L’outil inclusif et délibératif d’élaboration et d’évaluation des politiques (IDEEP) est un outil créé en partenariat entre le Rapporteur spécial des nations unies sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté et le Mouvement international ATD Quart Monde.

Contexte

Des chercheurs de l’Université d’Oxford et des collaborateurs d’ATD Quart Monde ont coordonné un processus de recherche participative de 2016 à 2019 pour identifier de manière collaborative les dimensions qui caractérisent la pauvreté. L’étude a été menée dans six pays: trois pays du Nord (États-Unis, France et Royaume-Uni) et trois pays du Sud (Bangladesh, Bolivie et Tanzanie). La méthodologie était basée sur le croisement des savoirs, une approche qui cherche à intégrer le savoir expérientiel des personnes en situation de pauvreté avec le savoir scientifique des universitaires et le savoir basé sur l’action des praticiens. En suivant un processus de recherche rigoureux et patient, l’étude « Dimensions caches de la pauvreté » a identifié des dimensions de la pauvreté qui sont co-construites, validées par les trois types d’acteurs et ancrées dans la réalité des personnes en situation de pauvreté elles-mêmes. Les neuf dimensions suivantes se retrouvent dans les six pays: (1) absence de travail décent, (2) revenus insuffisants et précaires, (3) privation matérielle et sociale, (4) maltraitance sociale, (5) maltraitance institutionnelle, (6) contributions non reconnues, (7) souffrance de l’esprit, du corps et du cœur, (8) dépossession du pouvoir d’agir, et (9) lutte et résistance.

Objectifs

L’outil inclusif et délibératif pour l’élaboration et l’évaluation des politiques (IDEEP) vise à guider les décideurs pour garantir une forte participation à la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des projets ou des politiques qui ont un impact sur les personnes en situation de pauvreté, garantissant ainsi que les différentes dimensions de la pauvreté, y compris celles qui sont « cachées », sont prises en compte et traitées. L’outil IDEEP exige que les processus soient profondément participatifs et délibératifs. Il vise à garantir l’implication directe et significative des personnes en situation de pauvreté, qui échangent des idées et des expériences avec d’autres acteurs clés en vue de parvenir à un ensemble commun de stratégies. Les lignes directrices incluses dans l’outil IDEEP ne visent pas à remplacer les outils d’évaluation politique existants (qu’il s’agisse d’évaluations de l’impact sur le développement durable ou d’évaluations de l’impact social reposant sur des outils économétriques, ou d’évaluations de l’impact sur les droits de l’homme reposant sur le cadre normatif des droits de l’homme) ; l’objectif est plutôt de les compléter et d’offrir une perspective différente en IDEEP : Outil inclusif et délibératif pour l’Élaboration et l’Évaluation des politiques 4 proposant une approche fiable, qualitative et délibérative pour saisir l’expérience vécue par les personnes en situation de pauvreté et en tirer parti afin d’améliorer l’élaboration des politiques.

Méthodologie

L’élaboration de l’outil IDEEP s’est appuyée à la fois sur des recherches documentaires et sur des études de cas menées selon une approche participative. Le document s’appuie sur une analyse de la littérature existante, y compris des articles scientifiques, des documents législatifs et de la littérature dite « grise ». En outre, trois études de cas ont été réalisées avec les objectifs suivants: (1) identifier et découvrir de manière empirique les dimensions « cachées » de la pauvreté qui restent problématiques ou non reconnues ; (2) tester et affiner la méthode délibérative proposée dans l’IDEEP ; et (3) formuler des questions d’évaluation susceptibles de guider les décideurs politiques dans l’élaboration ou l’évaluation délibératives des politiques et des programmes.

L’outil

Inspiré par les travaux d’Archon Fung et d’Erik Olin Wright sur la gouvernance participative et s’appuyant sur trente ans d’expérience d’ATD Quart Monde en matière de croisement des savoirs, l’outil IDEEP propose une méthode délibérative pour impliquer des acteurs aux positions différentes dans la conception et l’évaluation des politiques et des programmes. La méthode vise à garantir que différentes formes de connaissances (expérientielles, fondées sur l’action et scientifiques) sont confrontées, que les arguments sont pesés et que les solutions possibles sont envisagées par les participants afin d’améliorer la conception des politiques et des programmes. L’outil décrit les étapes suivantes (1) Mise en place de l’équipe centrale et du processus, (2) Collecte des données, (3) Triangulation délibérative, (4) Conception ou évaluation des politiques par l’équipe centrale, (5) Triangulation délibérative, (6) Document final. Il offre des conseils sur les conditions nécessaires pour améliorer l’égalité entre les participants, instaurer la confiance et garantir la participation effective de tous les individus et groupes. Enfin, l’outil IDEEP fournit un cadre d’évaluation qui traduit les neuf dimensions de la pauvreté en questions d’évaluation tangibles susceptibles de guider les décideurs politiques dans les exercices délibératifs. En ce sens, cet outil est un prolongement de l’étude sur les dimensions cachées de la pauvreté. L’outil IDEEP vise à informer les décideurs politiques, les bailleurs de fonds et les organisations, y compris les organisations communautaires, qui souhaitent mettre en pratique l’idéal de la participation dans l’élaboration, le suivi et l’évaluation des politiques publiques, des projets et des programmes de développement. Il propose une méthodologie qui va au-delà de la participation et s’inscrit dans une pratique délibérative. Il vise à soutenir les décideurs dans leurs efforts pour inclure activement et efficacement le savoir expérientiel et les points de vue des personnes en situation de pauvreté dans les domaines politiques qui les concernent, afin d’améliorer l’efficacité, l’efficience et l’équité des plans de lutte contre la IDEEP : outil inclusif et délibératif pour l’élaboration et l’évaluation des politiques 5 pauvreté. Ce n’est que lorsque ces connaissances sont entendues et intégrées dans le processus d’élaboration des politiques que les angles morts des politiques peuvent être découverts et corrigés. Sans la voix des personnes en situation de pauvreté, les dimensions cachées de la pauvreté resteront dissimulées et les efforts visant à améliorer leur vie ne seront pas optimaux. Garantir la participation active des groupes vulnérables et marginalisés à la gouvernance réflexive des politiques publiques nécessite du temps, des ressources et une planification minutieuse. Notre espoir et notre ambition sont que cet outil d’élaboration et d’évaluation délibérative des politiques puisse amorcer une nouvelle conversation: une conversation qui considère les personnes en situation de pauvreté comme des partenaires plutôt que comme des bénéficiaires passifs, comme des détenteurs de connaissances et comme des agents de changement. En allant au-delà de la participation, telle qu’elle a été conçue dans ses formes les plus faibles, vers un partenariat délibératif entre les personnes en situation de pauvreté, les praticiens de terrain et les décideurs politiques, nous avons toutes les chances de lutter contre la pauvreté.