La pauvreté et les pratiques de protection de l’enfance en Angleterre
Améliorer la collaboration et le partenariat entre les familles et les travailleurs sociaux
Récemment, l’European Journal of Social Work a publié un article intitulé « Poverty, exclusion and child protection practice: the contribution of ‘the politics of recognition & respect’ » [La pauvreté, l’exclusion et la protection de l’enfance : la contribution de la « politique de la reconnaissance et du respect »] écrit par Anna Gupta, professeur en travail social à la Royal Holloway, Université de Londres, Hannah Blumhardt, chercheuse indépendante basée en Nouvelle-Zélande et ATD Quart Monde au Royaume-Uni. L’article s’interroge sur les pratiques des travailleurs sociaux en Angleterre. Voici quelques extraits et un lien vers l’article complet, paru en février 2017.
L’article commence par expliquer le concept de « l’altérisation » et la manière dont il affecte le regard que l’on porte sur les gens qui vivent dans la pauvreté.
« L’altérisation est un processus de différentiation et de démarcation qui pose une limite entre « nous » et « eux » et qui permet d’instituer et de maintenir une distance sociale. L’application de codes moraux différenciés selon la diversité des catégories sociales facilite l’interprétation de la différence de certains « autres » en termes d’infériorité. L’altérisation se produit fréquemment à travers la société dans son ensemble, à partir des préjugés sur l’origine, le genre ou la profession des personnes. Dans le contexte des relations avec ceux qui vivent dans la pauvreté, « des jugements de valeurs négatifs qui font des pauvres des agents de contamination morale, des menaces, des fardeaux économiques peu méritants ou des motifs de pitié sont des exemples de processus d’altérisation qui conduisent à traiter les personnes en situation de pauvreté comme des êtres différents et inférieurs » (Lister, 2004). »
L’article décrit ensuite les ateliers d’ATD Giving Poverty a Voice — Social Worker Training Programme [Donner une voix à la pauvreté : programme de formation pour les travailleurs sociaux], qui lui ont servi de base.
« Ces ateliers ont rassemblé des familles avec une expérience de la pauvreté, des travailleurs de la protection de l’enfance, des universitaires, des juristes et des travailleurs sociaux. Le projet consiste à développer un nouveau contenu pour un module d’entraînement à la prise de conscience autour de la pauvreté, avec l’apport des familles vivant la pauvreté (ATD Quart Monde, 2005 [Getting the right trainers. Avoir les bons formateurs. Londres : ATD Quart Monde.]). » Le but du programme de formation des travailleurs sociaux n’est pas de diaboliser les travailleurs sociaux ou leur profession. Le projet cherche plutôt à jeter les bases d’une collaboration améliorée et d’un partenariat entre les travailleurs sociaux et les familles en situation de pauvreté, afin de favoriser la compréhension mutuelle et les relations de travail. »
Tout au long des ateliers, les participants ont décrit l’impact négatif de l’altérisation.
« L’un des exemples de comportement altérisant a été le manque d’empathie. Les familles ont décrit combien les travailleurs sociaux n’étaient pas conscients que les parents pouvaient interpréter certaines décisions, certains processus ou certains comportements comme des « attaques » ou des provocations. Dans de telles situations, les travailleurs sociaux ont souvent montré qu’ils étaient incapables de reconnaître les émotions des parents et leurs réactions comme normales et les interprétaient à tort comme excessives, les jugeant agressives ou sur la défensive ou encored’un détachement problématique. Des réunions où des professionnels ont exclu les parents ou se sont abstenus de leur parler directement ont été cités comme des circonstances où le manque d’empathie témoignait d’un manque de reconnaissance et de respect. Comme l’a expliqué l’une des participantes :
- Les travailleurs sociaux ne se rendent pas compte que la personne qu’ils rencontrent a déjà peur d’eux, qu’elle veut protéger ses enfants et qu’elle craint pour eux. A moins qu’ils ne sachent ça, ils ne comprennent pas cette réaction humaine. Vous savez, ils se demandent : « pourquoi est-ce qu’elle est aussi agressive ? » Parce que je suis terrifiée à l’idée qu’on me prenne mes enfants ! C’est normal, ce n’est pas anormal !
