La mission des « Patronas » de Veracruz : un acte de charité, de justice ou d’humanité ?
- Cette année, le thème de la Journée internationale des droits des femmes, «Je suis de la Génération Égalité : Levez-vous pour les droits des femmes », nous interpelle sur les défis qu’il reste à relever, ensemble, pour promouvoir l’équité entre les sexes et mettre fin à ce qui porte atteinte à l’intégrité de la femme. Aujourd’hui, ATD Quart Monde veut rendre hommage aux femmes de milieux défavorisés à qui rien n’est épargné. Chaque jour, sous toutes les latitudes, elles posent des actes de résistance et de solidarité pour rendre la vie possible.
Article écrit par María Julia Pino (Mexique).
« On nous a dit que les voyageurs avaient faim ». C’est ainsi que commence l’histoire des « Patronas » au Mexique.
Il y a plus de vingt ans, des petites filles ont interrogé leurs parents, travailleurs de la terre, au sujet des personnes qui voyageaient allongées sur le toit de ce train de marchandises qui traverse le Mexique du Sud au Nord, et passe près de La Patrona, leur communauté : qui sont ces gens ? D’où viennent-ils ? Les adultes ne savaient pas, à ce moment-là, que les questions de ces petites filles feraient d’elles quelques années plus tard les « Patronas » de Veracruz. Celles-ci ignoraient également qu’elles seraient témoins de l’une des complexités de la société actuelle où « la migration n’est pas un droit mais un privilège pour qui peut la financer » comme elles le disent à présent.
Des années plus tard, ces mêmes petites filles, devenues jeunes filles, marchaient au bord des voies ferrées en transportant un sac de pain et du lait. L’un de ceux qui voyageaient sur le train leur demanda alors ce qu’elles transportaient. Surprises, elles lui répondirent en lui montrant leur sac avec la seule intention de vouloir aider : « On nous a dit que les voyageurs avaient faim ».
C’est ainsi que commence l’histoire des « Patronas »
Depuis ce jour, ces femmes et d’autres femmes de leurs familles ont décidé de s’unir et de s’organiser.
Elles étaient agricultrices et vivaient dans une communauté qui n’avait pas beaucoup de moyens matériels, mais elles ont décidé d’agir sciemment sans rien demander en échange. À tel point que cette décision les amena à devoir partager leurs propres achats du jour, ceux qui servaient à alimenter leurs propres familles.
« Ces personnes ont faim, que pouvons-nous faire ? » L’une répondit : « J’amène un kilo de riz », une autre : « Moi les haricots » ; une autre encore : « Moi les tortillas ». C’est ainsi que, sans épargner aucun effort et avec beaucoup de courage, elles accoururent pour lutter contre la faim.
Depuis, juste avant le sifflement du train, les « Patronas » s’arrêtent et se placent le long de la voie ferrée tous les jours : à côté d’elles, sont disposées des brouettes transportant des sacs de nourriture qu’elles ont préparés : un peu de riz, des haricots, des tortillas, du pain et surtout des bouteilles d’eau.
Chaque sac est préparé avec beaucoup d’attention et le plus grand soin ! Chaque sac est le symbole d’une profonde solidarité !
Le train rempli de migrants s’approche alors à grande vitesse, dans un vacarme assourdissant. Les femmes sont très concentrées, car la moindre erreur pourrait entraîner de graves conséquences pour elles et les voyageurs. Elles sont prêtes, les bras tendus vers le ciel et les mains pleines de sacs de nourriture et de bouteilles d’eau ; les migrants, accrochés aux escaliers du train prennent tout ce qu’ils peuvent. Bien souvent, le conducteur ne réduit pas sa vitesse, mais en quelques secondes, les « Patronas », avec une incroyable agilité et une détermination admirable, tentent d’atteindre le plus grand nombre de wagons, offrant un peu de soulagement à ceux qui ont passé plusieurs jours sans manger.
