Il n’y a pas de limite à l’apprentissage
En 2017, ATD Quart Monde a invité à écrire des histoires vraies de changement contre une situation d’injustice et d’exclusion pour montrer que lorsqu’on s’unit pour un même combat la misère peut reculer.
Les articles sur notre site ne sont pas signés car il s´agit de favoriser une voix collective. Dans le cadre des 1001 histoires, l’auteur met en lumière une histoire vécue.
L’histoire qui suit a été écrite par Masudi (Tanzanie).
Je m’appelle Masudi, je suis originaire d’Arusha, plus précisément du mont Meru. Actuellement je vis près du marché aux poissons où je trouve parfois du travail en tant que pécheur. Je vis dans un quartier appelé « Le Liban » avec un autre groupe de jeunes, dont bon nombre d’entre eux partagent une histoire similaire à la mienne et n’étaient pas à même de poursuivre leur éducation.
Ma situation familiale était telle qu’il m’était difficile de terminer mes études, c’était tellement compliqué pour ma mère de nous prendre en charge financièrement. Elle a dû nous éduquer toute seule. Je voulais toujours étudier donc j’ai suivi une formation professionnelle pour être un fabricant de tôles mais encore une fois les moyens faisaient défaut. C’est alors que j’ai décidé de quitter Arusha pour Dar es Salaam avec l’espoir que la vie y serait plus facile. Je suis d’abord arrivé à Ubungo puis j’ai trouvé le chemin du marché aux poissons pour gagner de l’argent et c’est là que j’ai rencontré des jeunes qui vivaient avec le peu qu’ils avaient.
Après avoir vécu là pendant un certain temps, j’ai rencontré Issa Mfaume qui m’incita à aller en cours d’alphabétisation dans les bureaux du marché aux poissons, juste une semaine avant que les cours ne démarrent. Il est vraiment déterminé à inciter les gens résidant près du marché à suivre les cours. D’ailleurs, c’est lui-même qui m’avait inscrit.
Aller en classe est une très bonne chose pour moi parce que je ne savais vraiment pas bien lire et écrire; ce qui était une réelle entrave à mon rêve. Mon rêve c’est d’écrire des chansons parce que je suis un chanteur et j’aime chanter, mais jusqu’ici, je ne pouvais pas lire les paroles d’une chanson donc il m’était plus difficile de chanter.
J’ai essayé d’assister à tous les cours bien que j’aie quelques soucis avec mes yeux. Ils ont été abîmés par la poussière produite pendant que je faisais de la soudure du fait que nous n’avions aucune protection. Mais tant pis, je veux apprendre et j’aime ça, donc je fais en sorte de m’asseoir le plus près possible du tableau noir.
Les gens qui viennent en cours sont devenus comme une famille pour moi. Nous nous retrouvons ensemble, nous échangeons, nous nous entraidons. Si quelqu’un n’est pas en mesure de suivre en classe, qu’il s’absente un jour ou lorsque nous le voyons abandonner, nous lui venons en aide parce que nous essayons toujours d’évoluer ensemble.
Et c’est ce qui fait la différence avec l’école. Là-bas je ne parvenais jamais tout à fait à suivre le rythme mais ici je me sens libre, plus responsable.
C’est important de savoir lire et écrire parce que nous nous battons pour surmonter les obstacles sur notre route. Moi-même je sens que je deviens plus ouvert d’esprit. Mes camarades de classe disent que ça les aide lorsqu’ils rencontrent des difficultés au quotidien dans leur commerce. Certains disent que ça leur donne de la liberté : quand ils vont en ville, ils peuvent identifier les noms des endroits. Nous sommes tous heureux de nous rendre en classe avec l’impression d’avancer, de voir le monde s’ouvrir à nous.
Dans notre communauté, quand tu sais lire et écrire, tu te sens plus respecté, tu es reconnu. Certains disent que c’est un soulagement parce que maintenant ils se sentent membres de la communauté comme tout le monde.
Et pour ceux qui ne sont pas encore venus, qui n’osent pas venir, nous leur disons: « rejoignez le groupe, arrêtez de vous sentir honteux ».
Quand certains me disent que je suis en train de perdre mon temps et que je devrais aller travailler, je leur dis qu’il n’y a pas d’âge pour apprendre, qu’il n’y a pas de moment plus favorable qu’un autre.
Il n’y pas de limite pour apprendre. Le plus important, c’est de ne pas perdre espoir.
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