Ne baissons pas les bras
Intervention d’Isabelle Pypaert Perrin à la commémoration de la Journée mondiale du refus de la misère organisée par l’ONU
Allons-nous apprendre avec ceux qui vivent dans les situations les plus extrêmes à bâtir un monde juste pour tous et qui pense aux générations à venir ?
Ceux qui vivent dans la misère ne sont pas seulement des victimes, ils sont aussi des acteurs de changement, des acteurs de construction du monde, et des acteurs souvent ignorés.
Oui, ce sont eux qui paient le plus chèrement les conséquences de nos manquements, de nos promesses non tenues et de la façon dont nous nous sommes arrogé le droit d’exploiter la terre et les être humains. Cette semaine, je rencontrais dans un bidonville de la région parisienne des familles qui vivent dans des conditions indignes, comme un milliard d’habitants de la terre. La vie est dure, leur santé est atteinte, les liens avec les leurs sont sans cesse empêchés. Les enfants, pour lesquels ils ne cessent de lutter, ne grandissent pas bien à cause du plomb contenu dans le sol.
Ceux qui vivent dans la misère nous révèlent une catastrophe humaine et une catastrophe écologique permanentes. Et ils résistent, ils agissent, ils assument ce que nous-mêmes n’assumons pas ou pas assez. Ils prennent en charge leur environnement et cherchent à y rendre la vie possible, nous l’avons vu tout au long de cette commémoration.
Ceux qui vivent dans la misère vont encore plus loin : dans les lieux les plus abandonnés de la planète, ils prennent soin les uns des autres.
Ils donnent corps ainsi à l’ambition que s’est donnée la communauté internationale lorsqu’en 2015, elle a rompu avec l’objectif discriminatoire de vouloir réduire de moitié le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté pour s’engager à ne laisser personne de côté, à atteindre les plus éloignés, les plus oubliés d’abord. Dans le silence, partout dans le monde, les plus pauvres sont les premiers à vivre cette ambition de n’abandonner personne. Comment allons-nous leur faire de la place dans les lieux où nous réfléchissons et travaillons à l’avenir ? Comment allons-nous faire de la place à leur expérience et au savoir qu’ils en tirent ?
Je pense à ces familles sans logement, qui ont trouvé refuge sur un terrain pollué, et qui disent : nous ne partirons pas d’ici tant qu’une solution n’a pas été trouvée pour les plus fatigués d’entre nous. Elles nous montrent comment tous nos programmes, toutes nos actions doivent être habités par la préoccupation et par la recherche des plus exclus, de ceux qui manquent encore, des plus éloignés.
Lier participation et engagement humain
Nous connaissons des parents qui vont au centre de santé avec leur enfant qui souffre de la faim et de dénutrition. Ils sentent un tel regard de reproche posé sur eux que la honte les fait fuir et ne leur permet pas d’accéder aux soins. Par contre, quand tout est pensé pour que la confiance, le respect et la fierté se créent, c’est tout différent.
Inscrire la participation des personnes et des familles les plus pauvres dans les programmes et les dispositifs d’application est important. Mais nous devons aller plus loin. Il faut qu’au cœur de tous ces programmes, il y ait des hommes et des femmes qui aient la disponibilité, qui reçoivent la mission d’atteindre les plus pauvres et cherchent vraiment la participation de celles et ceux qui sont le plus loin de nos programmes, de nos espaces de dialogue et de concertation.
Depuis le début de la crise sanitaire, nous avons vu partout dans le monde des soignants se mobiliser d’une façon extraordinaire pour sauver des vies. Ils allaient bien au-delà des horaires et des contrats de travail. Ils ont soulevé l’enthousiasme et ça nous a donné confiance. La misère est tout autant une question de vie et de mort pour ceux qui la vivent. Par conséquent, y mettre fin demande une mobilisation aussi grande, une mobilisation sans précédent et des engagements humains très conséquents, des engagements que nous devons absolument soutenir.
Je voudrais finir en disant que malgré l’époque sombre que vit la planète, nous pouvons avoir un espoir :
Les plus pauvres ne baissent pas les bras, ils croient en demain, ils croient dans leurs enfants, ils croient dans l’être humain même s’ils en connaissent tous les travers et toutes les limites.
Alors, j’aimerais dire aux jeunes qui bougent pour la planète, et qui ont raison de le faire : faites alliance avec ceux qui résistent à la misère, parce qu’ensemble vous provoquerez de vrais changements et rien ne vous arrêtera.