Lutter contre le réchauffement climatique : pas sans les pauvres
À l’approche de la grande conférence sur le climat de décembre à Paris, Xavier Godinot, délégué aux Relations internationales d’ATD Quart Monde, plaide pour que les politiques de lutte contre le réchauffement soient mises au point avec les populations en situation de pauvreté. Au risque, sinon, de se retourner contre elles.
Quel est l’enjeu de cette grande conférence ?
L’objectif est d’obtenir un accord entre les 196 parties prenantes (195 Etats plus l’Union Européenne) pour limiter la hausse de la température sur notre planète à deux degrés maximum d’ici la fin du siècle. Si les tendances actuelles se poursuivent, elle montera d’environ 6 degrés. Cela produira des dérèglements climatiques aux conséquences gravissimes, en premier lieu pour les populations les plus pauvres.
Quels sont ces dérèglements ?
Les sécheresses vont s’aggraver autour du Sahara et ailleurs. Les cyclones vont devenir plus violents, comme aux Philippines en novembre 2013. L’eau va se raréfier, avec la multiplication de tensions, voire des conflits. Le niveau de la mer va monter, menaçant des centaines de millions de personnes vivant sur les îles ou sur les côtes. L’agriculture sera mise à mal et le nombre de personnes souffrant de la faim augmentera. La biodiversité est menacée.
« Accompagner les plus menacés »
Les populations les plus pauvres sont donc en première ligne ?
C’est une grande injustice : elles sont les plus impactées par le changement climatique lié à notre mode de développement alors même qu’elles n’en ont pas profité. Le Bangladesh et Madagascar sont parmi les plus menacés par la montée des eaux. Et dans les pays riches, les plus démunis sont encore les premières victimes. On l’a vu avec l’ouragan Katrina qui a dévasté La Nouvelle-Orléans en août 2005. Tous les habitants ont été touchés. Mais dans la reconstruction de la ville, les autorités ont fait en sorte que les plus pauvres ne reviennent pas. Ils ont été dispersés dans 7 Etats autour, et on n’a pas reconstruit de logements sociaux. Ces familles qui témoignent dans notre livre « Not meant to live like this »1, le disent : on ne veut plus de nous à La Nouvelle-Orléans.
Que fait ATD Quart Monde sur le terrain ?
Notre rôle est d’être avec les populations menacées ou touchées par le changement climatique, et de chercher des solutions avec elles. Par exemple à Madagascar, l’un des pays les plus pauvres de la planète, les bas quartiers de Tananarive (ou Antananarivo) ont subi de graves inondations début 2015. Les populations ont pataugé dans l’eau pendant près de deux mois. Nous avons attiré l’attention des autorités sur elles. Avec les jeunes volontaires et les jeunes habitants, nous avons organisé un drainage des canaux du quartier afin que les eaux se remettent à circuler. Nous avons agi à notre mesure, en mobilisant les habitants. Mais il faudrait des actions d’une tout autre ampleur.
« Les 20% les plus pauvres doivent être la référence »
Quelles sont vos propositions ?
Lors de notre travail d’évaluation des OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement), nous nous sommes rendu compte que si les projets ne sont pas élaborés avec les plus fragiles, très souvent ils se retournent contre eux. Avec les changements climatiques, c’est la même chose. Si l’on fait des plans pour atténuer ou s’adapter au dérèglement climatique sans les populations qui souffrent de la pauvreté, on est quasiment sûr que cela va se retourner contre elles, car les solutions ne seront pas adaptées.
Avez-vous un exemple ?
Les Philippines, qui abritent un grand nombre d’îles, sont extrêmement vulnérables à la montée de la mer. Le gouvernement fait de grands efforts pour reloger des dizaines de milliers de familles menacées. Mais si ces efforts ne sont pas réfléchis avec ces populations, certains groupes sont relogés dans des endroits où les pères ne trouvent pas d’emploi, où ils sont très loin de leurs lieux de travail et ne peuvent se payer les transports, où il est très difficile de scolariser les enfants… Et ils s’appauvrissent. Notre première proposition est qu’à tous les niveaux – local, national, international –, les populations soient associés à l’élaboration des plans, tout particulièrement les 20 % les plus pauvres, et que l’on en mesure l’impact sur eux, qu’ils soient la référence.