« Un autre aspect de l’altérisation souligné par les participants réside dans la politique des deux poids, deux mesures que les familles affrontent sans cesse dans le réseau des travailleurs sociaux et du placement. Ces mesures conduisent les familles à penser qu’elles sont d’une certaine manière distinguées du reste de la société et qu’on a envers elles des attentes différentes. Les participants ont expliqué combien le temps des familles parait valoir « beaucoup moins que celui des professionnels » et ils ont raconté comment des travailleurs sociaux ont annulé des rendez-vous ou des visites à domicile sans avertir ni expliquer ou bien comment ils ont imposé des tâches superflues sans les superviser…
D’autres exemples ont concerné les attentes différentes quant à la manière dont les parents devraient élever leurs enfants comparée à celle dont ceux-ci sont traités une fois placés. L’une des participantes a souligné avec ironie qu’on lui avait dit qu’elle offrait à son fils autiste une vie « chaotique » et « instable » et que, quand on le lui avait enlevé, il avait été déplacé onze fois en trois ans, sans jamais recevoir une attention particulière pour ses besoins propres ni de soutien éducatif. Les familles ont aussi comparé la manière dont les travailleurs sociaux se focalisent sur les blessures des enfants qui sont chez leurs parents, alors que de semblables blessures sont ignorées une fois les enfants placés. L’une des participants a comparé la manière intrusive dont elle avait été traitée quand son fils dont elle avait la garde était tombé sur un clou à nu et ce qui est arrivé quand sa fille s’est cassé la jambe une fois placée :
- La manière dont les deux accidents sont arrivés et la manière dont ils ont été gérés ont été très différentes. Personne ne s’est occupé de ma fille quand elle s’est cassé la jambe. Aucun travailleur social n’est allé superviser la mère d’accueil parce que c’était une mère d’accueil et que « on lui fait confiance »…
On a aussi évoqué des preuves avérées de la différence entre les enquêtes qui concernaient des parents en situation de pauvreté et les parents de classe moyenne.
L’article décrit de quelle manière « l’altérisation » peut conduire à « une pratique fondée sur le déficit et des comportements négligents ».
« … Les problèmes qu’affronte un individu, qui peuvent naître de la pauvreté et de la privation matérielle, sont perçus comme intrinsèques à l’individu lui-même. » Qui plus est, « les participants ont souligné que les travailleurs sociaux ne reconnaissent que rarement les circonstances qui échappent au contrôle des familles, comme l’influence de la pauvreté… L’une des participantes a raconté sa première rencontre avec un travailleur social, qui l’a décrite « adoptant un style de vie chaotique plutôt que de se prendre en main… incapable d’apprendre, de s’améliorer ou de faire au mieux pour ses enfants », ignorant complètement le fait qu’elle venait de mettre un terme à une relation violente, qu’elle avait fait une fausse couche à cause de son déménagement, qu’elle vivait dans un environnement entièrement nouveau, dans un système d’aides sociales qui lui était peu familier et dans un logement temporaire. Quand les enfants sont placés parce que les parents ne peuvent pas changer leur environnement matériel et tempérer ses effets sociaux et psychologiques, les parents et les enfants, en effet, sont punis pour des facteurs qui ne dépendent pas d’eux. »
Les auteurs concluent sur un certain nombre de propositions pour améliorer la formation des travailleurs sociaux et leur pratique, reconnaissant qu’une pareille réforme doit composer avec des budgets limités, une importante charge de travail et un climat politique ambiant qui diabolisent les pauvres. Néanmoins, les participants à l’atelier ont fait part de leur optimisme quant au fait que, même dans ce contexte difficile, un simple changement d’attitude de la part des travailleurs sociaux pourrait faire une grande différence et conduire à des situations bien meilleures.
Pour lire l’article complet dans l’European Journal of Social Work, cliquez ici.
Pour plus d’informations sur ATD Quart Monde au Royaume-Uni, cliquez ici.
Le blog d’ATD Quart Monde au Royaume-Uni, Giving Poverty a Voice, a été créé pour permettre aux personnes qui vivent dans la pauvreté de parler de leurs expériences, de leurs difficultés, de leurs aspirations et de leurs idées.