Au milieu du bruit provoqué par le train, on entend les cris des migrants : « Merci ! », « Que Dieu vous bénisse ! » Soulagées, elles sourient un instant et voient « la bête » s’éloigner et poursuivre son chemin avec le même vacarme assourdissant.
Les « Patronas » savent que ce ne sont pas des passagers ordinaires : un futur incertain les attend. Combien arriveront à destination et combien resteront sur la route ? Tous ces passagers, même les plus jeunes, ont une expérience de vie, des espoirs et des rêves. Elles savent que, durant ce trajet incertain, certains seront agressés ; d’autres, endormis par la fatigue du voyage, seront mutilés et mourront en tombant du train ; d’autres seront séquestrés ou tués…
Les « Patronas », toujours prêtes, ne se laissent pas découragées par le passage de « la bête » ; elles reprennent leurs brouettes vides et rentrent dans leur communauté préparer le jour suivant, en continuant de lutter contre la faim sans relâche… Et c’est comme ça tous les jours depuis presque 22 ans !
Avec deux amies, j’ai rencontré les « Patronas » lors d’un événement dans la Ville de Mexico organisé par l’École Nationale d’Anthropologie et d’Histoire. Tout a commencé avec la projection du documentaire « Les Héros du quotidien ». À la fin du documentaire, on pouvait entendre un silence absolu et l’émotion indescriptible du public rempli de jeunes universitaires et de professionnels. Nora Romero, l’une des petites filles et aujourd’hui responsable des « Patronas », a entamé le dialogue encore touchée par l’émotion de l’instant :
« Nous devons être touchés au plus profond de notre humanité lorsque nous voyons quelqu’un souffrir. »
Aujourd’hui, le groupe est formé de plus de quinze femmes. Au fil du temps, leurs sacs de nourriture se sont remplis de boîtes de thon, de sucreries et de quelques gâteaux… Elles ne souhaitent pas devenir une association ou une ONG, ni recevoir d’aides du gouvernement ou de partis politiques. Nora explique :
- « Nous voulons continuer à être nous-mêmes. Nous voulons continuer à agir avec ce que nous avons, et cela demande beaucoup de courage et d’envie ! »
En entendant son témoignage, j’ai eu un frisson, un mélange d’admiration et d’espoir. Je me suis demandée si leur travail représentait un acte de charité, de justice ou d’humanité. J’ai pensé au sens de ces mots, mais j’ai surtout appris que
tout acte de rébellion contre la souffrance se fait lorsque nous décidons de faire un pas, aussi simple soit-il, lorsque nous décidons d’agir pour dire non à une situation. C’est un véritable mélange d’humanité, de justice et de lutte contre la souffrance.
Nora continue à s’adresser au public : « Nous n’avons pas eu la chance de faire des études universitaires, c’est pour cela que je parle en toute simplicité. Nous avons simplement agi pour l’humanité. » L’un des participants ajoute : « Cet acte simple d’offrir des tortillas ou de simples haricots répond au droit inconditionnel de pouvoir manger tous les jours. »
Et nous, que pouvons-nous faire ? Demande un jeune étudiant universitaire. « Travaillez bien tout en faisant preuve d’humanité ! Il ne suffit pas d’étudier, il faut des idées nouvelles et humanisantes. La plupart des personnes qui voyagent dans « la Bête » sont aussi jeunes que vous. Pour moi, une partie des solutions pour remédier à la complexité de ce type de migration vient des communautés dans lesquelles nous vivons et avec lesquelles nous devons nous engager avec créativité. »
Nous avons trouvé de l’inspiration dans les nombreux documentaires qui mettent en évidence cette belle et admirable expérience. C’est pourquoi, nous faisons connaître et nous diffusons le témoignage vivant des « Patronas » de Veracruz. Comme dirait Nora : Faisons tout simplement preuve d’humanité et agissons !
Pour mieux connaître l’historique de la journée internationale des droits des femmes.
Pour lire la Déclaration de Beijing (pages 9 à15 du document)