« Créer des socles de protection sociale »
Ces populations sont en plus sans protection sociale ?
C’est une deuxième proposition : créer des « socles » de protection sociale dans tous les pays. Cela permet aux gens de lutter contre la pauvreté mais cela accroît aussi leur résilience (capacité de résister) au dérèglement climatique. Les Malgaches touchés par les inondations vivaient souvent de la récupération d’ordures ou d’une petite agriculture qu’ils vendaient sur les marchés. Quand tout a été inondé, ils se sont retrouvés sans rien pour subsister. Or, en plus de la misère de tous les jours, ils n’avaient aucune couverture sociale. Si on créait un filet de protection – par exemple un système d’allocations familiales pour les enfants ou un revenu minimum pour les personnes âgées et les chômeurs – , ces gens-là auraient des ressources face aux événements qu’ils subissent. Le Brésil a par exemple mis en place la Bolsa Familia (bourse familiale2), et de nombreux Brésiliens ont vu leur niveau de vie s’améliorer. On demande des solutions semblables adaptées à chaque pays, et élaborées avec les syndicats, la société civile et les populations le plus pauvres, afin de ne laisser personne de côté.
« Une opportunité pour les plus pauvres »
La transition écologique serait-elle une affaire de riches ?
Peu d’organisations de défense de l’environnement dialoguent vraiment avec les populations les plus pauvres. Celles-ci se retrouvent de ce fait faiblement parties prenantes du débat sur le changement climatique. En ce sens, c’est une affaire de riches. Mais sur le fond, elles sont directement concernées car pour faire face au dérèglement, on est obligé de transformer nos modes de production, de consommation, notre façon de vivre, les transports… Un exemple. Il faut mieux isoler les logements afin de limiter la déperdition de chaleur et les émissions de gaz à effet de serre. Comment va-t-on s’y prendre ? On peut former des chômeurs et leur apprendre à isoler les logements. Cela créera des emplois et aidera à sortir de la pauvreté. Ensuite, ces logements rénovés vont-ils avoir des loyers assez bas pour être accessibles aux plus fragiles, ou vont-ils augmenter et les exclure ? Cela peut être un risque pour ces populations, mais aussi une opportunité si les politiques sont réfléchies avec elles et à leur profit.
Recueilli par Véronique Soulé
70 %
C’est la proportion de la population mondiale qui n’a pas une protection sociale adéquate en 2014, d’après l’Organisation Internationale du Travail. Seuls 27% ont une protection sociale suffisante.
COP21
La France va accueillir et présider la 21e Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques – la COP21 – du 30 novembre au 11 décembre 2015 en présence de 195 Etats plus l’Union Européenne. L’objectif est d’aboutir à un accord international limitant le réchauffement mondial en deçà de 2°C d’ici la fin du siècle.
40 000
C’est le nombre de participants – délégués représentants chaque pays, observateurs, membres de la société civile… – attendus à la COP21. Il s’agit du plus grand événement diplomatique accueilli par la France.
Le Village de la société civile
La COP21 se déroulera sur le site de Paris-Le Bourget. A côté de la zone réservée aux négociations officielles, la société civile – ONG, entrepreneurs, syndicats, chercheurs – aura son propre espace, où seront proposés des débats, des expositions, des ateliers pédagogiques… ATD Quart Monde y sera présent ainsi que sur d’autres lieux.
ATD Quart Monde au Quai d’Orsay
Une délégation a été reçue le 21 mai dernier au Quai d’Orsay par le ministre des Affaires Etrangères Laurent Fabius qui présidera la COP21, afin d’évoquer les positions et les attentes du mouvement.
Katrina
L’ouragan Katrina qui s’est abattu sur le sud-est des Etats Unis entre le 23 et 31 août 2005, a dévasté La Nouvelle Orléans, en Louisiane. Il a fait au total 1836 morts, et des dizaines de milliers de déplacés et de sinistrés qui ont tout perdu.