Notre amitié s’est tissée lentement, jour après jour
Peinture : Destruction, D’ange Henri Rambello © ATD Quart Monde / Centre Joseph Wresinski / AR0205601002
Message de printemps 2022
« Quoiqu’en pense le monde, chaque être humain, si pauvre soit-il, possède un même potentiel d’amour, une même faculté d’aimer et d’être aimé.
Père Joseph Wresinski, Conférence à Louvain (Belgique) – 1972
Message de Bruno Dabout, Délégué général d’ATD Quart Monde
- L’histoire d’Annie et Caroline dit bien les conditions d’une relation possible par-delà les inégalités de situations. Permettre à chacun de donner et de recevoir est une des clés pour sortir de l’exclusion sociale. Construire une telle relation ne nous exonère pas du partage de moyens matériels, mais nous oblige à l’entreprendre sans mettre à mal la reconnaissance mutuelle.
- Quand j’ai rencontré Caroline la première fois, elle était une jeune lycéenne. Au cours de ses études, de sa vie professionnelle et familiale, son engagement avec ATD Quart Monde est resté une constante. Elle vit actuellement en Côte d’Ivoire. Dernièrement, elle nous a écrit le récit qui suit.
- Annie et Caroline ont ensuite pris part à une rencontre du réseau Tapori par visioconférence. C’était incroyable pour elles d’être assises côte à côte et de dialoguer avec des personnes engagées dans le monde entier pour que la misère cesse. A la fin, Annie a dit : « On rejoint une nouvelle famille. »
- Merci, chers amis, de soutenir nos actions d’éducation à travers le monde.
- De la relation personnelle au combat collectif pour une société digne et juste, c’est le chemin de confiance et de liberté de toutes les actions du Mouvement ATD Quart Monde. Elles s’appuient sur un tissu de relations d’amitié et de rencontres qu’on aurait cru impossibles.
Je viens de déposer mes enfants à l’école. Une femme s’approche, un bébé au dos :
« Tu n’aurais pas du travail ? ». Elle est jeune mais déjà marquée par la misère. Elle revient d’aller chercher le pain couché, ces invendus donnés le lendemain par les boulangers, qu’elle revend à bas prix dans son quartier. Mais ce jour-là, il n’y a pas de pain. Elle s’apprête à rentrer chez elle retrouver ses autres enfants.
Non je n’ai pas de travail à proposer… Mais je peux offrir mon amitié.
– Je m’appelle Caroline et toi ?
– Annie.
– Je viens d’arriver ici. Je ne connais rien. Toi tu es chez toi. Tu peux m’apprendre beaucoup.
Nous nous sommes donné des rendez-vous. Elle m’a fait découvrir le marché, la décharge, l’endroit où on fume le poisson, l’usine de transformation du manioc. Elle m’a ouvert les yeux sur tant de choses, qu’étrangère, je ne pouvais pas voir.
Notre amitié s’est tissée lentement, jour après jour.
J’ai plusieurs fois envisagé avec mon mari de lui proposer de faire les courses pour nous, ou de l’envoyer chercher nos enfants à l’école, pour lui donner une rémunération. Sa vie est si difficile !
Mais une petite voix au fond de moi me disait toujours que si elle devenait mon employée, elle n’aurait peut-être plus la même liberté de se confier, de m’expliquer…
A tort ou à raison, je ne l’ai pas fait.
Il y a eu ce jour où elle m’a dit : « Tiens, là c’est chez moi. Entre ! »
Alors ensuite, j’ai osé lui parler de mon rêve : créer un groupe d’enfants Tapori, des enfants qui se donnent des forces pour apprendre ensemble, tissent des amitiés et contribuent à leur façon à changer le monde. Elle m’a dit son enthousiasme, mais aussi son inquiétude de se lancer dans ce projet, elle qui cherche du travail. Pourtant c’est elle qui a trouvé un terrain où il y a de l’ombre, au cœur du quartier. Elle a même rencontré le propriétaire. Il a demandé des preuves du sérieux de notre association et l’assurance que nous n’allions pas nuire aux enfants.
Oui, je peux apporter des documents et partager mon expérience d’ATD Quart Monde. Mais à un moment j’ai eu un doute : n’est-ce pas injuste, alors qu’elle n’a rien, de lui proposer un travail gratuit ? En réalité, si je lui demande son aide, c’est parce qu’ensemble on peut faire quelque chose, sans elle je ne peux rien.
Nous avons réfléchi toutes les deux. C’est là qu’Annie m’a fait cette réponse surprenante :
« Certes, on n’a rien, on est dans le besoin, mais on a des choses à transmettre. Ce qu’on fait pour nos enfants, c’est prêter à Dieu. »
Plus je découvre Annie, plus je suis émerveillée de l’attention qu’elle prête aux femmes qui peinent plus qu’elle. Elle leur donne pour rien du pain couché. Elle me dit : « Moi aussi je voudrais aider, je veux travailler avec toi pour aider les autres ». Alors, j’ai envie de crier à la terre entière :
Est-ce que l’on sait dans notre monde combien ceux qui luttent chaque jour pour leur survie cherchent aussi à soutenir d’autres ?