« Je n’ai pas d’amis et j’aimerais en avoir beaucoup »
En 2017, ATD Quart Monde a invité à écrire des histoires vraies de changement contre une situation d’injustice et d’exclusion pour montrer que lorsqu’on s’unit pour un même combat la misère peut reculer.
Les articles sur notre site ne sont pas signés car il s´agit de favoriser une voix collective. Dans le cadre des 1001 histoires, l’auteur met en lumière une histoire vécue.
L’histoire qui suit a été écrite par Véronique Martrou (Suisse).
Des week-ends Tapori en Suisse permettent à des enfants de tous milieux de se rencontrer, se connaître et se lier d’amitié.
Les week-ends Tapori : l’amitié possible par-delà les différences.
Depuis quinze ans, sous la bannière de Tapori, branche enfance du Mouvement ATD Quart Monde, des week-ends regroupent, trois fois par an, une vingtaine d’enfants provenant de toute la Suisse Romande, les uns issus de familles vivant des situations de pauvreté et d’exclusion, les autres aux parcours de vie moins difficiles. Ces journées visent à permettre la rencontre entre des enfants de milieux très différents, en offrant une place à chacun, avec une attention particulière pour ceux qui vivent l’exclusion dans leur quartier ou dans leur école. Sans cela, cette rencontre a rarement lieu.
Ce week-end là, nous avions accueilli 18 enfants, dont certains venaient depuis quelques années. Quelques-uns n’étaient pas parmi nous. Alexis était rentré trop tard du foyer dans lequel il était placé la semaine et il avait manqué l’heure de notre rendez-vous. Personne n’avait décroché le téléphone chez Fabien, qui était aussi absent. Peut-être que sa maman n’avait eu envie de parler à personne après une semaine particulièrement dure. Nous avions aussi accueilli quelques enfants qui venaient pour la première fois, dont Théo.
Théo, 9 ans, vivait avec sa maman, ses deux frères et sa sœur, dans une ville de Suisse. Nous connaissions cette famille qui était très isolée.
Nous avions animé un atelier autour de l’histoire vraie de deux enfants d’Afrique, Ono et René. La lecture de ce type de récits permet à certains des enfants de découvrir qu’ils ne sont pas les seuls à subir des moqueries, à être exclus dans leur école, à avoir une famille vivant en situation de pauvreté.
Nous avions commencé dans des petits groupes de quatre ou cinq enfants. Chacun y avait découvert René qui va à la rencontre d’Ono, même si celui-ci est traité de « fou » par beaucoup d’enfants parce qu’il s’endort en regardant les autres jouer au foot, après avoir passé une nuit à pêcher. Les autres enfants de l’histoire ne voient que ses habits sales et ne veulent pas jouer avec lui.
Ensuite, à partir de ce récit, il était proposé aux enfants de parler de la rencontre et de l’amitié, à l’image de ce qu’un groupe Tapori de France avait dit : « Quand on rencontre quelqu’un pour la première fois, on peut avoir l’impression qu’il n’est pas intéressant. Mais quand on le connaît mieux, on peut se rendre compte qu’il est gentil. C’est important de mieux connaître avant de juger. »
Théo avait été attentif à l’histoire. Lors du temps de dialogue, il avait d’abord laissé Chloé et Ariza prendre la parole. Elles venaient régulièrement à nos rencontres et s’exprimaient facilement. Après un moment, Théo avait dit : « moi, j’ai aucun copain». Les deux filles l’avaient écouté attentivement. Puis, après un petit silence, elles lui avaient raconté comment elles faisaient pour aller vers les autres. Chloé avait terminé l’atelier en nous disant : « C’est aussi pour cela un week-end Tapori. C’est pour savoir que ça existe, des enfants qui n’ont pas d’amis. »
Théo avait également passé beaucoup de temps avec Kevin, qui avait aussi une vie difficile. Tous deux avaient joué des heures à faire des pyramides de Kaplas. Les soirs après le dîner, c’étaient des parties de cache-cache avec tous les enfants. Théo avait toujours un grand sourire après ce jeu, même si ça l’énervait parfois de ne pas se rappeler des prénoms !
Et puis Théo était revenu. Pour nous, c’était le signe qu’il se sentait bien à Tapori.
Le week-end suivant, nous avions proposé aux enfants de réaliser leur silhouette en tissu, de la décorer et d’y accrocher un petit message personnel.
Théo avait écrit les phrases suivantes :« Je m’appelle Théo. J’aime jouer à « attrape-chien » et j’aime jouer avec mon chien. Et j’aime jouer aux Kaplas.
- J’aimerais savoir lire, pour pouvoir lire des histoires. Je n’ai pas d’amis et j’aimerais en avoir beaucoup. Sauf au week-end Tapori, là j’ai des amis.»
Comme Théo, les enfants nous disent lors des week-ends Tapori combien l’amitié est importante pour qu’ils se sentent bien dans la vie.
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