Miser sur la Fraternité
Contribution d’Hélène Rozet, volontaire permanente d’ATD Quart Monde, pour une célébration organisée par le GAIC (Groupe d’Amitié Islamo-Chrétienne) de la Journée de la Fraternité humaine, le 4 février 2022.
Tenir bon ensemble
ATD Quart Monde a été fondé par Joseph Wresinski, un homme qui a vécu toute son enfance dans la grande pauvreté. Il est devenu prêtre. En 1956, son évêque lui a proposé de rejoindre un camp de sans-logis en région parisienne. C’était un choc. Il se retrouvait face à ce qu’il avait vécu avec sa famille.
Il a décidé de rester avec ces familles si démunies pour tenir bon avec elles. Il s’est entouré d’amis venant de toutes les couches de la société, de différentes spiritualités et convictions. Ensemble, ils ont fondé ATD Quart Monde, avec comme objectif l’éradication de l’extrême pauvreté, ce qui passe par le respect des droits et de la dignité de tous, sans exception. ATD Quart Monde est maintenant présent dans 35 pays. ATD, ça veut dire : “Agir Tous pour la Dignité”.
Créer des liens profonds
Comme volontaire permanente, j’ai été plus de huit ans dans une petite équipe en Haïti. Nous étions proches des habitants d’un des quartiers les plus pauvres de Port-au-Prince, la capitale. Avec ces personnes très pauvres et des amis haïtiens d’autres milieux, nous menions différentes actions autour du savoir et de la santé. Nous étions témoins de circonstances absolument chaotiques, de vies fauchées, détruites, toujours recommencées. D’humiliations. Mais aussi de courage, de tellement d’entraide, d’humanité et de fraternité.
Quelques années plus tard je suis partie en Égypte, pour y commencer une présence d’ATD Quart Monde au Moyen Orient. J’y ai vécu cinq ans et mené des actions Tapori pour l’amitié entre tous les enfants. Notre équipe a créé des liens très profonds entre des musulmans et des chrétiens, des personnes qui gagnent bien leur vie et des habitants de quartiers très défavorisés, dont une dame qui vend des mouchoirs sur le trottoir… J’ai découvert combien s’engager contre la misère, pour le respect des droits et de la dignité de tous, c’est quelque chose d’absolument universel, commun à toutes les spiritualités.
Ils sont nombreux à vivre dans la rue
Je vis maintenant en région parisienne. Une de mes missions est de rejoindre des migrants en grande difficulté. Pour cela je me suis engagée avec l’association Utopia 56.
- Cette association donne rendez-vous chaque soir, sur le parvis de l’hôtel de ville à Paris, à toutes les familles, les femmes seules et les mineurs qui n’ont pas de solution d’hébergement.
Des hébergeurs citoyens proposent une chambre pour une nuit. Des bénévoles y emmènent des gens qui seront accueillis, et pourront se reposer. Des paroisses, et d’autres, offrent aussi des solutions d’hébergement. Quand il n’y a plus d’autres solutions nous accompagnons ces femmes, ces familles, ces jeunes, pour qu’ils s’installent sous tente, sous un pont, dans un parc… Et bien sûr c’est difficile.
Actuellement je suis au pôle d’Utopia 56 qui rejoint les hommes seuls. À Paris et en région parisienne, ils sont nombreux à vivre dans la rue. Nous faisons des maraudes pour les rencontrer, leur proposer de l’aide pour leurs démarches administratives, leur indiquer où ils peuvent trouver des services, ou juste pour parler avec eux…
Avant-hier, lors d’une maraude avec trois jeunes femmes, nous avons rencontré une vingtaine de Soudanais qui dorment sous un pont, sur quelques matelas, avec quelques couvertures. Beaucoup ont des titres de séjour mais ils n’ont pas trouvé d’hébergement. Ils sont en France depuis quelques jours pour certains, quelques mois ou même des années pour d’autres. La police les réveille chaque nuit entre 3h et 5h du matin, pas forcément avec une grande douceur, et les disperse.
L’un de ces Soudanais est amputé d’un pied et marche avec des béquilles, il a de gros problèmes de santé. Avec une autre association, nous avons réussi à lui permettre d’être hébergé et soigné. Mais combien sont-ils, à Calais, à Paris, et dans tant d’endroits en France, qui continuent à être chassés de partout ? Ils disent :
« Nous sommes considérés comme des criminels et traités comme des chiens. »
Le respect des droits pour tous, sans exception
À Utopia 56, à la Cimade, à ATD Quart Monde comme dans beaucoup d’autres associations, nous nous battons pour le respect des droits fondamentaux, le droit à un toit, à la justice, à la santé, à l’éducation… Pour tous sans exception.
- Ceux dont la famille est depuis toujours en France. Ceux dont les familles sont arrivées dans le pays depuis 1, 2, ou 3 générations. Ceux qui vivent dans des quartiers devenus des ghettos. Et bien sûr, les exilés qui arrivent après des parcours souvent compliqués et douloureux.
Leur souhait de participer
Dans les liens que nous avons avec tant de personnes privées de leurs droits, nous sommes témoins de beaucoup de fraternité et d’entraide. Nous entendons leur souhait de participer à bâtir une société fraternelle. C’est cela que je voulais transmettre, un peu comme une prière, à travers des paroles prononcées en 1980 par Joseph Wrésinski lors du rassemblement « Fraternité Quart Monde – Immigrés » :
- « À cause de notre souffrance et de notre espoir, nous voulons que le monde avance. Ceux qui font changer le monde, ce sont des gens comme nous qui, au-delà de l’amertume, avons retrouvé l’espoir dans la fraternité. C’est parce que nous mettons notre espoir dans la fraternité que l’avenir de l’humanité est entre nos mains. »
Photo : Gold et Hélène (au centre de la photo) Rezighat, Louxor, Égypte, 2021 © ATD Quart Monde
Bonjour Hélène, je vous encourage beaucoup dans vos différents engagements par ci par là. Vraiment vos énergies et témoignages nous mettent debout. Je crois que les combats du Quart Monde face aux humiliations imposées par la misère finiront un jour. Tenons-nous les mains.