Le monde perd un grand défenseur de ce « Nous, Peuples des Nations Unies »
ATD Quart Monde rend hommage à Boutros Boutros-Ghali (décédé le 16 février 2016), un homme qui « incarnait les mots inscrits dans le préambule de la Charte de l’ONU : « Nous, peuples des Nations Unies », rappelle Eugen Brand, ancien délégué général d’ATD Quart Monde. « Il a cherché à construire une maison de tous les peuples, de toutes les personnes, avec la volonté de faire reconnaître les très pauvres comme partenaires indispensables dans la marche du monde, en ayant conscience que cela supposait une profonde transformation du fonctionnement des Nations Unies et de ses structures.»
Dans la suite des rendez-vous réguliers institués avec M. Javier Perez de Cuellar, la première rencontre d’ATD Quart Monde avec Boutros Boutros-Ghali eut lieu en octobre 1994 à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale du refus de la misère.
Cette célébration prit place au siège des Nations Unies à New York autour du « Patchwork de nos vies » reproduisant, dans les langues officielles de l’Organisation, l’Appel gravé sur la Dalle en hommage aux victimes de la misère. Elle clôturait le Second Congrès mondial des familles du Quart Monde, organisé dans le cadre du dixième anniversaire de l’Année internationale de la famille. Le Secrétaire général des Nations Unies était venu à la rencontre des participants au Congrès et avait accueilli leur demande qu’une réplique de la Dalle puisse être posée à l’ONU. Une telle réplique fut inaugurée le 17 octobre 1996, dans les jardins de l’ONU à New York, et depuis, chaque année, des centaines de personnes, enfants, jeunes et adultes, célèbrent la Journée autour de cette Dalle.
En 1996, une session de travail eut lieu entre le Secrétaire général et des délégués du Quart Monde du monde entier, au Palais des Nations Unies à Genève, en présence d’une délégation Tapori et du Maire de Genève. « Nous étions dans la salle de désarmement, se souvient Eugen, Boutros Boutros-Ghali est arrivé et a pris place à la tribune. Des délégués ont pris la parole. Nous l’avons vu retourner son discours et prendre des notes de ce que disaient les adultes, les enfants. La cérémonie prenait du temps ! Le protocole commençait à s’impatienter. Lui écoutait avec énormément d’attention, questionnait, dialoguait… Plus tard, la personne en charge du protocole qui avait eu des mots durs envers nous, est revenue s’excuser. Elle avait compris l’importance de cette rencontre entre les familles et le Secrétaire général des Nations Unies. »
La reconnaissance de l’apport de la réflexion de Joseph Wresinski scelle une amitié durable avec le Mouvement
Lors de la préparation du Sommet mondial sur le développement social à Copenhague en 1995, ATD Quart Monde avait obtenu une rencontre avec le Secrétaire général des Nations Unies au cours de laquelle Eugen Brand et Mme de Vos, Présidente du Mouvement international, lui avaient parlé de la contribution de Joseph Wresinski aux États Généraux du chômage (en France), en 1988.
Le Sommet mondial portait sur l’emploi décent, la lutte contre la pauvreté et la solidarité, pour faire face aux aspects néfastes de la mondialisation. Boutros Boutros-Ghali avait été sensible à la réflexion de Joseph Wresinski qu’il fallait en finir avec l’inutilité imposée aux jeunes et aux adultes et défendait le droit à la formation tout au long de la vie pour tous les êtres humains. Il avait dès lors soutenu la participation du Mouvement au Sommet. Cela se traduisit par une contribution d’ATD Quart Monde, « Pour combattre la pauvreté et l’exclusion, repenser l’activité humaine ». Le Sommet de Copenhague fit reconnaître les aspects multidimensionnels de la pauvreté et de l’extrême pauvreté, ouvrant ainsi le chemin vers les Objectifs du Millénaire, puis les Objectifs du Développement Durable.
« Ce n’était pas un homme de cabinet, d’ambassades, qui cherchait à défendre les intérêts des États, mais un homme libre qui préférait le lien direct avec les personnes. Nous avons développé avec lui un lien de confiance ; il nous a toujours offert son support », explique Eugen. Ce lien avec le Mouvement s’est poursuivi à travers des rencontres où l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, devenu Secrétaire Général de la Francophonie, continua d’apporter ses conseils. Il soutint la campagne de 2007 « Refuser la misère, un chemin vers la paix », non sans se questionner sur le défi porté par le Mouvement de faire reconnaître que la misère est une violence vécue par les personnes très pauvres et que celles-ci cherchent cependant à bâtir la paix. « Avec un grande sincérité, il nous a dit qu’il n’avait jamais pensé ce lien entre misère et paix ».
En 2008, Boutros Boutros-Ghali accepta sans hésitation de devenir membre du Comité international 17 octobre, responsabilité qu’il assuma jusqu’à sa disparition.
photo ATD Quart Monde, rencontre à New York en 1994 avec des participants du Congrès mondial des familles du Quart Monde