Ouvrir des fenêtres

Photo : Vitrail de la chapelle du Centre International de Mery sur Oise, France, 1996 © Jean Marq / ATD Quart Monde / Centre Joseph Wresinski – AR0100103001


La « touche spéciale » de Cathy et Tony

Quand Tony et Cathy Low, volontaires permanents, quittent la Suisse, l’équipe d’ATD Quart Monde soulignent « la touche spéciale » que ce couple apporte au Mouvement et leur présence sensible et respectueuse. Ils s’engagent à des périodes différentes. Cathy Low, française, rejoint le volontariat en 1987, et Tony, de Singapour, en 1993. Ils se rencontrent aux Philippines et se marient en 1994. Depuis 30 ans, en famille, ils partagent un projet commun : rejoindre les plus pauvres dans leur combat contre la misère et s’unir avec d’autres.

En chemin avec Tony

Tony découvre le Mouvement quand il est séminariste jésuite aux Philippines. Les membres d’ATD Quart Monde l’invitent à participer à une bibliothèque de rue avec des familles qui vivent sous un pont à Manille. Il se souvient :

« On demandait aux enfants : “Qu’est-ce que c’est la paix pour vous ?” Un enfant a répondu : “Pour moi la paix, c’est avoir une fenêtre. »

Les fenêtres apparaissent plusieurs fois dans l’engagement de Cathy et Tony. Le Volontariat est une fenêtre pour que la société puisse voir les plus pauvres autrement. Avec une trentaine d’autres personnes, Tony rejoint le Volontariat en France, au Centre International d’ATD Quart Monde. Comme tous les autres volontaires de cette époque, il se forme au travail manuel en faisant du chantier avec Bernard Jährling. Il apprend à construire des murs et à tailler des pierres : « C’est aussi ça, bâtir le Mouvement ».

La fenêtre, c’est encore pour Tony, l’occasion de créer de belles choses avec d’autres. Il a ainsi appris à créer des vitraux avec Jean Marq, un volontaire discret et très engagé avec les familles très pauvres. Il a encore appris à chanter à travers la création collective d’un théâtre musical  « couleurs cachées » en 2017, avec Jean-Marie Curti, chef d’orchestre Suisse. Cette expérience, par l’énergie qui s’en dégage, a régénéré les personnes qui y ont participé.

Les fenêtres c’est aussi des occasions de rencontre, de partage, de dialogue avec des gens très différents. Des personnes qui ont la vie difficile, Tony a appris leur courage face à l’adversité, leur humour parfois pour rester positif. Il garde en mémoire des militantes Quart Monde du Royaume Uni, comme Maria Jones ou Helena Robinson, mais aussi des alliés, comme Ruby Wiltcher, Jeremy Boutwood ou Margaret Howells.

La honte, le refus de la fatalité et l’union

Cathy se projette dans un engagement très jeune. Elle ressent des sentiments d’injustices sans parvenir à « mettre de mots dessus. » Son projet commence à se définir plus précisément suite à une rencontre :

  • « Je viens d’une famille d’agriculteurs, de paysans, donc le travail, je connais ! Et puis, j’ai fait beaucoup de boulots quand j’étais jeune. Mais je ne voyais pas trop le sens d’avoir une telle vie, de travailler, d’avoir une famille… Enfin, les choses établies me perturbaient un peu. Puis, j’ai rencontré une professeure qui était engagée à l’UNICEF. Quand je l’écoutais parler de son engagement, je l’ai ressenti comme un appel. Je me disais que c’est vraiment intéressant de s’ouvrir sur d’autres cultures. Et j’avais beaucoup de questions sur les pays dits riches ou pauvres. »

Cette rencontre la conduit au choix de suivre une formation dans l’humanitaire. Dans ce cadre, Cathy doit réaliser un stage et rencontre ATD Quart Monde. En 1987, la Journée du Refus de la Misère avait eu une grande visibilité publique. Cathy se retrouve dans les propos de Joseph Wresinski et d’une militante Quart Monde qu’elle entend à la télévision. Soudain, des mots décrivent très précisément les sentiments d’injustices de Cathy et font écho à son histoire familiale :

  • « Ma mère est très peu allée à l’école. Elle avait du mal à écrire. Sa famille était mal vue. Je sentais du mépris enfant, de la honte de la part de ma mère et souvent de la colère. Enfant, je le vivais mais je ne comprenais pas. Quand j’ai entendu Joseph Wresinski, c’est la première fois que quelqu’un parlait de la honte et de la misère comme quelque chose d’anormal .
  • Joseph Wresisnki a mis des mots sur ce que je ressentais et que je n’arrivais pas forcément à dire. Il y a trois mots de lui qui m’ont interpellée : La honte, le refus de la fatalité de la misère et l’importance de s’unir. Quand on vit dans la misère, on a ce poids de la honte. Puis l’interpellation très forte du Père Joseph avec cette phrase : “La misère n’est pas une fatalité. Elle est l’œuvre des Hommes, seuls les Hommes peuvent la détruire.” Enfin, l’importance de s’unir dans ce combat. Le Mouvement ATD Quart Monde, c’est comme une fenêtre qui ouvre sur d’autre façons de voir, de penser et de réfléchir. »

Réapprendre à voir avec un enfant d’un quartier pauvre de Manille.

Durant ces trente ans, Tony et Cathy vivent aux Philippines, en Angleterre, en Suisse, en France et aux États-Unis. Depuis quelques semaines, ils sont en Thaïlande pour soutenir les membres du Mouvement en Asie.

Cathy décrit le Volontariat comme une expérience de bouleversement :

  • « Tous les volontaires permanents d’ATD Quart Monde ont été touchés, comme moi je peux être touchée, et bousculés par des familles, par des personnes qui vivent dans la misère. Chaque volontaire le vit différemment. Les volontaires touchent du doigt la misère qui frappent les gens, et en même temps, ces personnes les touchent profondément et changent leurs façons de voir. »

« Pour reparler d’une fenêtre… Je me souviens de Michaël, 10 ans. Sa famille était une des plus pauvres que nous connaissions à Hilum à Manille. Ils sont partis vivre sur une décharge publique, pour gagner leur vie par la récupération des déchets. Je suis allée les voir, leur rendre visite. En arrivant, je vois que leur maison est construite avec quatre bouts de tôles sur une montagne de déchets. Dans ces quatre bouts de tôle tu avais une ouverture, comme une fenêtre. Cette scène m’émeut encore… Et Michaël me dit : “Regarde comme la mer est belle !” Et en effet, on voyait la mer au loin… Mais moi, je ne l’avais pas vu la mer, je n’avais vu que la misère… Lui, il voyait plus loin. »

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