de la situation des femmes vivant dans l’extrême pauvreté.
La grande majorité des écrits de Mary est adressée à Wresinski ou à différents volontaires d’ATD Quart Monde. Certains de ses mots les plus forts cependant viennent d’une interview réalisée par Titinga Frédéric Pacéré, poète-lauréat du Burkina Faso. Après la mort de Wresinski en 1988, M. Pacéré a jugé important d’apprendre de ces personnes extraordinaires que furent les plus proches collaborateurs du fondateur. Lors de son entretien avec Mary en 1991, elle lui dit :
- « Nous, les volontaires, nous ne pouvions espérer être d’une aide quelconque si on stagnait intellectuellement. Si on en restait à s’apitoyer sur ce que la pauvreté a de terrible alors on ne pourrait que stagner, se dessécher sans avoir rien à offrir à qui que ce soit. Pour pouvoir apporter quelque chose aux familles dans la pauvreté, nous devions les convaincre qu’elles méritaient de participer au monde. Qu’elles méritaient d’avoir accès à la peinture et à la musique. Qu’elles méritaient les étoiles et tout ce qu’il y a sur la terre. […] Nous les invitions à s’appuyer sur les volontaires pour réaliser leurs rêves. Ces familles avaient en elle la capacité d’inventer leurs propres projets et de changer leur destinée ».
Pour faire connaître les trente ans d’engagement de Mary aux côtés des plus pauvres, j’écris un livre intitulé « La Révolution tranquille : l’histoire de Mary Rabagliati et des oubliés du monde ». Paul Maréchal, un autre volontaire d’ATD Quart Monde, s’est aussi engagé à faire connaître l’histoire de Mary. Grâce à son talent artistique, nous avons commencé à sélectionner certains chapitres pour leur donner une représentation visuelle.