Nous avons vraiment besoin les uns des autres

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Photo : Roxana Quispe et son fils, Bolivie, 2020 © ATD Quart Monde


Tout au long de la crise de la Covid-19, la solidarité a constitué un pilier fondamental de la résistance de nombreuses familles en situation de vulnérabilité. Pour Roxana Quispe, militante Quart Monde à El Alto en Bolivie, la solidarité consiste à mettre en œuvre cette attention mutuelle qui caractérise la culture andine.

L’avenir faisait peur

Au début de la pandémie, mon mari m’a appelé et m’a dit : « Il ne reste plus rien dans les supermarchés, je fais même la queue pour des œufs ». Je me suis un peu inquiétée, mais je lui ai dit : « Ne t’en fais pas, achète juste quelques œufs, il nous reste des chuños1, on va tenir avec ça ». Je voulais le rassurer, mais l’avenir faisait peur.

Je devais aller ramasser des pommes de terre au champ. J’y suis allé avec deux de mes enfants. Mais il n’y avait pas beaucoup de transports. Heureusement, mon frère a pu nous accompagner une partie du chemin avec son petit taxi, puis nous avons marché plus de six heures avec mes enfants.

Mon mari a rapidement dû arrêter de travailler parce qu’il est dans le transport indépendant et qu’on ne peut plus circuler. C’est comme ça qu’on vit, avec ce que nous avons.

J’ai pensé à beaucoup de familles

Je me suis demandé ce qu’il en était des familles qui vendent et vivent au jour le jour. J’ai pensé aux femmes qui ont beaucoup d’enfants. Je me suis demandé comment je pouvais les aider, comment je pouvais aller à leur rencontre ? J’ai pensé que beaucoup de familles allaient traverser des moments difficiles, des familles que je connais.

Je me suis dit que je pouvais peut-être les aider en partageant ce que j’avais à la maison. J’ai appelé la Maison de l’Amitié d’ATD Quart Monde pour voir ce qu’on pouvait faire ensemble.

Au cas où quelqu’un en aurait besoin

J’ai reçu un appel de Susi qui m’a dit que notre voisine avait besoin d’aide, qu’elle n’avait plus rien à manger. Je lui ai répondu que j’avais des chuños à partager.

Cette dame fabrique des miroirs, mais elle ne peut rien vendre en ce moment. Je lui ai apporté le sac de vivres que nous avions préparé avec quelques voisines. Elle était très reconnaissante. Combien de familles sont dans la même situation ? Combien de familles n’ont pas de quoi manger ? C’est ce que je me suis demandé. Alors, j’ai laissé un autre petit sac de chuños chez Susi au cas où quelqu’un en aurait besoin.

Nous allons survivre

Comme mon mari ne travaillait plus, j’ai dû limiter beaucoup de choses. Je n’achetais plus de fruits, parce qu’ils se consomment très vite, en plus d’être chers. J’ai serré la ceinture pour qu’on tienne puisque personne ne sait combien de temps cela va durer. Le problème, c’est que quand on reste à la maison, on a envie de manger davantage. Mes enfants me disent : « Maman, tu n’as pas acheté de fruits. » Je leur réponds : « Non, les enfants, on doit garder de quoi acheter de la viande et des légumes », et ils comprennent.

Je suis sûre que nous allons survivre parce qu’il nous reste des chuños et des œufs. Avant, je n’achetais presque pas de viande. Dans la campagne nous étions habitués à manger des chuños tous les jours, seulement ça et des pommes de terre. Alors je pense qu’on s’en sortira.

Nous nous soutenons

Ces jours-ci, quand je sors dans la rue, je demande à Dieu de mettre les personnes en difficultés sur mon chemin pour que je puisse les aider. J’ai beaucoup pensé à qui pouvait être dans le besoin. Une nuit, j’ai rêvé d’un ami de mon fils. Sa mère lave du linge et son père est taxi. Je me suis dit qu’ils devaient avoir besoin de nous.

Quand Susi m’a appelée, je lui en ai parlé. Nous avons rassemblé quelques vivres et nous nous sommes organisées pour les apporter  à cette amie et à plusieurs femmes du quartier. On a commencé par notre voisine qui elle aussi connaissait quelqu’un dans le besoin. C’est ainsi qu’on a distribué la nourriture, Susi avec son petit caddie et moi avec mon aguayo2.

Quand nous avons frappé à la porte de cette amie, j’ai vu sa souffrance. La veille de notre visite, elle enterrait son fils. J’ai été surprise par sa question : « Comment avez-vous su que j’ai eu un problème ? » Elle nous a raconté qu’elle n’avait pas d’argent pour lui acheter un cercueil. Ça a été très dur d’entendre ça. On a partagé les vivres en lui disant : «Prends, ça va te servir ». On lui a raconté que nous avons tous participé pour soutenir les familles qui en avaient besoin. Elle était très touchée. De cette manière, je crois qu’on a apporté un peu d’aide.

Parfois, on se sent seul, on n’a personne en qui avoir confiance. Pourtant on a toujours besoin du soutien de quelqu’un dans la vie. Moi, je vis de ce côté de la ville avec mon mari, et mes frères, de l’autre côté. Je ne peux pas leur rendre visite, ni à ma belle-mère qui vit à la campagne. Mon mari me donne du courage. Nous nous soutenons pour nous en sortir.

C’est le moment de nous unir

À la Maison de l’Amitié, j’ai appris à vraiment réfléchir. J’ai participé à la recherche sur les dimensions cachées de la pauvreté et ça m’a fait d’autant plus réfléchir. Durant cette recherche, nous avons beaucoup parlé de la manière dont les personnes vivent dans la pauvreté et de leurs besoins. Ça m’a aidé à réfléchir à ce que vivent les autres, et surtout, à penser avec d’autres personnes.

Dans la période que nous vivons, le plus important pour moi est de partager le peu que je possède. Nous avons vraiment besoin les uns des autres, nous avons besoin de nous soutenir mutuellement. Nous devons nous soucier de ceux qui ont le plus besoin de nous. Dans ma culture, cela se fait en partageant ce que nous avons : j’ai quelque chose, quelqu’un a autre chose, nous pouvons échanger, et c’est comme ça que nous nous soutenons.

C’est le moment de nous unir. Si nous ne nous soutenons pas les uns les autres, qui le fera ? Peut-être que nous n’avons pas des possibilités financières, mais on peut le faire avec les moyens du bord. On a toujours un petit quelque chose chez soi. C’est le moment de nous réunir et de partager entre nous pour que personne ne soit laissé de côté, pour que personne ne soit oublié. Si le confinement se poursuit, nous devons nous soutenir pour nous en sortir.


Réflexion et initiatives de personnes en situation de pauvreté en Amérique latine pendant la pandémie :

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  1. Les chuños sont des pommes de terre séchées, spécialité des Andes centrales
  2. Tissu traditionnel tissé et utilisé par les femmes de l’Altiplano du Pérou et de Bolivie

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